« Se tourner vers l’écriture dans une tentative désespérée de combler le fossé entre notre expérience intérieure et le monde extérieur. » Ce sont les mots extraits d’un texte de Taqwa Ahmed Al-Wawi, écrivaine poétesse et éditrice palestinienne de 19 ans originaire de Gaza.


 

Nous sommes le dimanche 5 Octobre pendant des pourparlers «  indirects » qui ont lieu au Caire sur le plan de Donald Trump pendant qu’en même temps les bombardements sur Gaza ville continuent et se sont intensifiés comme chaque fois dans ce contexte…. Un plan soutenu par Israël et construit autour du contrôle américain, sans les Palestiniens, de la bande de Gaza

La semaine dernière la «  Global Sumud Flottilla » composée de plus d’une quarantaine de bateaux a été arraisonnée. Les participants à la flottille mondiale Sumud ont été interceptés et enlevés par les forces israéliennes pour avoir osé naviguer contre le blocage illégal de Gaza. 328 sont encore en prison, 124 ont été libérés, une nouvelle flottille de 10 bateaux est en route, d’Italie et d’Espagne.

A Gaza les mots de Taqwa Ahmed Al-Wawi racontent comment face à une douleur incessante l’esprit humain érige des barrières invisibles qui affectent la capacité de parler. Parler sans mots !

« Les rues de Gaza ne vibrent plus des bruits familiers du quotidien. Depuis le 7 octobre 2023, elles résonnent des bruits de la destruction, suivis d’un silence si profond qu’il paraît presque physique – une absence qui étouffe les mots avant même qu’ils ne puissent se former. Coincés entre les murs écroulés de Gaza, nous vivons dans une tempête où le langage lui-même s’est effondré. En d’autres termes, nous perdons notre capacité à parler. Ce à quoi nous sommes confrontés est plus qu’une simple perte de mots ; c’est l’effondrement du système symbolique que représente le langage – le cadre commun à travers lequel nous donnons sens à nos émotions et à nos expériences. Cet effondrement approfondit le silence, rendant la communication non seulement impossible, mais inconcevable…..

Des mots autrefois si lourds de sens s’effondrent désormais, incapables de traduire la réalité brute. Les mots que nous parvenons à prononcer ressemblent à des images fanées aux couleurs dont personne ne se souvient, des tentatives désespérées de retenir ce qui ne peut l’être. Non seulement ils échouent à communiquer, mais ils trahissent leur raison d’être, nous laissant dans un double emprisonnement : celui de l’agonie et celui de l’absence de voix pour la transmettre……Sur les murs en ruines, des fresques s’épanouissent – ​​des couleurs vives défiant les décombres gris. Des dessins d’enfants, bruts mais vivants, évoquent des rêves qui refusent de mourir. Des chansons renaissent des cendres lors de rassemblements silencieux, des fils de mémoire et de résistance tissés en mélodies. Des mains se serrent en silence, portant le chagrin et l’espoir dans un souffle partagé. »

 

Israël poursuit sa guerre d’extermination

 

Et l’écriture sans cesse renouvelée jour après jour, pour raconter, témoigner, décrire, penser, analyser, réfléchir et même rêver c’est ce que réalise Abu Amir sans s’arrêter, jamais ! Le 3 Octobre il décrit la situation militaire et humanitaire à Gaza ville.

« Au cœur de la bande de Gaza, où la terre se resserre sur plus de deux millions d’habitants, la population vit aujourd’hui entre un mince espoir de voir la guerre s’achever et une peur constante de la poursuite de l’effusion de sang. Ils attendent la moindre nouvelle porteuse d’espoir, une initiative qui mettrait fin à cette hémorragie sans fin. Chaque jour qui passe ajoute de nouvelles pages de destruction et de mort au registre de la tragédie, tandis que continuent les cris des civils qui n’ont plus de refuge et qui n’ont d’autre recours que la prière pour que cette guerre prenne fin bientôt et que soit levée cette épreuve prolongée. Malgré les discours sur des plans internationaux et des initiatives de cessez-le-feu, la réalité sur le terrain dit le contraire : la souffrance s’intensifie et l’agression redouble.

