Soutenus par la politique culturelle renouvelée du Département de l’Hérault, trois établissements ont accueilli en 2025 des projets intergénérationnels hors du commun. Un retour d’expériences…
Le Département de l’Hérault a fait le choix en 2025 de centrer sa politique publique culturelle sur la dimension sociale et de porter une attention particulière aux personnes les plus vulnérables*. Estimant que la culture est un nécessaire accompagnement éducatif social et humain, la collectivité a décidé de soutenir des projets d’éducation artistique et culturelle, dans une démarche intergénérationnelle et innovante. L’appel à projets lancé en septembre 2024 a permis de réunir 39 candidatures, dont 9 ont été retenues — selon le nombre d’établissements partenaires. Trois EHPAD sur les 196 établissements et maisons de retraite ont vécu des expériences uniques. Des partages qui font rêver.
La danse et les livres sur le fil à Fontès
C’est bien un échange intergénérationnel qui s’est organisé à l’EHPAD Jeanne Delanoue de Fontès ; Laurence Pagès a eu l’idée d’inventer « A un fil #3 » (elle a déjà livré deux premiers épisodes). Début septembre elle a pu y proposer son propre spectacle Danser avec les livres, une célébration dansée de la littérature, et cette rencontre festive a été à l’origine d’ateliers réunissant des résidents de l’EHPAD et des enfants du centre de loisirs.

La chorégraphe cherche « les fils qui nous relient dans la danse », avec la Cie du Petit Côté. Danser ensemble c’est être assis ou debout, en fauteuil roulant ou avec déambulateur. Qu’est-ce que c’est perdre l’équilibre, qu’est-ce que c’est les appuis ? « Tous le monde peut danser », assure Laurence Pagès qui se souvient de personnes hospitalisées capables encore d’être en mouvement dans leur lit. « On invente une situation, et des danses. Chacun propose un geste ou un objet et on crée. La situation change et on bouge avec. » Surgissent des souvenirs, des danses de la jeunesse — mais pas de valse… — et les enfants travaillent les mêmes idées avec en plus des acrobaties, des chutes. Lors de la restitution, les participants sont enthousiastes et s’éclatent : « La fin est comme une boum, avec le plaisir de se lâcher », se réjouit Laurence qui ajoute : « C’est une expérience collective, tout cela se crée au fil du projet. À chacun sa danse. Dans ce contexte tous les seniors se trouvent dans une situation où ils peuvent encore faire des choses. Les stressés vont devenir visibles. Et les soignantes viennent sur leur temps libre ! »
Danser avec les livres est « le » spectacle qui inspire ces rencontres d’atelier créatif. Laurence qui est coauteur avec Pascale Tardi de Danser avec les albums jeunesse (2015, Canopé éditions) songe : « Le corps se souvient. » Mais l’expérience ouvre d’autres possibilités. Pas d’objets à terre (prudence…) mais toujours des couleurs pour ce nouveau et troisième parcours qui se joue « A un fil ». Une pluie de plumes extraordinaire et un réseau de fils de laine : « C’est intéressant corporellement. On crée de l’émotion, du lien et des obstacles. Les familles seront invitées fin novembre à visiter ces créations, un réalisateur va filmer, et les rencontres seront les bienvenues dans quelques mois. On travaille sur des liens en mouvement. »
La Joconde sourit aux marionnettes à Bédarieux

Intergénérationnel lui aussi, un projet a réuni des jeunes de l’IML (Institut Médico Légal) Les Capitelles et des résidents de l’EHPAD Les Asphodèles à Bédarieux. Sophie Laporte et sa compagnie Soleils Piétons ont monté nombre de spectacles, notamment celui imaginé autour du tableau de Léonard de Vinci, « La Joconde » et autour de son sourire. Le projet collectif « À nos sourires » reprend cette idée, tous étant appelés à construire leur propre sourire. « Qu’est ce qui fait sourire ? » « À qui aimerais-tu sourire ? » Bonnes questions, beaux dialogues avec des marionnettes éloquentes, car chacun a fabriqué la sienne, et c’est le talent de Sophie de créer ces personnages magiques et plein d’idées. S’ajoutent une exploration de portraits façon Mona Lisa, des mises en musique avec Alysa Vasylkova, harpe et guitare, puis des souvenirs anciens pour chacun. L’approche est variée et prolonge des explorations vocales, une réunion autour de Dalida et son célèbre Laisse-moi danser. On se l’approprie : « C’est une thématique merveilleuse et amusante, le sourire relie aux autres, la musique fait chanter ensemble, et chacun à son niveau a trouvé à participer. »
Entourés par une équipe engagée dans le projet, les participants sont souvent fragiles, âgés de 80 à 100 ans, parfois en fauteuil roulant ou atteints de troubles cognitifs. Mais l’effort est totalement partagé et Sophie Laporte s’en réjouit : « Ils sont capables de faire des choses et sont alors très fiers d’eux. Les artistes apportent leurs compétences, mais on voit aussi les résidents sous un œil nouveau. Les jeunes qui viennent régulièrement les rejoindre sont hyperactifs et fiers d’eux aussi. Tous découvrent leur capacité créative, dans le rire, l’invention, le bonheur. » Avec un sourire de plus elle cite Van Gogh : « Il n’y a rien de plus réellement artistique que d’aimer les gens. » La restitution des ateliers s’est faite le 10 octobre dans une petite salle de l’EHPAD. En novembre une rencontre réunira les participants autour d’un goûter et de la vidéo du spectacle. Sophie, qui vit toujours sa quête personnelle, Le sourire de Mona (spectacle donné récemment à Bayssan), espère bien poursuivre cette démarche partagée : « L’art fait du bien, les activités manuelles, l’improvisation… On apporte la créativité, une nourriture pour le cerveau. »

