La proposition de loi relative à la lutte contre l’antisémitisme, le racisme, les discriminations, les violences et la haine dans l’enseignement supérieur a été adoptée le 7 mai en première lecture à l’Assemblée nationale, avec 131 voix pour et 28 contre.
Le projet, porté par Constance Le Grip (Ensemble pour la République) et Pierre Henriet (Horizons) a pour objectif principal « d’intégrer aux missions des établissements scolaires et d’enseignement supérieur une formation obligatoire à la lutte contre l’antisémitisme et le racisme. » Le texte a reçu le soutien de la droite et du RN. Les écologistes et socialistes l’ont finalement validé. LFI et le Parti communiste ont rejeté une loi liberticide.
Cette proposition de loi, adoptée à l’unanimité par la chambre haute, fait suite à une mission d’information « flash » lancée au Sénat après les accusations d’antisémitisme qui ont accompagnées la conférence pro-palestinienne à Sciences Po Paris.
Plusieurs partis politiques de gauche, syndicats et associations reprochent au gouvernement d’instrumentaliser l’antisémitisme afin de faire taire les voix qui s’élèvent pour la paix et pour dénoncer le génocide en Palestine.
Les débats à l’Assemblée ont été mouvementés, chaque partie accusant l’autre de vouloir invisibiliser ou attiser l’antisémitisme, au centre des discussions. Le ministre de l’Enseignement supérieur, Philippe Baptiste a ouvert les débats en martelant : « Pas un seul étudiant ne doit hésiter à se rendre en cours parce qu’il craint d’être exposé à l’antisémitisme. » Les rapporteurs du texte ont largement utilisé l’expression « antisémitisme d’atmosphère » tirée du rapport d’information sur l’enseignement supérieur qui a précédé le dépôt du texte.
Dans un communiqué publié le 8 mai, le syndicat étudiant UNEF déplore la validation d’un texte qui instrumentalise la lutte contre l’antisémitisme : « en plus de ne donner aucuns moyens concrets pour lutter réellement contre l’antisémitisme, elle introduit des outils supplémentaires pour réprimer les mobilisations étudiantes (…) peu importe le sujet de mobilisation, que ce soit sur la question de la paix en Palestine, le manque de budget dans les universités ou pour lutter contre la précarité étudiante, tout.e.s les étudiant.e.s qui se mobilisent pourront être les cibles de la répression. »
Des étudiants de Paris 8, université de Saint-Denis, citent l’intervention brutale, le 13 mai, de la police et de vigiles de la faculté parés de pistolets Flash Ball et de tasers. L’intervention, qui a lieu à la demande du nouveau président Arnaud Laimé, fait suite à deux actions de protestation contre la présidence après l’expulsion, le 10 mai dernier, d’une trentaine de mamans du collectif Combat pour l’Hébergement 93 et leurs enfants qui occupaient une partie de l’université pour obtenir un logement pérenne. Les vidéos montrent l’arrestation d’une étudiante plaquée au sol et tasée. Plusieurs personnes ont été interpellées.
Marie, étudiante en master de Sciences économiques et sociales, rencontrée sur le campus de Nanterre, confirme que le racisme est présent à la fac. Les discriminations relèvent de l’antisémitisme, de l’islamophobie, du sexisme, de l’homophobie. Pour la jeune femme, l’amalgame entre l’antisémitisme — la haine du juif — et l’antisionisme — doctrine politique que l’on est en droit de critiquer — est un non-sens et une erreur : « Cette confusion rend l’ensemble des juifs responsable de la politique israélienne, elle est dangereuse et nuit à la lutte contre l’antisémitisme. Pourquoi placer une communauté au-dessus d’une autre ? Nous sommes tous égaux. Pour moi, il s’agit de respect et d’égalité des droits, quels que soient l’origine, le genre ou la religion, sans distinction. »
Marie parle de la répression qui s’intensifie à l’endroit des contestataires de l’enseignement supérieur. Sur certains campus, comme à Sciences Po et EHESS, elle s’exerce, dit-elle, à l’égard des étudiants qui dénoncent la politique d’Israël envers les palestiniens notamment les partenariats avec certaines universités israéliennes : « Il y a aussi des actions brutales de l’extrême droite ou de groupes sionistes qui viennent s’opposer aux occupations ou aux manifestations. (…) Selon la fac, les directions des universités, les enseignants, il y a plus ou moins de liberté d’expression politique, syndicale et associative. Mais cette loi qui légalise les surveillances et les dénonciations risque de la supprimer. Ce qui se passe n’est pas en accord avec ce qu’on nous enseigne, l’histoire, le devoir de mémoire, la justice sociale, les libertés publiques… »
« Ne pas confondre racisme et critique légitime d’un État »
L’article 1er du projet de loi renvoie désormais à la définition de l’antisémitisme fournie par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA), adoptée par l’Assemblée nationale en décembre 2019.
Le groupe LFI a soulevé un tollé lorsqu’il a proposé de remplacer la définition de l’IHRA par celle du Code pénal.
Pour rappel, Emmanuel Macron avait annoncé, le 20 février 2019, lors du dîner annuel du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) à Paris, la volonté de la France d’intégrer dans ses textes de référence une définition de l’antisémitisme qui inclut le sionisme, « une des formes modernes de l’antisémitisme » ; Soulignant que cette décision, qui vise « à préciser et renforcer la compréhension de l’antisémitisme dans les pratiques judiciaires et éducatives », ne modifierait pas le Code pénal. La résolution, dite sans valeur contraignante, est rapidement proposée à l’Assemblée nationale pour y être débattue.
