Le projet de loi  « visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur », porté par le sénateur républicain Laurent Duplomb, ancien élu du syndicat productiviste FNSEA, inflige un grave recul aux difficiles avancées environnementales et de santé publique.


 

Le projet de loi Duplomb, très soutenu par la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, prévoit notamment :
– la réautorisation sous dérogation et pour trois ans des néonicotinoïdes « tueurs d’abeilles » (l’acétamipride et le flupyradifurone), interdits depuis 2018 pour leur toxicité avérée sur les pollinisateurs et la biodiversité,
– de favoriser la construction de mégabassines et de fermes-usines,
– de détruire les zones humides,
– de promouvoir l’épandage par drones des produits phytosanitaires,
– d’affaiblir l’indépendance de l’agence nationale chargée d’évaluer et d’autoriser la mise sur le marché des pesticides (ANSES) ; le ministère de l’Agriculture aura alors la possibilité de suspendre une décision de l’ANSES.

Selon Yoan Coulmont, chargé de mission plaidoyer de l’association Générations futures, (source Reporterre voir lien) certaines mesures du texte comportent clairement une filiation avec les demandes de la FNSEA (Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles) et des Jeunes agriculteurs.

Adopté par le Sénat le 27 janvier dernier, le texte a été rejeté, le 26 mai à l’Assemblée en commission du développement durable, du centre à l’extrême-droite, dans un but bien précis. Pour contourner les nombreux amendements déposés par les Écologistes et les Insoumis, 274 députés ont adopté la motion de rejet préalable portée par Julien Dive (LR), rapporteur à l’Assemblée. Grâce à cette tactique, le projet de loi, transmit directement en commission mixte paritaire (CMP) où la droite est majoritaire, évite le débat en séance plénière. Les députés et sénateurs repartiront de la version sénatoriale, le texte sera ensuite à nouveau présenté au Sénat et à l’Assemblée pour validation.

La FNSEA a annoncé la suspension de sa mobilisation après le rejet tactique de la proposition de loi Duplomb à l’Assemblée nationale. Elle « appelle le gouvernement à annoncer rapidement la date de la CMP » et dit rester vigilante « pour la suite de l’étude du texte et son application concrète pour les agriculteurs. » La Coordination rurale, quant à elle, se félicite d’un texte « nécessaire, mais qui ne va pas assez loin ». De nombreuses voix de la gauche écologiste de la société civile, syndicats paysans, associations écologistes, scientifiques, malades du cancer expriment leur indignation et leur colère.

 

« Sans abeilles, pas de fruits, pas de légumes, pas d’agriculture durable »

La réintroduction temporaire des néonicotinoïdes, justifiée comme une solution face à l’impasse technique dans la lutte contre certains ravageurs, suscite, entre autre, une forte opposition de la part des organisations environnementales et de la communauté scientifique.

La Confédération paysanne maintient sa mobilisation contre le projet de loi et rejette les mesures mortifères qui ne « répondent en rien à la garantie et à la sécurisation des revenus, à la problématique de renouvellement des générations, aux défis climatiques, sanitaires et environnementaux », décisions élaborées « dans une connivence rétrograde » pour « maintenir une trajectoire d’industrialisation de l’agriculture, au détriment de l’intérêt général ».
En effet, le taux de cancers et de maladies, professionnelles en lien avec l’exposition prolongée ou de la population en général, augmente sensiblement. Selon l’Inserm, « la confirmation et la mise en évidence de présomptions fortes de liens entre certaines pathologies et l’exposition aux pesticides doivent orienter les actions publiques vers une meilleure protection des populations. »

De plus, on constate une disparition massive de la biomasse des insectes (de 60 à 80 % ces dernières décennies). « Cette chute d’effectif des insectes provient de l’agriculture passée d’une pratique tranquille à une industrie qui emploie des produits chimiques : fertilisants, pesticides… Et les cultures ont augmenté. C’est impossible pour les insectes, dont les bourdons, de survivre. C’est sans doute la cause principale. Mais il existe d’autres facteurs : le réchauffement climatique (…) Les insectes qui ont survécu aux dinosaures ne peuvent pas affronter ce bombardement (…) », explique Dave Goulson1, professeur de biologie à l’université de Sussex et auteur de Terre silencieuse. Empêcher l’extinction des insectes2.  Et depuis la mise sur le marché de ces produits, « environ 300 000 ruches ont péri chaque année, soit une augmentation des mortalités de 25 % », souligne l’Union nationale pour l’apiculture française qui alerte du choix politique risqué et d’une fracture rurale : « La réintroduction des néonicotinoïdes, soutenue par certains lobbys, divise le monde agricole et rural. Elle fragilise l’indispensable solidarité entre agriculteurs et apiculteurs, et fait le jeu d’une dérégulation décomplexée, sans protection face à la concurrence étrangère issue des accords de libre-échange. »

