Au MUCEM de Marseille, une exposition qui, à travers les traditions, présente une transmission. Jusqu’en novembre.


 

On connaît peu le monde « amazigh » et son vaste domaine, mais si on parle de territoire « berbère », ce terme colonial, pas très éloigné de barbare, évoque davantage géographie et histoire. Si l’on songe aussi aux légendaires amazones, il n’y a guère d’étymologie commune mais un sens assez proche sur le rôle important et reconnu de la femme dans les sociétés depuis l’antiquité.

 

Un voyage « amazigh » de l’Égypte au Maroc. Et plus loin encore…

 

L’exposition « Amazighes – Cycles, parures, motifs » est une des démarches partagées entre le MUCEM (Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée) de Marseille et la Fondation Jardin Majorelle de Marrakech, un partenariat qui suppose inventaire et gestion, mais aussi « valoriser et repenser ». Cela veut aller plus loin que la présentation de trésors conservés et oubliés, et le projet s’inscrit dans le cadre de l’exposition permanente du MUCEM, depuis 2024, « Méditerranée. Inventions et représentations ».

Vaste domaine. La culture amazighe s’étend de l’Égypte au Maroc, couvrant Lybie, Tunisie, Algérie, sans oublier les Îles Canaries et même le Nord du Mali, de la Mauritanie et du Niger. À travers 150 objets du XIXe siècle à nos jours, et quelques pièces archéologiques, l’exposition permet surtout de découvrir des motifs et des symboles qui ont traversé des millénaires. Salima Naji, docteure en anthropologie, et Alexis Sornin, directeur des musées Yves Saint-Laurent Marrakech et Pierre Bergé, en font découvrir la richesse et la diversité, mais surtout mènent une réflexion sur leur signification actuelle, sur l’identité, sur la mémoire*.

 

Une tradition orale antique inscrite dans la culture actuelle

 

Le monde amazigh partage une langue, le tamazight et une écriture, le tifinagh. Mais comme sa culture est construite sur l’oralité, le projet ne consiste pas en une simple collecte mais en l’approche de pratiques vivantes et de transmissions, et il s’agit d’établir un lien entre les racines d’un passé archaïque et les expressions artistiques ou quotidiennes actuelles.

Comme l’expliquent les commissaires de cette exposition très particulière : « De la peau jusqu’aux murs, des visages aux tissages, il est question d’un même rapport au monde : face à l’aléa, face à l’incertitude, se protéger de la faim, de la soif, mais aussi de toute intention malfaisante. Protéger son foyer, protéger les siens, concilier l’environnement proche : celui qui nourrit, celui qui donne ou reprend la vie ».

Dans la tradition amazighe la femme a été considérée comme « un sanctuaire vivant », chargée de préserver coutumes et patrimoine, de transmettre les valeurs culturelles, contes, chants et danses, libre dans son travail quotidien reconnu comme celui de l’homme, et dans sa vie sociale et conjugale. Cette indépendance rare, ce contexte matriarcal ne sont pas toujours évoqués, mais nombre d’objets le rappellent, et comme le souligne le programme de l’exposition : «  Toute action esthétique est associée à une signification d’appartenance, de protection et d’éternel retour. »

 

Énigme, la « pintadera » triangulaire, féminine, porteuse de symboles, de sens multiples. Crédit photo Mucem.

 

 

Triangle, cercle, cycles de la femme et de la nature

 

Tout d’abord le féminin a pour symbole la fibule, agrafe précieuse, parure et symbole, triangle pubien lié à la parure vestimentaire mais aussi au culte de la déesse-mère. Une approche que l’on retrouve dans la symbolique du cercle « intérieur invisible ». Ce sont des croyances liées à tout un réseau de signes aux sens multiples, qui s’emparent du monde familier et des objets du quotidien, du corps tatoué, du sens des bijoux, des lieux, des murs, des portes…

Après le monde des cercles, le cycle de la vie et sa symbolique réunissent tissage, mariage, labour, activités féminines. Les moissonneur.se.s et les tisseuses de tapis chantent la même formule à la fin de leurs travaux respectifs : « Nous t’abreuvons de cette vie, abreuve-nous dans l’autre monde. » Car le tapis peut être considéré comme une figure de la moisson.

L’exposition s’attache à faire redécouvrir le sens de ce qui a parfois été folklorisé, qu’il s’agisse de bijoux, parure, vesture, faisant disparaître les significations d’origine, et les réduisant à un marché touristique, « un art d’aéroport ». Il s’agit donc de redécouvrir, de réinventer, suivant les démarches anticolonialistes portées par Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor qui ont revendiqué la reconnaissance de ces racines et des nouvelles créations.

 

Se réapproprier une culture ancienne

 

Repenser le rôle de la fibule et celui des ferronniers, découvrir la « Pintadera », ce sceau de terre cuite qui marque corps et étoffes, et les motifs de l’« Akhnif », cette cape masculine, repenser les parures de tête et les voiles, ainsi que les ceintures, revisiter des cycles de fertilité, les amulettes, les poteries du cycle agraire, les nattes, comprendre le sens des tatouages… L’exposition propose de tout cela une approche nouvelle, et l’inauguration a eu lieu en avril avec un concert de la chanteuse et percussionniste Oum qui explore la musicalité des mots et toute une poésie d’assonances. La richesse du monde amazigh n’est pas encore entièrement explorée et réinvestie dans cette présentation/recréation, mais la démarche en donne une belle idée. Il faut encore creuser pour faire renaître.

Michèle Fizaine

 

*Sur la thématique de l’amazighité, les Éditions Jardin Majorelle ont publié La culture afro-berbère de tradition néolithique saharienne en Afrique du Nord et dans les pays du Sahel, de Bert Flint, en 2018.

Amazighes – Cycles, parures, motifs, exposition au Mucem – Fort Saint-Jean, bâtiment Georges Henri Rivière, à Marseille, jusqu’au 2 novembre 2025. Accès : inclus dans le billet d’entrée du musée. mucem.org

Photo 1 : La fibule, un bijou, mais bien plus, un lien entre les étoffes, un symbole féminin. Crédit photo Mucem

Henné ou tatouage, des messages s’inscrivent sur la peau et dans les êtres. Crédit photo Mucem

 

 

 

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J’ai enseigné pendant 44 ans, agrégée de Lettres Classiques, privilégiant la pédagogie du projet et l’évaluation formative. Je poursuis toujours ma démarche dans des ateliers d’alphabétisation (FLE). C’est mon sujet de thèse « Victor Hugo et L’Evénement : journalisme et littérature » (1994) qui m’a conduite à écrire dans La Marseillaise dès 1985 (tous sujets), puis à Midi Libre de 1993 à 2023 (Culture). J’ai aussi publié dans des actes de colloques, participé à l’édition des œuvres complètes de Victor Hugo en 1985 pour le tome « Politique » (Bouquins, Robert Laffont), ensuite dans des revues régionales, et pour une série de France 2 en 2017. Après des études classiques de piano et de chant, j’ai fait partie d’ensembles de musique baroque et médiévale, formée aux musiques trad occitanes et catalanes, au hautbois languedocien, au répertoire de joutes, au rap sétois. Mes passions et convictions me dirigent donc vers le domaine culturel et les questions sociales.