La Venise du Languedoc, appelée aussi « L’Île Singulière », est connue pour ses lieux emblématiques entre mer, étang et canaux, de la Pointe Courte au Mont Saint-Clair. Son identité, sa culture locale, ses créations populaires continuent de surprendre et de poser quelques questions « singulières » ! Une balade estivale à Sète à suivre cet été avec Altermidi au fil de nos articles.

 


Entre hautbois et tambour un dialogue éternel exalte les jouteurs, sur fond sonore de peñas. La saison des tournois a déjà bien commencé. Sur les quais, révisez vos partitions !


 

Saint Pierre, Pavois d’Or, championnats et emblématique Saint Louis : les épreuves sportives, les affrontements héroïques, se succèdent, toujours ponctués de musiques sans lesquelles ces tournois n’existent pas. Elles sont populaires et savantes, parfois faciles mais souvent complexes, toujours essentielles.

L’an dernier, un touriste a demandé « C’est une manifestation contre quoi ? », en voyant passer des hommes armés, des jouteurs pleins d’énergie. Le « non-sétois » est intrigué par le côté sportif de ces affrontements, ou leur côté chevaleresque. Mais cette tradition méridionale, particulièrement inscrite à Sète, intéresse les télévisions étrangères, notamment japonaises, qui lui ont consacré de grands reportages. En 2023 une photo de la Saint-Louis a fait partie d’une exposition sur les murs extérieurs de l’Ambassade de France à Ho Chi Minh-Ville, au Vietnam. Loin du folklore, la musique des « ajustas » rythme le déroulement des passes des jouteurs, contribue à la prouesse, à l’émotion.

 

Défilé en musique avant l’embarquement : hautbois et tambours ont tout un programme. Crédit Photo altermidi M.F.

 

Musiques sur l’eau : un duo percutant

Hautbois et tambours accompagnent les jouteurs dans leurs défilés, dans leurs exploits, dans leurs récompenses. C’est impressionnant. Chaque barque a son binôme hautbois/tambour portant sa couleur, rouge ou bleue. Le hautbois populaire à anche double est roi, et depuis 1666 le répertoire musical se transmet. Il est riche et varié, lié au protocole, au déroulement de la journée. C’est parti.

Une salle du conservatoire porte le nom d’Antoine Aillaud, dit Toète (1871-1948)

On se souvient d’abord que jadis les musiciens étaient reçus par la municipalité à la gare de Sète où ils arrivaient, et leur trajet était gratuit. Cette tradition se conserve, et tout commence donc avec la célèbre « Valse du chef de gare ».

Ensuite les airs composés pour les défilés qui interrogent les touristes peuvent être des morceaux de parade, d’accompagnement, d’embarquement, de combat ou de fête – pour la remise des prix -, au nombre d’une bonne quinzaine. Ils portent souvent les noms des musiciens d’autrefois : Cauvy, Beaumadier, Biau, Benjamin, Rouveroli, Larose, les frères Briançon… et surtout Aillaud, dit « Toèta », hautboïste le plus célèbre dont le surnom vient de « toreta », terme occitan désignant l’instrument. Jadis le hautboïste jouait aussi du tambour de 10 pouces, et dans le duo qui réunissait les deux instruments, c’est le hautbois qui payait son accompagnateur. Pour autant la frappe est réputée assez « singulière » et depuis les années 60, Jean-Louis Zardoni, neveu de Toèta, a contribué à enrichir ce patrimoine. Un record pour « La Charge », air légendaire comme le « Teleté » Il faut découvrir maintenant les morceaux essentiels au déroulement du combat. Avant l’embarquement, « La descente de la Bourse » et l’incroyable « Chibille », avec ses demi-tours et ses lances croisées, sont des moments intenses. Une fois embarqués, les musiciens ne font pas qu’amuser le monde… « Le salut des jouteurs » accompagne les combattants qui font tournoyer leurs lances avant le combat.

Le morceau le plus joué est « La Charge », pendant l’échange des passes, repris parfois un nombre incalculable de fois, plus d’une centaine, notamment quand il y a des refus. Une année, le tournoi des lourds a duré plus de sept heures… C’est un air héroïque assez exigeant car il doit être rythmique et dynamique mais aussi presque lyrique et provocant. C’est toute une légende. A l’origine « La Charge » reprend la « Cançon de las ajustas », qui évoque le combat opposant à l’origine les mariés vêtus de vert et de rouge sur la barque rouge et les célibataires habillés de blanc et de bleu sur la bleue. Cet air très pittoresque « Maridats tenètz-vos ben / Aici la joinessa qu’arriba » » (Mariés tenez-vous bien / Voici la jeunesse qui arrive) figure en ouverture de « L’Opera de Frontinhan », œuvre baroque et populaire composée par Nicolas Fizes en 1678, mais aucune partition n’a été conservée. C’est un air envoûtant, qui a fasciné le compositeur Camille Saint-Saëns !

Il arrive qu’à l’issue d’une belle passe les deux jouteurs tombent à l’eau… Et hautbois et tambours saluent ce « bouquet » en jouant le morceau « Le jouteur tombe à l’eau », ou plus précisément « Lo Teleté », un terme ironique venu du grec ancien. Avec humour, le mot « τελετή » désigne un « dénouement » énigmatique, sombre ou dionysiaque : mort ou plaisir… un point final.