Une nouvelle vision du collectif à Mauguio
C’était une vraie fête, le 17 octobre à la salle de Mauguio. Le projet retenu, « SUSPENSE LA PAROLE-FÊTE, un cabaret artistique pour tous les âges » était en route depuis le mois de mai, mené par Sandrine Barciet. Il réunit les résidents de l’EHPAD Les Aiguerelles à Mauguio et un groupe d’enfants de la MJC dans le cadre du Contrat Local d’Accompagnement Scolaire ( CLAS). La metteuse en scène est ravie de venir en EHPAD, de retrouver un milieu où elle a travaillé comme assistante de vie dans sa jeunesse. C’est un choix essentiel pour elle : « Je me suis découvert une passion pour cet âge-là. Être vieux, c’est formidable ! Ces personnes ont toute leur vie en elles. La société est ignoble : on les cache, on les dénigre, on en ricane. Beaucoup ont envie de parler et personne ne les écoute. Dès qu’on n’est plus actif, on est au rebut. La souffrance, la maladie, c’est pas génial, mais le pire c’est d’être au rebut. Ce sont des personnes que j’aime. Elles n’ont plus à plaire, elles peuvent dire ce qu’elles pensent ! »
Pour tout dire, avec sa Compagnie Grognon Frères, dont le nom rappelle que chacun a une « émergence » différente, Sandrine a déjà créé autour de la vieillesse. L’élève de Jacques Bioulès à Montpellier a déjà créé Vieillesse, vieillesse en 2007, évoquant le Jeunesse, jeunesse de Tchékhov, et Eau et gaz à tous les étages en 2016. Lors de l’appel à projet l’an dernier, elle a songé à une vision commune entre jeunesse et vieillesse, entre MJC et EHPAD, et imaginé un cabaret. Peinture, collage avec Valérie Julien, peintre et scénographe. Poésie aussi pour commencer, jeux d’écriture, puis en juillet (les jeunes étant en vacances) improvisations et tests variés. Un bal, des souvenirs. Pendant l’été cela avance vraiment et en septembre les jeunes se réinsèrent. Le cabaret se monte car la comédienne lui donne liberté : « L’idée est de laisser venir la pensée, le geste, construire des phrases gestuelles, sur les collages inventer des textes, des histoires, faire des cadavres exquis de collages. »
Depuis la restitution, les résidents veulent continuer. Sandrine Barciet poursuit sa réflexion : « On avait vraiment des discussions, pas seulement pour subvenir aux problèmes physiques. Il y a des souvenirs d’enfance, d’amour, de guerre, de travail. Il faut écouter car cela fissure une société. Un vieux, c’est nous plus tard, c’est un trésor de pensées et d’erreurs. On doit même intégrer quelqu’un qui ne peut bouger que sa tête et son bras gauche. Une voix ne diminue pas, elle rentre en poésie. »
Une poésie créée ensemble, c’est une belle image de la vie. À généraliser au sein de tous les EHPAD !
Michèle Fizaine
altermidi Mag#16 – Où en est le collectif ? – 5€ – disponible en kiosque.
*Lire l’entretien avec Marie-Pierre Pons, conseillère départementale en charge de la culture, de l’Hérault dans altermidi mag.
Photo 1: Tous en scène, à Mauguio, pour réaliser un spectacle mêlant poésie, collage, peinture. Crédit photo Département de l’Hérault