Sur le plan militaire, Israël poursuit sa guerre ouverte contre le territoire. Ses chars ont franchi la frontière et atteint les abords puis le centre de la ville de Gaza, un spectacle qui terrorise la population. Habitués à voir les blindés rôder autour de leurs villes, ils ne s’attendaient pas à une incursion d’une telle profondeur. Cette avancée a été accompagnée de bombardements aériens et d’artillerie intenses, si bien que le bruit des explosions ne cesse jour et nuit, recouvrant le ciel de fumée et de flammes et couvrant la terre de gravats. Ce qui caractérise cette vague d’escalade, c’est qu’elle ne vise pas seulement des objectifs militaires ou sécuritaires, mais englobe tout : maisons de civils, écoles, mosquées et même hôpitaux. Chaque obus tiré laisse derrière lui des dizaines de morts et de blessés, ainsi que des familles entières plongées dans le désarroi, leurs habitations détruites sur leurs têtes.

Aucune zone de Gaza n’a été épargnée par les bombardements israéliens. Les quartiers résidentiels se sont transformés en ruines, les rues autrefois animées sont désormais vides, jonchées de débris. Les marchés populaires, où les habitants cherchaient un peu de nourriture, ont été frappés à plusieurs reprises, se changeant en scènes sanglantes où se mêlent cris des victimes et sirènes d’ambulances. Les mosquées, lieux de refuge spirituel, ont été détruites, les écoles, transformées en abris pour les déplacés, sont devenues des cibles faciles. Même les centres de secours n’ont pas échappé aux tirs, rendant l’arrivée de l’aide humanitaire extrêmement difficile. Le bombardement d’une tente de déplacés dans l’enceinte de l’hôpital des martyrs d’Al-Aqsa, à Deir al-Balah, n’était pas un accident, mais un message brutal : la guerre n’épargne personne, pas même ceux qui se sont réfugiés derrière les murs d’un hôpital ou sous une tente de fortune.

Gaza-ville, capitale administrative et politique du territoire, est aujourd’hui la plus exposée aux attaques. Densément peuplée, centre économique et culturel, elle est devenue un champ de bataille à ciel ouvert. Ses artères principales, comme la rue Al-Wahda ou la rue Omar Al-Mukhtar, jadis animées, sont aujourd’hui criblées de cratères et encombrées de décombres. Au cœur de la ville, les bâtiments détruits donnent l’impression qu’un séisme les a frappés. Les habitants vivent dans une terreur permanente : les explosions résonnent sans répit, l’odeur de poudre et de fumée se mêle aux cris des femmes et des enfants. La vie quotidienne est complètement paralysée : pas d’écoles, pas de marchés, pas même de centres de santé capables de fonctionner.

Des quartiers entiers, comme Choujaïya, At-Touffah ou As-Sabra, sont devenus des symboles de destruction, avec des centaines de morts et de blessés et des milliers de familles déplacées. Gaza n’est plus une ville de vie, mais une ville assiégée par la mort. Pourtant, malgré tout, elle reste debout, ses habitants s’accrochant à l’espoir et à la survie face à ce qu’ils considèrent comme une véritable guerre d’extermination.

 

Tragédie humaine

 

La situation humanitaire s’assombrit de jour en jour. Des dizaines de milliers de familles ont fui la ville de Gaza vers le centre et le sud de la bande, quittant leurs maisons détruites ou menacées, pour vivre à ciel ouvert ou dans des écoles surpeuplées, sans eau, sans électricité et avec très peu de nourriture. Des milliers de familles n’ont même pas obtenu une tente, s’installant directement au sol, utilisant des morceaux de tissu ou de plastique pour protéger leurs enfants du soleil brûlant et du froid nocturne. Dans les lieux de déplacement, la tragédie humaine est palpable : des enfants affamés cherchent de quoi manger, des femmes portent leurs enfants malades sans trouver de médicaments, des vieillards gisent à même le sol sans couverture. Dans un contexte d’insécurité totale, les déplacés n’ont d’autre choix que la patience et la prière.