En juin 2019, Malik Salemkour, président de la Ligue des droits de l’Homme (LDH), alerte dans une lettre ouverte les députés : « Ce texte n’est pas que maladroit ou vide de contenu concret. Il porte une charge toxique. En effet, adopter une résolution propre à l’antisémitisme, même dépourvue de sens et d’effet normatif, tend à singulariser cette seule forme de racisme, entraînant inévitablement une interrogation des victimes d’autres manifestations de racisme. Pourquoi limiter l’expression de l’Assemblée nationale au seul antisémitisme ? »
Dans une tribune publiée dans le journal Le Monde le 2 décembre 2019 avant le débat à l’Assemblée, 127 universitaires juifs du monde entier appellent les députés français à ne pas soutenir la proposition de résolution assimilant l’antisionisme à l’antisémitisme : « La montée de l’antisémitisme dans le monde, y compris en France, nous préoccupe profondément. L’antisionisme est un point de vue légitime dans l’histoire juive, et il a une longue tradition, y compris en Israël. Certains juifs s’opposent au sionisme pour des raisons religieuses, d’autres pour des raisons politiques ou culturelles. De nombreuses victimes de l’Holocauste étaient antisionistes. Le projet de résolution les déshonore et offense leur mémoire, en les considérant rétroactivement comme antisémites. (…) La définition de l’IHRA est déjà utilisée pour stigmatiser et réduire au silence les critiques de l’État d’Israël, notamment les organisations de défense des droits humains et des experts respectés. La question-clé est la suivante : pourquoi tout cela se produit-il ? »
Le 3 décembre 2019, l’Assemblée nationale adopte officiellement la définition de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (154 députés pour – sur les 577 sièges –, 72 contre). Signe de malaise, de nombreux parlementaires n’ont pas pris part au vote. Ils étaient pourtant près de 550 dans l’hémicycle deux heures plus tôt pour l’adoption définitive du projet de loi de financement de la Sécurité sociale.
Le texte, qui ne mentionne pas explicitement l’antisionisme, présente 11 exemples critiqués pour être flous et à « géométrie variable », l’un d’eux considérant comme antisémite le « traitement inégalitaire de l’État d’Israël, à qui l’on demande d’adopter des comportements qui ne sont ni attendus ni exigés de tout autre État démocratique ».
La mission « égalité et diversité »
L’article 2 du projet de loi prévoit la mise en place d’une mission « égalité et diversité » et d’un référent formé en charge de la lutte contre l’antisémitisme, le racisme et l’homophobie. L’ensemble des personnels seront assujettis à une obligation de signalement des faits ou plaintes d’étudiants et de « toute personne s’estimant lésée par les agissements de l’enseignant-chercheur ou de l’enseignant », que ces faits se tiennent à l’intérieur, en dehors de l’établissement ou sur les réseaux sociaux, l’anonymat des plaignants ou témoins étant préservé. Les présidents d’établissement sont invités à engager une procédure disciplinaire, mais aussi pénale.
L’article 3 réintégré dans la loi
L’article 3, qui porte sur les sanctions disciplinaires et notamment sur la création d’une section disciplinaire commune aux établissements d’enseignement supérieur d’une même région académique, a entraîné d’intenses polémiques. Cette disposition autorise les chefs d’établissements à externaliser le processus disciplinaire sur les dossiers jugés les plus sensibles.
Supprimé en commission, l’article 3 a été réintroduit grâce à un amendement des rapporteurs élaboré en réponse à l’inquiétude de certains députés quant à l’autonomie des universités. Cet amendement précise que l’instance disciplinaire qui sera saisie par le président ou le directeur de chaque établissement sera présidée par un magistrat administratif et composée de représentants de l’administration, des établissements, des personnels enseignants et des usagers.
Pour le ministre de l’Enseignement supérieur, Philippe Baptiste, les libertés sont ainsi garanties. Si l’amendement a suffit à rassurer les députés socialistes et écologistes, le syndicat étudiant Unef estime qu’« aucune garantie n’est donnée sur la composition des nouvelles commissions disciplinaires, notamment sur la représentativité démocratique de ces dernières. »
Cette loi, qui se veut préventive, fait d’une part, rentrer dans le cadre législatif la définition de l’antisémitisme de l’IHRA contestée pour son ambiguïté car elle pourrait lier la critique des politiques de l’État d’Israël à l’antisémitisme, d’autre part, alors que les atteintes à la liberté d’expression s’intensifient en France, elle légalise le contrôle de l’activité politique des étudiants et des enseignants par les directions.
LFI et le Groupe communiste s’élèvent contre « des mesures liberticides de la droite et de l’extrême droite ». Les députés alertent sur ce tournant législatif dangereux qui risque de « porter atteinte à la liberté d’expression et à la liberté d’association des étudiants » ; principalement l’article 3 qui pourrait être modifié par simple décret et utilisé à des fins de répression politique.
La proposition de loi relative à la lutte contre l’antisémitisme, le racisme, les discriminations, la violence et la haine dans l’enseignement supérieur, qui diffère de la version sénatoriale, sera prochainement examinée en commission paritaire mixte.
Sasha Verlei