Le Festival Arabesques fête ses 20 ans et rend hommage à une icône de la musique arabe, décédée il y a 50 ans, mais dont l’inspiration est toujours créatrice. Une quarantaine de rencontres, la plupart au Domaine d’O de Montpellier, du 9 au 21 septembre.


 

L’an dernier, le Festival Arabesques dédiait une journée de son programme à la Palestine, « Once upon a time », 2025 est l’occasion de se souvenir de la grande chanteuse égyptienne engagée, Oum Kalthoum, décédée il y a 50 ans. Un anniversaire qui a déjà été célébré par « La Voix des femmes » au Festival d’Avignon… le 14 juillet !1

 

Hommages et extases partagées

Au festival montpelliérain, ce n’est pas, comme annoncé, Karima Skalli, la belle voix née au Maroc, qui va rendre hommage à « L’Astre d’Orient » au concert d’ouverture d’Arabesques, ce mardi, mais la chanteuse et musicologue tunisienne Dorsaf Hamdani2. Elle donne aux traditions musicales leur modernité sans trahir leur inspiration, en incarnant une femme libre, et créatrice, tout comme Oum Kalthoum. Elle a été invitée au festival Arabesques à plusieurs reprises, en 2012, 2013 et 2019, 2020… Dans cet hommage personnel, nul besoin d’orchestre classique, d’effets modernes, de transcriptions actuelles comme à Avignon : l’essence même du « tarab » suffit, cet art musical qui mène par la mélodie une quête de l’extase. Les instruments, l’oud, le qanoun, le violon, le ney, la derbouka et le tar, tissent un écrin épuré, au service d’une voix qui dialogue avec celle d’une diva intemporelle : Oum Kalthoum.

 

 

Hommage de Dorsaf Hamdani à Oum Kalthoum : tradition et création, toujours en quête d’une extase mélodique. Crédit Photo Arabesques

 

L’hommage débute donc mardi avec ce récital de Dorsaf Hamdani, et se poursuit le 10, toujours à l’Opéra Comédie, avec un spectacle dansé du groupe Nesma : Enta omri. Ce titre, Tu es ma vie est un des airs les plus connus du répertoire, créé par Oum Kalthoum en 1965, et musiciens et danseuses font revivre à nouveau cette émotion rare qu’est le « tarab », partagée entre l’interprète et le spectateur, qui réunit sur scène des artistes du monde entier. La danse y est un acte de mémoire et sans un mot transmet un message universel.

 

Une voix qui a beaucoup à dire

Oum Kalthoum a grandi dans une tradition familiale qu’elle a faite sienne, en chanteuse exceptionnelle, au point que, dans sa jeunesse, elle a pu être admise dans des chœurs (en tant que garçon), puis elle a pu construire sa propre carrière. Le compositeur Ahmed Rami lui a écrit plus d’une centaine de chansons. Si elle est très active pour moderniser musique et prosodie, pour inventer des modèles modaux et de nouveaux types de textes, elle est aussi très fidèle aux instruments traditionnels notamment l’oud, incontournable, et le soliste Mohammed El Kasabji l’accompagne jusqu’à sa mort. Elle introduit des écritures moins orientales, et révolutionne le chant amoureux.

Celle que Maria Callas appelait « La voix incomparable » est aussi politique. Fidèle de Nasser — qui le lui rend bien — elle est une chanteuse engagée qui dénonce le colonialisme, encourage le nationalisme arabe, et prend parti pour le Vietnam. En 1931 elle vient chanter en Palestine. On la voit interpréter J’ai un fusil dans le film Fedayin (2020). En soutenant vocalement cette cause et en dirigeant les collectes de fonds pour la résistance après 1967, Oum Kalthoum a tissé des liens forts. Son chant et sa solidarité sont souvent rappelés par les musiciens palestiniens qui se joignent aujourd’hui à leur peuple dans sa résistance collective. Une musique, des chants écoutés actuellement tous les jours à Gaza.

L’hommage se poursuit, samedi 20 au Domaine d’O, dans « L’hier fait danser l’aujourd’hui », avec Love & Revenge, Agmal Layali, le trio franco-libanais-algérien, qui met en vibration sa touche électro en ouvrant « Les plus belles nuits ». Entre trad’ et actu’, avec des images du cinéma populaire du Moyen-Orient, Oum Kalthoum symbolise toujours le lien entre toutes les musiques, une véritable diversité culturelle.

 

 

Le rock se souvient de Rachid Taha, de cette « vois insoumise » qui s’est tue. Crédit Photo Arabesques

 

 

Un nouveau monde de découvertes

Autre hommage, le 13, à une « Voix Insoumise », Rachid Taha qui a ouvert des horizons à la musique arabe. Ce « Rockeur made in Casbah » a incarné toute sa vie une création libre et métissée. Ses amis, notamment le Couscous Clan, ont organisé un concert-création en mémoire de ce défricheur toujours soucieux de dénoncer inégalités et injustices.

