Projet UPV - M3 - L3 Théâtre «La Tempête de Salem 2.0 »
REGARDS CROISÉS ET COUP DE PROJECTEUR
N’en déplaise à Beckett, la nouvelle du confinement obligatoire n’a pas sonné la Fin de partie pour les étudiants de licence 3 Arts du Spectacle. Nous entrons en leur compagnie dans les coulisses d’un projet fou qui débouche sur la web série La Tempête de Salem.
Ils devaient achever leurs cursus sur les planches du théâtre La Vignette en présentant « La Tempête de Salem ». Ils ont été pris dans le cyclone imprévisible de la pandémie, comme nous tous. Rien n’est simple mais tout peut arriver. Dans sa Chronique des confins Lydie Parisse dit que nous sommes condamnés au présent. Voilà une belle occasion pour le saisir sur le vif…
La tempête de Salem 2.0, une web série au cœur d'un projet de fin d'année de la Licence 3 Théâtre... Un projet sous fortes contraintes en période de confinement.
Vous retrouverez en bas de page les épisodes de la série produite et réalisée par les étudiants au fur et à mesure de leur publication sur leur chaîne YouTube mais vous pouvez bien entendu leur rendre une visite et leur laisser vos commentaires !
L’idée du coup de projecteur
Pour altermidi l’épisode du confinement a donné l’occasion à de nombreuses discussions pour décider des sujets à traiter. L’état d’urgence sanitaire et la démocratie, l’action des collectivités, la mobilisation de la société civile, nos vies bouleversées… Nous y avons consacré de nombreux sujets en intégrant des contributions d’acteurs sur le terrain. Parmi ces sujets il y avait ceux de la culture et de l’éducation, en grande difficulté mais qui ont su aussi faire preuve d’une grande capacité d’adaptation et d’inventivité.
Le parcours que nous vous proposons de suivre en est un exemple. À travers ce coup de projecteur sur l’action conjointe des étudiants de L3 Théâtre et des équipes pédagogiques de Montpellier 3 s’illustre une étonnante énergie. L’équipe ne cède en rien au pessimisme et à la désolation, elle appelle au risque artistique qui permet de réaliser ce que l’on n’aurait jamais imaginé. Qu’est-ce qu’ont en commun les artistes et le monde de l’éducation ? Ils donnent à chacun des raisons d’espérer et de ne pas s’endormir.
La dimension participative
Plutôt que de traiter le sujet sous forme d’article, nous avons opté pour un travail participatif qui permet de voir le résultat mais surtout d’appréhender le contexte d’étude et de création.
Les étudiants ont ainsi rédigé un texte de présentation et réalisé un entretien vidéo avec leur directeur de département. L’équipe pédagogique s’est totalement prêtée au jeu qui ne vise pas à produire une image sans défaut dans un objectif de communication mais à s’inscrire dans une pratique qui fait sens. Pour le média interrégional altermidi ce type d’approche s’apparente à une recherche sur les techniques d’enquêtes.
« L’idée c’est de les confronter aux contraintes professionnelles le plus tôt possible »
En situation professionnelle
À Montpellier 3, la promotion licence 3 Arts du Spectacle, option théâtre, compte une cinquantaine d’étudiants. Tous les aspects du théâtre sont regroupés pour plonger cette promotion dans le monde professionnel : le travail de recherche dramaturgique, le travail de recherche scénographique et technique, et le travail de production.
Au cours des deux premières années les étudiants se forment aux bases théoriques, en troisième année ils se lancent. En s’appuyant sur leurs acquis en dramaturgie, recherche scénographique, production ils travaillent sur un projet qui doit prendre vie sur le plateau au second semestre. « L’idée c’est de les confronter aux contraintes professionnelles le plus tôt possible, explique le responsable du Master Création Spectacle Vivant et de la Licence Théâtre, Laurent Berger, ils ont un pied dans l’université et l’autre dans la création ».
Pédagogie du risque
En phase d’application, les étudiants montent un projet qu’ils doivent conduire jusqu’au plateau et font les diagnostics pour identifier leurs besoins. Ils se retrouvent en autonomie et s’entraident dans leur apprentissage. « Cette pédagogie de l’autonomisation signifie répondre à la question qui se pose vraiment et pas anticiper toutes les questions qui pourraient nous venir à l’esprit. Cela permet de se confronter au problème réel posé par une situation », indique Laurent Berger. L’équipe pédagogique intervient pour aider à résoudre les problèmes sans se substituer au travail des étudiants. À un moment, dans l’entretien réalisé par les jeunes acteurs, les étudiants évoquent le sentiment de se trouver livrés à eux-mêmes. « Nous avons mis en place une direction artistique tournante pour ne pas figer les personnes dans des responsabilités. On accepte les passages difficiles qui sont stimulants pour développer des actions autonomes. Après huit ans de pratique nous avons une certaine connaissance des conflits qui peuvent arriver et nous parvenons à garder les conflits les plus productifs ».
« La prise de risque, le courage de rater ce qu’on entreprend permet de découvrir de nouveaux terrains. Cela fait partie du métier »
L’adaptation
Ce dispositif expérimental pour les étudiants l’est aussi pour l’équipe pédagogique qui programme chaque année avec exigence de nouveaux défis à relever. « La prise de risque, le courage de rater ce qu’on entreprend permet de découvrir de nouveaux terrains. Cela fait partie du métier », commente Laurent Berger.
