« Le véritable test de solidarité ne se produit pas dans les moments de triomphe, mais dans les moments d’épuisement, lorsque le désespoir menace, lorsque la lutte semble vaine. » Samah Jabr, psychiatre en exercice en Palestine.


 

Lors de la dernière séance de ciné-débat Palestine le 27 Juin à l’Utopia de Montpellier, nous avons passé le film documentaire sélectionné à Cannes dans la sélection ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion)1 Put your soul on your Hand and walk (mets ton âme sur ta main et marche) de la réalisatrice iranienne Sepideh Farsi dans son dialogue avec la photographe palestinienne de Gaza Fatem Hassona. Fatem a été assassinée à Gaza avec toute sa famille par l’armée d’occupation israélienne dans une frappe ciblée quelques jours après la sélection du film à Cannes. Lors du débat nous avons appris que les mots du titre sont d’un poète palestinien très reconnu à Gaza, Ibrahim Touquan. « Avec Abu Salma (Abd al-Karim al-Karmi) et Abd al-Rahim Mahmud, Ibrahim représentèrent le summum à partir des années trente, de la vague des poètes nationalistes qui enflammèrent la Palestine tout entière par l’agitation et l’éveil révolutionnaire. 2»

Tout au long des échanges entre Fatem et Sepideh nous entendons l’importance, la nécessité, la valeur du soutien psychologique aujourd’hui à Gaza, et la résonance avec le travail fait depuis mai 2024 par l’équipe soutenue par l’UJFP dans les camps de Déplacé.e.s éclaire fortement notre réflexion sur le soutien psychologique et juridique des femmes à Gaza, une nécessité contre l’effondrement d’une société.

L’histoire montre que la persévérance refaçonne la réalité, la Palestine ne fait pas exception. Allons-nous laisser la peur, l’épuisement ou le désespoir nous paralyser ? La santé mentale aussi est un enjeu décolonial ; génocide, déplacements, blocus, humiliation, toutes ces souffrances sont à re-politiser en termes d’effets sur la santé mentale. En faire un enjeu de justice devant la destruction de la structure émotionnelle, cognitive et psychique, c’est cela que les équipes ont compris en mettant la priorité sur le soutien psychologique. Les traumatismes transgénérationnels dépassent le cadre clinique et la justice est une condition essentielle à toute guérison.

À une époque où les maisons tombent comme des feuilles mortes, et où les instants de paix sont arrachés des bras des mères, le soutien psychologique devient plus qu’une nécessité… c’est une bouée de sauvetage. Permettre aux femmes de parler, de respirer, de pleurer sans honte, est un acte de résistance face à l’effondrement.

À partir des thèmes spécifiques, en lien avec la réalité du terrain, abordés dans les ateliers depuis les derniers mois et la fermeture des points de passage le 18 mars où la situation s’est encore durcit, nous aborderons les différents sujets, les témoignages oraux des femmes en essayant d’élaborer une réflexion pour ne pas rester dans l’impuissance émotionnelle.

Les ateliers réunissent en général entre 25 et 30 femmes et sont animés par une femme en position de psychologue. Un thème est proposé et la séance se déroule entre le travail de ce thème qui est abordé verbalement avec différentes techniques permettant l’expression, un travail de relaxation et un moment de mise en perspective d’un lendemain pour ne pas parler directement d’avenir mais c’est quand même de cela dont il l’agit : et maintenant on fait comment avec la situation qu’on a abordée pour continuer à rester debout ?