Les enfants, qui représentent plus de la moitié de la population de Gaza, incarnent le visage le plus douloureux de cette tragédie. Des milliers ont perdu leurs familles ou leurs maisons et vivent désormais dans la peur et le traumatisme. Beaucoup ne dorment plus, terrorisés, et éclatent en sanglots à chaque détonation. Quant aux femmes, elles supportent un fardeau écrasant. Elles doivent chercher à nourrir et abreuver leurs enfants malgré le manque extrême de ressources, tout en essayant de les réconforter et de les protéger. Les récits des femmes de Gaza révèlent la part sombre de cette guerre : des mères devenues héroïnes du quotidien, luttant pour maintenir leurs familles en vie.

Le système de santé de Gaza est au bord de l’effondrement. Les hôpitaux ne peuvent plus accueillir de nouveaux blessés. Les médecins travaillent dans des conditions inhumaines, réalisant parfois des opérations sans anesthésie complète par manque de médicaments. Certains hôpitaux sont complètement hors service, soit en raison de bombardements directs, soit par pénurie de carburant pour faire tourner les générateurs. La scène à l’intérieur est terrifiante : des cadavres entassés dans les couloirs, des blessés allongés au sol attendant une chirurgie urgente, des médecins épuisés au bord de la rupture. L’Organisation mondiale de la santé a multiplié les avertissements quant à une catastrophe humanitaire imminente, mais la réalité sur place dépasse les pires prévisions.

Malgré tout, les habitants de Gaza s’accrochent à un mince espoir de voir cette tragédie prendre fin. Sur leurs visages se lisent fatigue et désespoir, mais dans leurs cœurs brille une étincelle de résilience qui refuse de s’éteindre. Ils croient que la vie reprendra un jour, même au milieu des ruines, et que leur voix doit parvenir au monde entier comme témoignage de ce qu’ils subissent. L’espoir, pour eux, n’est pas un luxe mais un outil de survie….

La situation dans la bande de Gaza a dépassé le cadre d’une guerre conventionnelle pour devenir une tragédie humanitaire totale. Gaza-ville, centre vital du territoire, est devenue à la fois symbole de résistance et de destruction, tandis que la guerre continue d’ôter des vies sans relâche.

Et tandis que le sang continue de couler, la voix des victimes et des déplacés résonne plus fort que tout discours politique : c’est la voix d’un peuple qui aspire à la fin d’une guerre dévastatrice, d’un peuple qui souhaite simplement retourner chez lui, même au milieu des décombres, car vivre parmi les ruines est moins cruel que rester à découvert, sans abri ni dignité. »

Pour finir avec Taqwa Ahmed Al-Wawi :  « Nous persistons dans l’illusion du langage, sachant qu’il ne pourra jamais pleinement saisir notre vérité. Malgré tout, c’est aussi un acte de profonde résistance à l’emprise du traumatisme, une tentative de retrouver une part d’humanité et de faire en sorte que notre histoire, aussi difficile à articuler soit-elle, ne reste pas inaudible. Nous écrivons non pas pour prétendre que la douleur peut être contenue, mais pour laisser la porte légèrement entrouverte entre le monde que nous habitons et celui au-delà du siège. »

Brigitte Challande

Brigitte Challende
Brigitte Challande est au départ infirmière de secteur psychiatrique, puis psychologue clinicienne et enfin administratrice culturelle, mais surtout activiste ; tout un parcours professionnel où elle n’a cessé de s’insérer dans les fissures et les failles de l’institution pour la malmener et tenter de la transformer. Longtemps à l’hôpital de la Colombière où elle a créé l’association «  Les Murs d’ Aurelle» lieu de pratiques artistiques où plus de 200 artistes sont intervenus pendant plus de 20 ans. Puis dans des missions politiques en Cisjordanie et à Gaza en Palestine. Parallèlement elle a mis en acte sa réflexion dans des pratiques et l’écriture d’ouvrages collectifs. Plusieurs Actes de colloque questionnant l’art et la folie ( Art à bord / Personne Autre/ Autre Abord / Personne d’Art et les Rencontres de l’Expérience Sensible aux éditions du Champ Social) «  Gens de Gaza » aux éditions Riveneuve. Sa rencontre avec la presse indépendante lui a permis d’écrire pour le Poing et maintenant pour Altermidi.