La Venise du Languedoc, appelée aussi « L’Île Singulière », est connue pour ses lieux emblématiques entre mer, étang et canaux, de la Pointe Courte au Mont Saint-Clair. Son identité, sa culture locale, ses créations populaires continuent de surprendre et de poser quelques questions « singulières » ! Une balade estivale à Sète à suivre cet été avec altermidi au fil de nos articles.
Depuis des mois « Eugenio Amalfi » a sorti des dizaines de titres. Surprise : c’est un tandem qui produit textes et musiques, avec l’aide de l’Intelligence Artificielle. Création sétoise ?
Mystère : qui est cet Eugenio Amalfi, qui s’est mis à chanter en février de nouveaux airs célébrant Sète et son horizon ? Il se présente sur YouTube comme auteur-compositeur et photographe né à Toulouse, inspiré par ses origines occitanes et méditerranéennes, « tissant un lien intime entre ses racines et son univers artistique ». En quelques mois, c’est près d’une centaine de vidéos qui retiennent l’attention, tant il y en a de consacrées à l’Île Singulière et à ses traditions. La suite aurait pu convoquer un direct, un show en live, ou un concert estival… Impatients de le rencontrer.
Une floraison de chansons nouvelles, une énigme
Les titres Sète, libre et belle et Où es-tu Brassens ? sont remarqués tout de suite sur les réseaux et commentés comme des hymnes sétois, le premier citant notamment le poète Albarède. Les origines italiennes du chanteur sont vite identifiées dans Sète, bella mia, Sète, la perla del Mare ou De Cetara à Sète. Eugenio a donc des racines amalfitaines.
L’éloge de Sète se poursuit, comme une visite guidée au fil des airs, Quartier haut, Cimetière Marin, Halles, Pointe Courte, sans oublier sa gastronomie, tielle, brasucade, bourride, macaronade… Tout cela se déguste en chansons. L’étang et Frontignan, où vit le compositeur, ne sont pas oubliés, pas plus que le sport local. S’ajoutent des thèmes personnels, une Ronde des prénoms qui réunit une quinzaine d’invités, beaucoup d’amour dans Le cœur en musique, des souvenirs d’enfance et de famille, dont l’émouvant Mon vieux père, et les petits chats, compagnons du quotidien, ont droit à L’écho des coussinets. Dans une belle vidéo, Eugenio Amalfi a aussi appelé à être « Debout pour Saint-Maurice », afin d’aider à la rénovation de l’église de Balaruc-le-Vieux.
Récemment, sa voix parle aussi de l’actualité, et tout un engagement politique se fait entendre dans « Les chants du dedans », avec des titres marquants, notamment Le trône est une scène ; Seul contre tout ; Le plus fort n’est pas celui qu’on croit. Pouvoir, résistance, combat, un message à suivre.
Mais Eugenio Amalfi n’est pas le trentenaire qu’on imagine en l’écoutant. Ce chanteur est un personnage conceptuel, construit par deux créateurs. Jacques Carles, ingénieur et chercheur, écrivain, un des fondateurs de « La Lettre de Sète » (devenu « Thau Infos »), écrit les textes des chansons, et son fils Sylvain Carles, ingénieur du son, s’occupe des musiques, des voix, avec l’aide des logiciels audio et de l’Intelligence Artificielle. Une plongée étonnante dans les méandres de la composition assistée, pour un octogénaire et un quinquagénaire, qui ne font pas partie de la nouvelle génération ChatGTP, mais entrent très discrètement dans ce Nouveau Monde. Rien à voir en tout cas avec le genre de bruit fait la semaine dernière autour de l’Ajax Liquid inventé par la « Com’ » de la Mairie de Béziers : une « Fiesta Loca » bas de… gamme. L’IA ne remplace pas le talent.

L’Intelligence Artificielle prend le relai ?