 

 

« Je te porterai sur mon dos, je te fabriquerai des ailes en papier, et nous volerons au-dessus des tentes… en riant. »

 

 

Depuis le 18 Mars cela fait une quinzaine d’ateliers hebdomadaires où les thèmes concernant la santé psychique et physique dans des conditions de vie terribles, la double peine que vive les femmes, la responsabilité des enfants, la famine, la peur, le vol et l’importance de la transcendance ont émaillé tous les compte rendus envoyés régulièrement pas les équipes. Paroles de femmes

– La culpabilité, il est apparu que les femmes se reprochaient énormément de choses. On leur a donc demandé d’écrire une phrase exprimant leur culpabilité, puis de la déchirer, et de la remplacer par une phrase empreinte de compassion envers elles-mêmes :

« Au début de la guerre, je courais d’une maison à l’autre avec mes enfants. Il n’y avait nulle part où aller, nous fuyions simplement. Une nuit, je n’ai trouvé qu’un coin étroit parmi les ruines d’un immeuble détruit. J’ai serré mes enfants contre moi en priant pour que la nuit se passe sans drame. Cette nuit-là, j’ai compris que je devais être forte, que je devais être à la fois leur mère et leur père. Il n’y avait pas d’autre choix. »

-Un cercle de soutien : exprimer, partager, échanger les émotions et la culpabilité, première étape

Travailler les récits, partager à la fois les souvenirs positifs et les histoires d’exil et de patience.

« Ce cercle que nous formons aujourd’hui est le symbole des cercles d’espoir que nous créons ensemble. Vous n’êtes pas seules. Chaque mot prononcé ici est une graine. Peut-être ne verrons-nous pas les fruits demain, mais nous semons… et semer, c’est le premier acte vers la vie. »

– Recoller les morceaux de leurs âmes, la dignité un droit inaliénable : « A chaque déplacement, j’ai l’impression d’être arrachée à ma propre peau. Je ne sais plus qui je suis.

-Faire face avec les enfants pendant les bombardements et les déplacements. À Gaza, la maternité n’est pas qu’un instinct… C’est un combat quotidien contre l’effondrement.Tenir son enfant pendant les bombardement.Chanter à sa fille dans une école surpeuplée. Caresser le front de son petit et lui dire : je suis avec toi. C’est cela, et cela seulement, l’héroïsme.

« Je réalise maintenant que je demande à mon enfant d’être fort, alors que je ne m’autorise pas à être faible devant lui. Peut-être est-ce pour cela qu’il se cache encore plus, car il n’a pas trouvé d’espace pour avoir peur, comme moi. »

– Comment semer la joie dans le cœur de nos enfants pendant l’Aïd al-Fitr

« Je vais fabriquer un théâtre avec des couvertures et jouer une histoire drôle pour lui »

« Je te porterai sur mon dos, je te fabriquerai des ailes en papier, et nous volerons au-dessus des tentes… en riant. »

 

Dessiner la carte de l’espoir

 

– Un avenir ? Pour ce qui en est d’un premier pas dans l’avenir, à la fin de la séance, les vœux des mères ont été suspendus à la « corde de l’espoir », décorée de fleurs en papier coloré. On y lisait :

« J’espère que mon fils fêtera le prochain Aïd dans sa maison. »

« J’espère qu’il n’aura plus jamais peur du bruit des avions. »

« J’espère le voir rire sans avoir honte. »

« Avant, l’Aïd signifiait un grand rassemblement… maintenant, il représente un moment de calme que je m’accorde. »

– Dessiner la carte de l’espoir : voir Gaza dans cinq ans. Au début, certaines hésitaient, certaines n’avaient pas tenu un crayon depuis des années. Mais peu à peu, les feuilles se sont remplies de dessins naïfs mais vivants : une école, un olivier, une maison, une mer sans navires de guerre, une fillette riant, une femme plantant des fleurs sur le rebord d’une fenêtre.

-Laisser une place à l’émotion : Les larmes étaient là, mais ce n’étaient pas uniquement des larmes de tristesse. C’étaient des larmes de reconnaissance, de partage. Des femmes qui avaient décidé de ne plus être seulement des victimes, mais des actrices du changement, par les mots, sous une tente, même en pleine guerre. Il y avait une patrie en train de naître, faite d’histoires, de rêves, et du cœur des femmes.

-La foi et la spiritualité, une source de sérénité et de réconfort en temps de crise dont peuvent se nourrir les femmes croyantes : des points d’adossement comme la force de la spiritualité peuvent permettre de tenir le coup, de rester vivante et de lutter contre l’effondrement.

