Face à l’érosion côtière et à la montée du niveau de la mer, l’adaptation des territoires littoraux au changement climatique constitue un enjeu majeur pour les régions côtières. Lundi 7 juillet, l’Association Nationale des Élus des Littoraux (ANEL) a envoyé une lettre ouverte à François Bayrou pour dénoncer l’abandon d’un Fonds « érosion côtière », financé par la solidarité nationale, dont l’objet serait de financer la lutte contre le recul du trait de côte.
Les falaises s’effritent, les plages s’amenuisent… Avec le changement climatique et la montée des eaux, tout le littoral français est exposé à un risque accru d’érosion. En France métropolitaine, un quart du linéaire côtier est en érosion (1 720 sur 5 500 km de côtes), 44 % sont stables et 10 % progressent (le reste du littoral étant artificiellement figé et/ou pas étudié. Les élus des littoraux expriment leur profonde déception face au désengagement de l’État sur la question cruciale de l’adaptation des territoires côtiers au changement climatique.
Le bassin méditerranéen est frappé par les premiers effets du dérèglement climatique qui ont vocation à s’amplifier. Leur anticipation et l’émergence de solutions d’adaptation constituent un défi majeur à relever. Pourtant alors que la France vient d’accueillir la Conférence des Nations Unies sur l’Océan à Nice en grande pompe, le fonds d’adaptation au changement climatique attendu depuis des années par les élus des littoraux est resté en cale sèche.
Réunis en association, les élus rappellent que 12,5 % de la population vit sur un littoral représentant 4 % du territoire et que ces zones sont un pilier du tourisme et de l’économie nationale. Ils tirent la sonnette d’alarme dans une lettre ouverte adressée à François Bayrou que nous publions ci-dessous.

Lettre ouverte à M. François Bayrou, Premier ministre
Objet : Dernier appel avant décrochage du dialogue entre l’État et les collectivités
littorales.
Monsieur le Premier ministre,
Toutes les conditions étaient pourtant réunies pour que 2025 soit une grande année pour nos littoraux. Année de la mer tout d’abord, qui devait participer à maritimiser les esprits et rappeler aux Français que l’une des grandes forces de leur pays, c’est la présence sur tous les océans de la planète de l’archipel France et de son littoral exceptionnel, le seul au monde sur lequel le soleil ne se couche jamais.
Année de l’accueil de la Conférence des Nations Unies sur l’Océan (UNOC) à Nice, co-organisée avec le Costa Rica, qui fut l’occasion du lancement d’une coalition mondiale des villes côtières, et où nous aurions pu montrer que notre pays se voulait volontaire et innovant en matière d’adaptation des territoires côtiers face aux conséquences de l’évolution climatique.
Année où devait — enfin — aboutir l’engagement donné aux élus des littoraux, à plusieurs reprises, par plusieurs ministres et gouvernements successifs, y compris le vôtre, qu’un grand fonds d’adaptation au changement climatique serait mis en œuvre pour concrétiser l’instauration d’une nécessaire solidarité nationale afin de venir en soutien aux collectivités littorales qui subissent, en première ligne, les effets de plus en plus violents et répétitifs de la montée du niveau des mers, des épisodes tempétueux et cycloniques, avec des conséquences particulièrement marquées sur le recul du trait de côte.
Autant d’éléments qui devaient donner aux collectivités des littoraux français la perspective d’une juste reconnaissance et prise en considération de la situation préoccupante à laquelle elles sont d’ores et déjà confrontées et qui va s’amplifier de manière exponentielle dans les toutes prochaines années, laissant entrevoir le déferlement d’un tsunami d’investissements à mettre en œuvre et prêt à s’abattre sur leurs finances publiques locales. Mais l’océan des promesses a accouché d’une sardine.
Pourtant les données scientifiques démontrant l’urgence de la situation et les répercussions catastrophiques à court terme sur de nombreuses habitations, infrastructures privées ou publiques des espaces littoraux français existent. L’étude menée par le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) en 2024 a conclu que le seul effet de l’érosion côtière allait affecter dès 2050 plus de 5 200 logements et 1 400 locaux d’activité pour une valeur totale de 1,2 milliards d’euros. Et sans compter les impacts sur de nombreuses infrastructures et réseaux publics !
