La Venise du Languedoc, appelée aussi « L’Île Singulière », est connue pour ses lieux emblématiques entre mer, étang et canaux, de la Pointe Courte au Mont Saint-Clair. Son identité, sa culture locale, ses créations populaires continuent de surprendre et de poser quelques questions « singulières » ! Une balade estivale à Sète à suivre cet été avec altermidi au fil de nos articles.
Inédit dans l’univers sétois : on s’initie aux joutes à travers un jeu de société. À découvrir. « Le Jeu des Joutes » change la nature des tournois : fidèle à la tradition mais dans un tout autre défi.
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Nouvelle décision du jury : le jouteur a tiré la bonne carte ! La saison des joutes vient de commencer à Sète, et la Saint-Pierre était le premier grand épisode ! En fait, loin du Canal Royal, « Le Jeu des Joutes » a permis à certains, l’hiver dernier, de poursuivre les passes, au chaud, chez soi au coin du feu. Un groupe d’amis sétois, six amateurs de jeux de société, a eu l’idée de mettre les défis sur la table plutôt que sur la tintaine*, et a fait le pari que cela pouvait marcher. Un sacré boulot, un monde à recréer, un vécu d’émotions à transposer, un humour sétois à conserver.
Un Salut des Jouteurs
L’idée est venue un 21 novembre, alors que les copains fêtaient l’anniversaire de Florent Marty, infographiste. Le voilà prêt à créer des visuels, et la blague devient un projet, lancé par Franck Lagrange qui va prendre en main le cahier des charges, tandis que les chevaliers de la tintaine* Giani, Mathieu et Yann apportent leur grain de sel. Et surtout Nicolas Privat, jouteur de Balaruc, est complice pour que le résultat soit réalisé au plus juste, au plus près.
Quand il ne tire pas les cartes, Franck Lagrange est souvent loin des canaux : il est un rare et renommé marin sétois qui a traversé toutes les mers du monde. Il a fait ses études au Lycée de la Mer, et a passé plus de cinq ans à ravitailler les bases, en Australie ou Afrique du Sud. L’hiver dernier il l’a passé dans l’Antarctique ! L’aventure est repartie avec la réfection en Tunisie du car-ferry de Corsica Linea, le célèbre « Méditerranée », ex « Danielle Casanova » de la SNCM, et il est heureux : « Ce vieux bateau a une belle histoire ! »
Ses choix, il y tient. De sa carrière il a décidé librement, quitte à reprendre un cursus à 35 ans… Donc son goût pour les jeux de société l’a poussé à s’engager à fond dans son projet de « joutes » : « On peut créer des choses, et ce ne sont pas des idées pécuniaires. Ce jeu est destiné à développer la culture sétoise, et même occitane, car c’est à une échelle ultra locale, mais on a eu aussi de bons retours extérieurs. »

Victoire pour Félicien Gulière !
Le jeu est sorti en novembre dernier. 214 cartes pour 2 à 6 joueurs, trois piles : les bleues « Bonus-Gradins », les blanches « Jouteur », les rouges « Décision du jury ». Pour l’inventer il a fallu faire des choix. Tout d’abord, décider qu’il y aurait deux dés ! Explication : « On a mis une part de hasard. Chaque jouteur a une force mais il faut qu’il puisse la bonifier. Ensuite dans les cartes en main il y a des bonus, mais on peut aussi se voir infliger un malus… Et le favori ne gagne pas forcément ! » Tous présents, les jouteurs sont 102 : ils sont au nombre de 6 pour les 17 sociétés de joutes. Mais ils ont été inventés et leur portrait créé par l’IA : « On n’a pas voulu de personnages de BD, ou d’images pour des enfants, mais ils sont tous présents, le freluquet comme le costaud ou le joufflu. » Avec des noms bien sétois, si vous savez décrypter : Thomas Caronade, Aleksey Taram, Donovan Treubleux, Edgar Diole… « On a testé les collègues pour les galéjades, explique le chercheur joueur, mais on a aussi réfléchi à l’univers complexe de ces combats. »
Les règles des tournois de joutes à Sète ne sont pas simples, et si l’on veut suivre de près ce qui se passe, et avant tout comprendre les commentaires et les décisions du jury, il y a pas mal de repères à connaître, et en premier le lexique : garde, bouquet, bigue, chichois… Aux trois piles de cartes (découvrez la magique « Merci le barreur »…) on a donc joint un Règlement, et un QR code permet de connaître toutes les règles officielles des joutes languedociennes. À consulter.

En avant partout !

L’équipe a travaillé tous les soirs, perplexe de découvrir qu’un touriste ne comprend pas le mot pavois, perplexe aussi à l’idée que les joutes de Lyon à Martigues ne sont pas les mêmes que du Grau à Valras, ni à Sète. Franck Lagarde en parle avec enthousiasme : « C’était six mois d’un boulot intense, un travail à la chaîne. Et on a beaucoup cherché, il fallait trouver tous les vices, les erreurs possibles. On ne créait pas le nouveau Monopoly ! »
L’équipe se demande si elle va rééditer le jeu cette année, car ce serait un lot de 500, et remplir les boites leur a bien occupé les soirées… Mais il y a de nouvelles idées, et tout d’abord un jeu de cartes « junior » avec notamment pour portraits des battants les photos des jeunes des écoles de joutes. Autre projet : un jeu de « bluff » un peu mystérieux, à partir du vol d’une toile de l’artiste Vivi Navarro1 en 2018 (chut, on en saura bientôt plus…). Franck Lagarde n’a pas fini avec les surprises et les blagues. Si la peña va vous donner un bonus, et le hautbois qui a fait un couac un malus, les jouteuses pourraient avoir bientôt leur mot à dire, et le « FLA » du tambour comme l’hymne « Chagrin fai ta mala » seraient peut-être aussi de bonne cartes. Maintenant, à vous de jou(t)er !
Michèle Fizaine
*La tintaine est l’échelle inclinée, à l’arrière des barques, construite avec deux bigues (poutres), et surmontée d’un plancher, plate-forme située au-dessus de l’eau où se tient le jouteur, face à son adversaire.
Le Jeu des Joutes (25 €) est disponible ICI ou à la Librairie Gavaudan, 1 rue Gambetta, près des Halles de Sète.