« Pendant les bombardements, je ne cessais de répéter : ‘Dieu me suffit, Il est le meilleur garant’… Je sentais que Dieu seul me tenait debout pour ne pas m’effondrer. Je marchais parmi les décombres, et j’avais l’impression que seule la prière faisait avancer mon âme ».

La discussion collective aborde également les concepts de patience, d’acceptation et de confiance en Dieu, non pas comme des prêches théoriques, mais comme de véritables moyens de survivre.

Aborder la famine et la peur de front : un atelier dont la proposition était la suivante, les femmes de Gaza nourrissent la faim par la patience.

« Une nuit très froide, nous n’avions qu’un demi-pain. Je l’ai partagé en quatre, et j’ai pris… l’air. »

« Mon fils m’a demandé : ‘Maman, il y a du pain ?’ Je lui ai dit : dors, mon chéri, tu verras le pain dans tes rêves. »

Une participante a raconté le jour où elle a fait bouillir de l’eau, simplement pour faire croire à ses enfants qu’un repas arrivait. Elle a continué à faire bouillir l’eau jusqu’à ce qu’ils s’endorment d’épuisement. Même le goût est devenu un rêve »

La gestion de la peur abordée dans un atelier qui fait la différence entre la peur et l’anxiété : « J’ai ressenti une véritable peur lorsque notre maison a été détruite la nuit, et je cherchais mes enfants sous les décombres. Quant à l’anxiété… elle est quotidienne, quand je pense à où nous irons en cas de nouveau bombardement ou de déplacement.»

« La peur, c’est ce que je ressens lorsque j’entends les avions, tandis que l’anxiété, c’est le poids dans ma poitrine chaque fois que je regarde mes enfants et que je me demande : comment vais-je les nourrir demain ?»

« Avant, je pensais être malade mentalement, être la seule à ressentir ces symptômes, aujourd’hui, j’ai réalisé que l’anxiété est une réaction normale à une réalité anormale et cela m’a apporté une certaine sérénité. »

Comprendre sa peur, c’est la maîtriser. La nommer, c’est en conquérir une partie.

Face à une crise humanitaire écrasante, les ateliers de soutien psychologique deviennent aussi vitaux que l’eau et la nourriture. Ils offrent aux femmes un espace pour crier sans vacarme, pleurer sans s’effondrer, et affronter la faim avec les ressources cachées de leurs cœurs. C’est un moment de répit dans un temps d’effondrement, une bulle de vie dans un quotidien qui étouffe l’âme.

Brigitte Challande

 

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Notes:

  1. Laboratoire pour la création et la diffusion, l’ACID organise depuis 1993 une section parallèle au Festival de Cannes afin de mettre en lien des auteurs avec des milliers de professionnels.
  2. source Wikipédia
Brigitte Challende
Brigitte Challande est au départ infirmière de secteur psychiatrique, puis psychologue clinicienne et enfin administratrice culturelle, mais surtout activiste ; tout un parcours professionnel où elle n’a cessé de s’insérer dans les fissures et les failles de l’institution pour la malmener et tenter de la transformer. Longtemps à l’hôpital de la Colombière où elle a créé l’association «  Les Murs d’ Aurelle» lieu de pratiques artistiques où plus de 200 artistes sont intervenus pendant plus de 20 ans. Puis dans des missions politiques en Cisjordanie et à Gaza en Palestine. Parallèlement elle a mis en acte sa réflexion dans des pratiques et l’écriture d’ouvrages collectifs. Plusieurs Actes de colloque questionnant l’art et la folie ( Art à bord / Personne Autre/ Autre Abord / Personne d’Art et les Rencontres de l’Expérience Sensible aux éditions du Champ Social) «  Gens de Gaza » aux éditions Riveneuve. Sa rencontre avec la presse indépendante lui a permis d’écrire pour le Poing et maintenant pour Altermidi.