Il y a encore beaucoup à découvrir tout au long du festival, notamment des « premières », des sorties d’albums. Le 12, Natasha Atlas ouvre le feu avec Parallel Universel après une semaine de résidence ; le 14, Najat Aâtabou donne un concert exceptionnel L’Âme Chaâbi consacré à cette musique marocaine ; le 19, Flèche Love présente Les Archipels Intérieurs naviguant au fil de ses albums, et Dhafer Youssef, maître de l’oud, partage sa nouvelle Odyssée Intérieure. Le 20, Orange Blossom revient avec son nouvel événement Spells from the drunken sirens, entre dancefloor et méditation ; et le 21, Labess interpelle avec son cinquième album Dima Libre (Toujours libre), son voyage singulier au-delà des frontières.

Dans la pluralité, c’est parti pour les musiques actuelles : trois artistes, Aziz Konkrite, Guedra Guedra, et Mr ID présentent, le 11, leur Arabesques Sound System. Côté plus « classique », on écoutera le duo Sabil qui crée Awaf avec Vincent Segal, le 13, ainsi que l’Orchestre de la Casbah, qui partage avec Kamel El Harrachi la musique chaâbi au cœur d’une « Casbah Vibrante », et enfin, en clôture, l’Orchestre National de Barbès fête ses « 30 ans d’insolitude ».

 

 

Foot et danse, pour un garçon arabe, c’est acrobatique d’être soi-même, mais « Boys don’t cry » ! Crédit Photo Arabesques

 

 

On va s’en laisser conter

Des histoires vraies, des traditions comiques, un brin de poésie, et voilà, le 14, Ali Merghache a carte blanche et partage son « Florilège », puis passe le relais à Meryem Benoua, dont le « Reflet » n’a pas fini d’étonner. Les conclusions seront drôles les 20 et 21, Avec les « Paroles enchantées » de Jihad Darwiche, la vie vécue d’Houria les yeux verts, « Enfin moi », et la conclusion du célèbre Comte de Bouderbala qui invite ses amis : « Comte moi si tu peux ».

Arabesques, c’est aussi un festival de cinéma au Diagonal (du 15 au 17), une exposition « 20 ans d’émotion » à l’aéroport de Montpellier, douze concerts et DJ sets gratuits à la Kasbah d’O, quatre rencontres littéraires, dont un « Hommage à Oum Kalthoum », et « Un dimanche à Gaza », à la Médina du Domaine d’O, ouverte de 14h à 00h.

 

Le « Barbès » parisien ajoute sa « french touch » transmaghrébine et fête ses 30 ans au festival ! Crédit Photo ONB

 

Mais pour la fin de l’histoire, on a gardé deux surprises, deux étonnants spectacles : à ne pas rater ! Boys don’t cry, le 12, est une improbable partie de foot inventée par Hervé Koubi, dansée par sept prodigieux interprètes. La masculinité est mise en regard, dans une déclaration dansée, et aussi une acrobatique compréhension de soi… Et pour briser les tabous, Kabareh Cheikhats présente le 14, Mémoires en scène, qui met en avant les « Cheikhates », ces femmes marocaines libres mais marginalisées, résistantes aux oppressions. Les acteurs qui les incarnent, hommes vêtus de robes chatoyantes et maquillés comme des stars, interprètent leur riche répertoire ancien, chanté et dansé, qui nous interpelle. Les idées s’entrelacent, les rencontres prennent sens, en tous sens, inspirées comme des arabesques.

Michèle Fizaine

 

 

Rencontres, débats et découvertes, gastronomie et artisanat, pendant tout le festival, au Domaine d’O. Crédit Photo Arabesques LJ

 

Festival Arabesques, du 9 au 21 septembre 2025, infos, programmes et horaires. Billetterie. Contact : 04 99 77 00 17.

Photo 1. Voix et âme de l’Orient, Oum Kalthoum était surnommée « La quatrième pyramide ». Photo à Gizeh en 1972. Crédit Photo Institut du Monde Arabe

Lire aussi : 20e édition d’Arabesques : rencontre des arts du monde arabe

 

Notes:

  1. Auparavant, la chanteuse Waed Bouhassoun, inspirée par Oum Kalthoum depuis son enfance, lui a rendu hommage au mois de mai par un concert au Corum de Montpellier.
  2. Dorsaf Hamdani est auteur d’un album qui rend hommage à Oum Kalthoum, Fairouz et Asmahan, « Princesses du chant arabe », Harmonia Mundi, 2012.
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J’ai enseigné pendant 44 ans, agrégée de Lettres Classiques, privilégiant la pédagogie du projet et l’évaluation formative. Je poursuis toujours ma démarche dans des ateliers d’alphabétisation (FLE). C’est mon sujet de thèse « Victor Hugo et L’Evénement : journalisme et littérature » (1994) qui m’a conduite à écrire dans La Marseillaise dès 1985 (tous sujets), puis à Midi Libre de 1993 à 2023 (Culture). J’ai aussi publié dans des actes de colloques, participé à l’édition des œuvres complètes de Victor Hugo en 1985 pour le tome « Politique » (Bouquins, Robert Laffont), ensuite dans des revues régionales, et pour une série de France 2 en 2017. Après des études classiques de piano et de chant, j’ai fait partie d’ensembles de musique baroque et médiévale, formée aux musiques trad occitanes et catalanes, au hautbois languedocien, au répertoire de joutes, au rap sétois. Mes passions et convictions me dirigent donc vers le domaine culturel et les questions sociales.