Pourtant les élus des littoraux, avec l’ensemble des acteurs scientifiques, associatifs, économiques ou encore universitaires, réunis au sein du Comité National du Trait de Côte (CNTC), ont travaillé de manière concertée et constructive, dans le respect des points de vue de chacun, pour aboutir à des propositions consensuelles. La nécessité d’une solidarité nationale avec les territoires littoraux a fait l’unanimité, et des propositions concrètes d’abondement à ce nouveau fonds ont été élaborées, faisant appel à des modes de financement qui avaient le souci permanent de ne pas avoir d’impact sur l’état des finances de l’État, les collectivités locales sachant, pour leur part, l’importance d’avoir un budget équilibré à la fois dans ses dépenses et ses recettes.
Fort de cet esprit de responsabilité et de ce travail méticuleux fourni par l’ensemble de ces corps intermédiaires qui ont en commun le souci de la préservation des littoraux et de ceux qui y vivent, ainsi que de son adaptation aux siècles à venir, les membres du CNTC attendaient avec impatience de passer de la théorie à la pratique de la mise en œuvre de solutions de financements concrètes à bâtir en lien avec les services de l’État. Et le peuple mérien a déchanté. Il a vu la parole de l’État devenir plus fluette et moins franche sur ce sujet pourtant majeur lors des dernières réunions du Conseil National de la Mer et des Littoraux (CNML).
Il a cru avoir mal compris les conclusions du Comité Interministériel de la MER (CIMER) dont vous avez fait lecture à Saint-Nazaire le 26 mai dernier et où l’idée d’une solidarité nationale rejoignait les épaves des navires abandonnés dans les abysses. Il ne comprend pas le déni complet de tout ce travail qui lui a été signifié par vos représentants lors d’une réunion exceptionnelle du CNTC. le 1er juillet dernier, destinée à clarifier les incompréhensions précédentes, mais qui n’a fait que lever le voile sur l’absence totale de prise en considération de ses travaux.
Il attend toujours les prises de parole publiques de votre ministre de la Transition écologique, de la Biodiversité, de la Forêt, de la Mer et de la Pêche de France reprenant les engagements donnés en réunion de travail, alors même qu’elle déclarait à Nice le mois dernier, que l’adaptation des littoraux était une grande priorité de votre Gouvernement (!).
Et pourtant, la situation devrait vous pousser à prendre des décisions immédiatement :
– Les Français sont de plus en plus nombreux à vivre sur les littoraux. Sur un espace représentant 4 % du territoire national vivent 12,5 % de la population de notre pays ; la densité de population y est 2,5 fois plus importante que sur le reste du pays. Cette tendance se confirme et s’accroît, rendant les adaptations des littoraux d’autant plus urgentes et cruciales.
– Les littoraux sont le fer de lance et la locomotive de l’activité touristique de notre pays, première destination mondiale. Un des rares secteur où la France fait la course en tête et qui génère des retombées économiques conséquentes ainsi que de nombreux emplois non délocalisables. Autant d’éléments qui seront inévitablement mis à mal si aucune décision n’est prise dès maintenant pour aider les territoires littoraux à faire face aux enjeux à venir.
La colère des élus des littoraux est forte et leur patience est épuisée.
Face à un sentiment d’absence d’écoute véritable, l’ensemble des adhérents de l’Association Nationale des Élus des Littoraux prend cette initiative — inédite — d’une lettre ouverte pour vous enjoindre de prendre réellement toute la mesure du moment charnière où nous nous trouvons. Les habitants des littoraux ont appris de longue date à vivre dans un environnement empreint de risques particuliers.
« Ô flots, que vous avez de lugubres histoires ! » écrivait Hugo…
Mais l’Homme, présent sur les littoraux depuis des millénaires, a toujours su trouver les moyens de s’adapter aux spécificités de cette vie côtière. Ensemble nous pouvons continuer à écrire un bel avenir pour nos territoires, mais pour cela, il faut que votre vision de cet avenir ne consiste pas en un abandon des littoraux mais envisage la perspective de moyens permettant la survie de cette identité mérienne qui est une part intangible de la culture française.
Il n’est pas encore trop tard pour trouver, ensemble, la voie d’une solution viable et pérenne au financement de l’adaptation de nos littoraux aux effets du changement climatique, mais le temps est compté avant que cette ultime opportunité ne se referme et ne laisse place à un profond sentiment de colère et d’amertume. Les élus des littoraux sont à votre disposition et votre écoute M. le Premier ministre, afin de laisser une dernière chance au dialogue constructif qui avait été initié de se poursuivre et d’aboutir à un résultat acceptable pour les territoires que nous représentons et défendons pour le bien de l’ensemble de notre pays. La balle de match est dans votre camp.