 

Pour le plaisir, avec chansons et défis des peñas

On n’oubliera pas les « airs d’agréments », qui sont plus d’une vingtaine, et animent les bons moments, les temps d’attente – quand le jouteur tombé à l’eau se change pour remonter sur la tintaine. Il y a tout un répertoire de marches, valses, scottishs, mazurkas, polkas, javas. Et l’hymne sétois « Chagrin fai ta mala » (Chagrin, fais ta valise), variante de « La Festa de l’Issanka », conclut le tournoi, et célèbre le vainqueur. Certains airs sont signés par les vedettes d’antan, Toète, Larose. Hautbois et tambours ont ajouté pour animer les temps de loisir des airs plus récents, « Se Canto », « Coupo Santo », ou « Antoine le Sétois » de Zardoni. Ils savent se faire plaisir et faire plaisir aux rameurs en jouant leurs morceaux préférés, plutôt mélodiques, mais on entend parfois espagnolades et musiques jazz et latino.

 

Bella Ciao et ses percus : autour de Deborah, les jeunes Djhino et Djulia. Crédit Photo altermidi M.F.

 

Ces musiques sont indispensables aux tournois. L’ex maire de Sète, François Commeinhes, avait bien dit : « En avant partout ! » en 2018, au Musée de la Mer, lors de la signature du contrat entre les sociétés de joutes et l’Agglo pour financer les musiciens participant aux joutes et promouvoir ces musiques, le conservatoire accueillant classes de hautbois et de tambour. Et ces musiciens pas si « classiques » rivalisent ou se joignent à ceux des peñas, dont la participation est plus récente mais incontournable. On retrouve Bastid’and Co et Bella Ciao. Les passionnés du premier groupe ont largement ouvert leur répertoire depuis Johnny Halliday ou Florent Pagny et savent proposer une splendide « Messe sévillane », sans oublier « Les yeux d’Emilie », « La goffa Lolita », « La grenade »… La famille Baronetto a bien sûr pour air fétiche « Bella Ciao », l’hymne de liberté et de résistance, et déploie le répertoire Brassens ou Bobby Lapointe, en ajoutant Nadau et Ricoune, et un peu de « Paquito » ou de « Vino griego ». Le public est toujours conquis par l’énergie du jeune Djhino, qui a débuté la batterie à l’âge de deux ans, et de sa petite sœur Djulia qui a rejoint leur maman aux percus.

Au fil du canal, au gré des joutes

On chante, et des solos naissent parfois à la table du jury, tout le monde partage les incontournables « Marchés de Provence » de Gilbert Bécaud, dont les paroles sont imprimées sur les éventails, tout comme celles de « Cette si belle sur la mer », d’André Richin, ou « Sète ma bien aimée » de François Rodriguez. Les joutes, c’est vraiment tout un monde de musiques et de chansons, même si toujours… on revient à « La Charge » !

Michèle Fizaine

 

Pour en savoir plus (et reconnaître les morceaux) :

« Las ajustas lengadocianas Les joutes languedociennes », lexique et QR codes, Cèucle Occitan Setori. Gratuit.

Philippe Carcassés et Alain Charrié, « La musique des joutes languedociennes », textes, partitions et CD de 54 morceaux (avec Jean-Louis Zardoni et Daniel Tournebize au tambour), Cordae La Talvera, Cèucle Occitan Setori, 15 €.

Jean-Michel Lhubac et Marie-José Fages, « Sète en chansons », 2022, 110 chants, 130 QR codes, OPCI-Eurotambfi-Domens, 25 €.

Les Mourres de Porc, «Viva l’espòrt lengadocian », CD 2001, 4 titres.

Album « Tradere. Le hautbois en héritage », 2025, 19 titres et QR codes, par Serge Boyer et La Farandole biterroise Escolo Trencavel, Chivirasete, CIRDOC

« L’Obra tambornesca » (L’œuvre au tambour), 2008, court métrage de Marie-José Fages-Lhubac

Photo 1 Hautbois et tambour jouent « La Charge » qui accompagne la passe entre les jouteurs. Crédit Photo altermidi M.F.

 


Série d’été. Sète en questions singulières

Aux joutes sétoises, quels sont les atouts ? Que nous content les murs de Sète ?


 

 

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J’ai enseigné pendant 44 ans, agrégée de Lettres Classiques, privilégiant la pédagogie du projet et l’évaluation formative. Je poursuis toujours ma démarche dans des ateliers d’alphabétisation (FLE). C’est mon sujet de thèse « Victor Hugo et L’Evénement : journalisme et littérature » (1994) qui m’a conduite à écrire dans La Marseillaise dès 1985 (tous sujets), puis à Midi Libre de 1993 à 2023 (Culture). J’ai aussi publié dans des actes de colloques, participé à l’édition des œuvres complètes de Victor Hugo en 1985 pour le tome « Politique » (Bouquins, Robert Laffont), ensuite dans des revues régionales, et pour une série de France 2 en 2017. Après des études classiques de piano et de chant, j’ai fait partie d’ensembles de musique baroque et médiévale, formée aux musiques trad occitanes et catalanes, au hautbois languedocien, au répertoire de joutes, au rap sétois. Mes passions et convictions me dirigent donc vers le domaine culturel et les questions sociales.