Comme tous les hymnes à la gloire de L’Île Singulière, les chansons d’Amalfi évoquent des lieux connus. On a déjà repris en cœur « Sète si belle sur la mer » d’André Richin, qui date des années 50, « Siam de Seta », « La Musa de la mar », « La Cornicha », ces morceaux du début du siècle, de Théron, Jouveau, Soulet, Giraud, chantés par Philippe Carcassés ou Alain Charrié, et la série « Cette marine », « Cette la bleue », « Cette de nos rêves ». Affaire à suivre, si l’héritage se transmet avec l’aide de l’IA.
Jean-Michel Lhubac, qui connaît les traditions chansonnières, et qui est l’auteur avec Marie-José Fages de « Sète en chansons » (Eurotambfi/OPCI/Domens, 2022), n’ignore aucun des poncifs qui enguirlandent la ville depuis 250 ans. Le répertoire s’élabore au fil du temps, au gré des airs plus ou moins vite adoptés. Et les nouvelles possibilités changent forcément la donne. Comment se construit la tradition ? « Cela se fait avec le temps. La question est de savoir si la communauté est prête à accepter les nouvelles propositions, et surtout à se les approprier ». Et pas seulement les chansons grivoises qui fleurissent aux pauses et aux repas, quand « La boiteuse » piscénoise se fait sétoise !
L’IA serait une « Identité Artificielle » ? De A à I, « Amalfi » interroge. Les technologies avancées modifient la question. Il est vrai que certains airs sont devenus sétois en venant… de plus loin. « Les Marchés de Provence » sont incontournables depuis plus de 50 ans, « Les Lacs du Connemara » occupent régulièrement les quais, « Emmenez-moi » est vraiment devenu emblématique de Sète. Il s’agit de chanter pour la Saint-Louis, et il y a des surprises. Jean-Michel Lhubac se souvient qu’un rameur lui a demandé de chanter « Gardez-vous de vieillir », apparemment inscrit à son répertoire : « La question est toujours ouverte sur le rôle de ces chansons, où l’on doit se reconnaître. Il y a forcément une évolution chansonnière ».

Les dernières années ont été inspiratrices pour les créations dans le milieu des joutes, et après Ricoune et sa « Saint-Louis », il y a eu les airs « Sète inspire » et « La marche des ventres bleus » de Jean Alingrin, « Les rameurs » de Jean-Louis Zardoni, et plus récemment « La traverse des hautbois » de Wolfgang Idiri et « Dédé et Loulou » de Philippe Carcassés. Les jouteurs se sont mouillés, qu’il s’agisse de Gilbert Lambrano, ou de David Gras et sa « Marche du Grau du Roi », ou de la tendance punk du trio « Sète Joutes Ultras 34 », soutenu par Didier Wampas. Ce ne sont pas les seuls et il y aura bientôt d’autres airs à découvrir, pas seulement ceux d’Amalfi. Avec ou sans IA.
Inspirations et voix de garage
Comme un engrais, l’IA peut faire pousser les musiques, permettre des adaptations plus faciles, surtout si l’on n’est pas musicien, si en tant que jouteur ou rameur on a envie de pousser la chansonnette, et d’étonner tous ceux qui vont reprendre en cœur un air connu.
Mais cette nouvelle gastronomie musicale invite l’IA entre tielle et tellines, comme une nouvelle approche à digérer, sachant que les 20 000 morceaux composés actuellement chaque jour représentent 20 % du domaine musical quotidien. Une déferlante non maîtrisée face à laquelle les indépendants, artistes, compositeurs et chanteurs, ont réagi récemment, comme les plateformes Deezer et You Tube, pour alerter sur le menaces que fait peser l’IA sur la création musicale humaine.
Les possibilités inventives, originales, anticonformistes, sont évidemment réduites, l’IA ne dispose que de ce qui existe déjà ! Difficile de se passer de la scène et de la présence physique des chanteurs et musiciens. Reste à donner du sens à ce qui reste encore inconnu, si l’on imagine de nouvelles images, si l’on porte sur Sète un regard personnel, indépendant, comme a semblé le proposer le tandem « Eugenio Amalfi ».
Michèle Fizaine
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