La Tempête de Salem, sur laquelle les étudiants travaillent, mêle Les Sorcières de Salem d’Arthur Miller et La Tempête de William Shakespeare. Voilà une belle manière de s’ouvrir sur l’art complexe du théâtre. Le caractère à la fois profondément social et particulièrement intime qui fait la singularité de cet art est présent dans les deux œuvres. Le contexte de pandémie qui nous terrasse rehausse l’acuité du sujet et la possibilité de conjugaison entre les facteurs social, politique et esthétique.
La Tempête
« Cet éclatement de la communauté humaine en proie à la peur de l’inconnu pourrait aussi refléter l’état de nos fragiles démocraties contemporaines. Voilà le cri de notre universalité menacée »
Cette pièce comptant parmi les dernières de Shakespeare s’inscrit dans un tout autre registre théâtral. C’est une tragi-comédie romanesque, un genre dramatique caractérisé par un dénouement heureux succédant à des événements dramatiques.
Point de convergence avec les « Sorcières », le surnaturel y occupe une place non négligeable. L’œuvre énigmatique semble inviter à une interprétation symbolique tout en résistant aux tentatives d’élucidation. Voilà qui résonne bien avec le contexte du grand confinement, une pointe de restauration monarchique et une inédite opacité dramaturgique.
Arrêt des déplacements, enfermement obligatoire, nous voilà brutalement condamnés à faire vivre nos états intérieurs hors de toute mécanique fonctionnelle. Sauf évidemment pour se nourrir, mourir, et pour les questions de prise de pouvoir. Belle situation shakespearienne qui touche, dans la Tempête, à l’apprentissage de la sérénité.
Le monde des étudiants de L3 n’est pas le monde d’il y a quatre cents ans. Il est le monde où nous sommes, et grâce au théâtre, celui de tous les êtres humains depuis nos origines. « Un navire coule sous les assauts d’un cataclysme terrifiant, les uns tentent de le sauver, les autres continuent de donner des ordres et d’imposer leur pouvoir. Certains prient, d’autres pleurent, d’autres font de la philosophie, et même des plaisanteries obscènes », décrit Edward Bond à propos du texte, et il ajoute : « Cet éclatement de la communauté humaine en proie à la peur de l’inconnu pourrait aussi refléter l’état de nos fragiles démocraties contemporaines. Voilà le cri de notre universalité menacée ».
Les Sorcières de Salem revisitées
«le réalisme ne consiste pas à reproduire les choses réelles, mais à montrer comment les choses sont réellement.»
La pièce est issue du grand théâtre réaliste américain. Elle est fondée sur les événements entourant le procès en sorcellerie en 1692 à Salem dans le Massachusetts. Arthur Miller décrit l’évènement comme une allégorie du maccarthysme. L’auteur tend un fil entre les années 1950 et 1692 pour faire apparaître des similarités.
On verra que ce fil rejoint par endroits le grand confinement de 2020. Miller sera lui-même mis en cause par le Comité sur les activités anti-américaines.
La sorcière, fascinant personnage imaginaire, symbole de la femme désespérée par la triste réalité des siècles, de misères, de crimes et de ténèbres. Mais la femme que l’on dit ensorcelée est aussi perçue comme une protestation de l’esprit de liberté contre l’église et le pouvoir. La sorcière s’efforce de retrouver par des alliances mystérieuses le contact avec les forces sensibles du monde.
Dans Les sorcières de Salem couve le drame de l’exclusion. Aujourd’hui peut-être le harcèlement, le sentiment de solitude lorsqu’on n’a plus de réseau, qu’on s’en exclu ou qu’on en est exclu par les autres.
Les procès en sorcellerie passent désormais par nos smartphones. Les sorcières dansent sur les réseaux sociaux. Dites-vous bien que tout cela est bien réel.
Bertolt Brecht n’est pas le dernier à s’en souvenir, lui qui prétendra que le réalisme ne consiste pas à reproduire les choses réelles, mais à montrer comment les choses sont réellement.
« Le théâtre est la base du travail, et l’imagination lui permet de survivre »
mais place au spectacle…
où l’imagination est la base du travail, et le théâtre lui permet de vivre…
Un final tout en interviews … mais pas que,
On ne veut pas oublier l’audio du spectacle complètement réécrit par les étudiants à partir des deux œuvres de référence ainsi que les courts métrages qui ont vu le jour en parallèle de ce travail réflexif sur le théâtre.
Retrouvez tous les épisodes de La Tempête de Salem sur la chaîne des étudiants de L3 – Théâtre , Masters Création de l’UPV-M3
Réinventer le Théâtre
Seul problème mais de taille, l’arrivée du Covid-19 et avec lui la disparition du lieu où des individus sans contrainte s’assemblent pour, ensemble, voir autre chose que ce qu’ils sont et pour se voir eux-même. Coup dur mais l’annulation des représentations publiques n’a pas eu raison de l’énergie créatrice. Elle a réveillé l’intelligence collective du groupe et de son équipe pédagogique et donné le coup d’envoi d’un nouveau départ.
« Le confinement a été vécu comme une source d’inspiration, observe Laurent Berger. À partir d’approches sensibles différentes et en fonction des possibilités que pouvait offrir la situation de confinement, le travail de montage est très pertinent. Il y a un beau niveau d’exigence. » La formule des étudiants à propos de leur travail parle d’elle-même et sonne juste : « Le théâtre est la base du travail, et l’imagination lui permet de survivre ».
à suivre…
rédaction Jean-Marie Dinh
et aussi sur La Bougeotte:
La tempête de Salem : une web-série théâtrale et radiophonique