Dans une lettre ouverte  adressée aux ministres de la Santé, de l’Agriculture, du Travail et de la Transition écologique, 1 279 médecins, chercheurs et scientifiques alertent sur la loi Duplomb, véritable menace pour la santé publique et l’environnement. Ces scientifiques, pour qui l’impact des pesticides sur le vivant n’est plus à démontrer, mettent en avant le principe de précaution qui en 2016 avait permis d’écarter les néonicotinoïdes en raison du niveau de preuve scientifique élevé de leur toxicité sur les pollinisateurs. Ils soulignent leur refus de la mise sous tutelle de la science : « Cette proposition de loi contient de nombreuses mesures qui vont renforcer la dépendance des agriculteurs aux pesticides chimiques de synthèse, sans pour autant répondre à leur demande de rémunération juste. Or cette dépendance pose déjà d’énormes problèmes de santé humaine et de dégradation de l’environnement. Agriculteurs, riverains, citoyens ne veulent plus servir de cobayes à l’évaluation de l’effet cocktail de toutes ces substances disséminées dans l’environnement, et que l’on retrouve dans l’eau du robinet, les eaux minérales, et nos aliments. Cet effet cocktail doit être sérieusement quantifié en constituant une base de données précises sur les produits utilisés à la parcelle — dose et temporalité — afin de permettre à la recherche de percevoir les signaux faibles qui préludent aux catastrophes sanitaires en croisant ces données avec celles de santé. »

De plus, des solutions préconisées par les écologues scientifiques existent, qui s’appuient sur des principes écologiques, sociaux et économiques tout en assurant le bien-être humain et en produisant des bénéfices pour la biodiversité. Ne serait-il pas grand temps de s’en s’emparer ?

Sasha Verlei

Image. Drone pulvérisant des pesticides sur le champ de blé. Photo Istock

 

Avant de quitter cette page, un message important.

altermidi, c’est un média indépendant et décentralisé en régions Sud et Occitanie.

Ces dernières années, nous avons concentré nos efforts sur le développement du magazine papier (13 numéros parus à ce jour). Mais nous savons que l’actualité bouge vite et que vous êtes nombreux à vouloir suivre nos enquêtes plus régulièrement.

Et pour cela, nous avons besoin de vous.

Nous n’avons pas de milliardaire derrière nous (et nous n’en voulons pas), pas de publicité intrusive, pas de mécène influent. Juste vous ! Alors si vous en avez les moyens, faites un don . Vous pouvez nous soutenir par un don ponctuel ou mensuel. Chaque contribution, même modeste, renforce un journalisme indépendant et enraciné.

Si vous le pouvez, choisissez un soutien mensuel. Merci.

 

Notes:

  1. Podcast La tête au carré. Dave Goulson a étudié la biologie à Oxford et l’enseigne aujourd’hui à l’université du Sussex. Il est un spécialiste mondialement reconnu des abeilles, bourdons, papillons et autres insectes. Il est le créateur en 2006 du Fonds pour la préservation des bourdons.
  2. Traduit par Ariane Bataille, éditions du Rouergue.
Sasha Verlei journaliste
Journaliste, Sasha Verlei a de ce métier une vision à la Camus, « un engagement marqué par une passion pour la liberté et la justice ». D’une famille majoritairement composée de femmes libres, engagées et tolérantes, d’un grand-père de gauche, résistant, appelé dès 1944 à contribuer au gouvernement transitoire, également influencée par le parcours atypique de son père, elle a été imprégnée de ces valeurs depuis sa plus tendre enfance. Sa plume se lève, témoin et exutoire d’un vécu, certes, mais surtout, elle est l’outil de son combat pour dénoncer les injustices au sein de notre société sans jamais perdre de vue que le respect de la vie et de l’humain sont l’essentiel.