L’Espagne, face à une opportunité en or pour peser sur la politique européenne.
François Mitterrand, Helmut Kohl et Felipe González sourient devant la caméra. Nous sommes en 1989 et l’Espagne, membre du club européen seulement depuis 1985, préside la réunion du Conseil européen à Madrid au cours de laquelle l’union monétaire est décidée. Le socialisme espagnol, dirigé par González, a fait de l’intégration de l’Espagne dans l’Europe une politique prioritaire de son gouvernement.
Le président espagnol montre son entente avec les leaders européens et essaie d’avoir plus d’influence dans la prise de décisions au niveau supranational. Exactement 30 ans plus tard, Pedro Sánchez veut répéter cette image iconique et rehausser l’image et le poids politique de l’Espagne dans l’UE : les sociaux-démocrates espagnols ont le plus grand nombre de députés de son groupe, crucial pour la reconfiguration du Parlement et de la Commission européens.
Les résultats des élections européennes en Espagne ont désigné une victoire très claire du Parti Socialiste de Sánchez : ils ont obtenu 20 députés, contre 12 pour le Parti Populaire (droite), 7 pour Ciudadanos (centre droit), 6 pour Unidas Podemos (gauche radicale) et 5 pour différentes alternatives indépendantistes périphériques. Fort de cette victoire, la première chose qu’a fait Sánchez a été de se rendre à Paris, puis à Bruxelles, pour rencontrer Emmanuel Macron et Angela Merkel. L’ambition du président espagnol est double : d’une part, de promouvoir un changement de politique en Europe pour impulser un agenda plus progressiste, d’autre part, de parvenir à ce que l’Espagne dispose d’une représentation de premier plan à Bruxelles.
La stratégie espagnole n’est pas nouvelle : depuis l’arrivée de Sánchez au pouvoir, grâce à une motion de censure contre le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy, l’État espagnol a visé le renforcement de la présence de l’Espagne dans l’Union Européenne, présence bien inférieure au poids démographique et économique du pays. Cette stratégie a une double intention : changer certaines politiques de l’UE, comme les politiques d’austérité qui nuisent gravement aux pays du sud, mais aussi contrer le récit du « procès » catalan en Europe. Pedro Sánchez dénonce le procès contre les principaux responsables indépendantistes catalans et le considère comme une violation des droits civils.
Cette augmentation du poids politique de l’Espagne en Europe n’est possible que par une série de conjonctures. Certaines sont exogènes, comme l’effondrement des sociaux-démocrates en France et en Allemagne ou l’hypothèse du Brexit qui éloigne le Royaume-Uni de la sphère de commandement. Mais il y a aussi une prise de conscience que le pays a une influence inférieure à son potentiel. À présent, en tant que plus grande délégation social-démocrate du nouveau Parlement européen (20 sièges), le PSOE vise à promouvoir un changement de priorités en mettant en avant des thématiques comme le changement climatique, la perspective de genre ou la fiscalité équitable. Et, bien sûr, il tentera de nommer un candidat espagnol à un poste de haut niveau à Bruxelles, sûrement Josep Borrell, numéro un sur la liste européenne avec 33% des suffrages, au-dessus du soutien accordé au PSOE lors des élections générales.
Un ensemble complexe d’équilibres
Néanmoins, ce pari politique dépend toutefois d’un ensemble complexe d’équilibres. Pour le moment, l’Espagne assure qu’elle optera pour le plan décidé initialement avec toutes les forces social-démocrates : soutenir Frans Timmermans, le Néerlandais candidat pour présider la Commission européenne, la position la plus visible des institutions européennes. Si cette option échoue par manque de soutien, l’Espagne commencerait à jouer ses cartes. Le gouvernement est conscient de la nécessité de faire preuve de souplesse car la composition des postes de pouvoir à Bruxelles doit répondre à des équilibres géographiques, politiques et de genre. Choisir l’une des positions invalide automatiquement les autres avec des profils similaires. Un authentique sudoku dans lequel Sánchez espère avoir une marge de manœuvre.
Ce n’est pas une coïncidence si Sánchez a choisi Macron pour une première rencontre post-électorale. Les sondages leur donnant une ample représentation, les équipes de Sánchez avait pris rendez-vous avec l’Elysée avant même de connaître les résultats des élections. En plus d’être les leaders qui donnent le plus de sièges à leurs familles européennes respectives — Macron pour les libéraux et Sánchez pour les sociaux-démocrates — ils représentent deux des quatre principaux pays de l’UE, à l’exception du Royaume-Uni, qui est en principe en voie de partir.
Dans toute l’histoire des institutions européennes, l’Espagne n’a dirigé le Parlement européen qu’entre 2004 et 2007, précisément avec Borrell. Cependant le Parlement avait moins de pouvoir qu’avant la réforme de 2007. Les résultats des élections et la situation actuelle de l’Europe demandent un changement de direction, et l’Espagne peut avoir un rôle plus important que jamais.
Nicolas Pan-Montojo