Ouverture d’un mois entier de programmation de pièces chorégraphiques dans l’île singulière. Un pétillement de découvertes, pour afficher un joyeux esprit de partage.
Printemps 2025 : l’actualité du paysage chorégraphique en Languedoc est écrasée par la disparition de Jean-Paul Montanari, emporté par la maladie. Le directeur du Festival international Montpellier Danse s’est éteint, alors même qu’il était en train de se retirer d’une fonction qu’il inventa, puis occupa pendant cinq décennies. Œuvre considérable, d’un connaisseur et amoureux absolu de l’art chorégraphique.
La page des hommages unanimes est à présent tournée. Sans doute s’en trouve-t-on autorisé à exprimer un désir ardent d’innovation, de changement, de légèreté dans ces choses. Un demi-siècle, cela s’est fait long, vraiment très, très long. Jusqu’à l’excès. Jusqu’au vieillissement flagrant d’une méthode saturée par les logiques de pouvoir. Un remaniement institutionnel a été annoncé de façon concomitante : Montpellier voit la fusion de son Festival et de son Centre chorégraphique national, les deux ne faisant plus qu’un, sous une direction collective, intégralement renouvelée.
On ne préjugera pas de ce que donnera ce vent nouveau. On s’autorise à constater que la lourdeur institutionnelle continue d’affecter l’opération, purement structurelle. Ses deux figures principales n’incarnent pas particulièrement un renouvellement radical : Dominique Hervieu, nommée directrice générale du projet, est issue de la même histoire institutionnelle de la Nouvelle danse française, rattachée aux pouvoirs. Et le chorégraphe Hofesh Schechter produit des pièces de grand fracas, avant tout musculeuses, indifférentes au renouvellement des écritures scéniques.
Prudemment, attendons de voir
C’est ainsi qu’on a éprouvé l’envie d’aller voir un peu ailleurs. Juste à côté. À Sète. Récemment, le Théâtre Molière y accueillait un grand nom européen actuel : le Portugais Marco Da Silva Ferreira, avec sa pièce Carcass. Neuf interprètes en scène, sur une rageuse musique mixant la tradition, la rue, autant que le clubbing. Tous ensemble. Tous solidaires. Chacun et chacune très différent.e.

Un tourbillon brûlant de pas très sonores, physiques entiers, figures post-coloniales, culmina dans un grand chant aux accents prolétariens. Il y avait de la révolution marxiste dans l’air, qu’on n’attendait pas forcément sous les dorures de la jolie salle à l’italienne. Une fureur physique irrépressible exhumait les puissances archaïques d’un corps collectif de la danse en bataille, au temps juste présent.
Alors on danse ! a-t-on remarqué sur des petits dépliants déposés ce soir-là. De quoi attirer l’attention. Le ton était donné : pendant un mois à présent, ce même Théâtre Molière de Sète programme un « temps fort » d’une bonne dizaine d’affiches. « On ne peut pas appeler cela un festival », reconnaît la directrice Sandrine Mini, en toute modestie. On n’y trouvera pas de créations de pièces nouvelles juste pour l’occasion. « Du reste, les festivals de l’été vont bientôt débuter, c’est un tout autre esprit, et ces festivals évoluent en extérieur, principalement au Théâtre de la mer. »
Avant quoi, le « temps fort » porte exactement son nom : « cela permet de renforcer l’impact de certaines pièces, qui sans cela passeraient plus inaperçu », sur une scène vouée par ailleurs à un grand brassage des disciplines artistiques. Mais alors, quelles pièces ! Sandrine Mini proteste encore de sa modestie d’intention. Il s’agirait avant tout d’afficher « une joie de partager », et elle ne rougit pas d’avouer que ses choix sont teintés « d’intuition et de ressenti, oui je le revendique ».
Mais des intuitions comme ça, on en redemande. Ça commence avec Mirlitons, pièce de haute exigence, récemment vue à Montpellier (grâce à Montpellier Danse). Les spectateurs y éprouvent une expérience hors du commun : celle d’une proximité extrême, sur le plateau, avec l’âpre énergie, pétrie de souffle, de respiration, de frappe rugueuse sur le sol et sur le corps, par un duo sans peur, lancé jusqu’à l’exténuation. C’est de la danse ; sculptée à vif d’un présent organique, sans concession.
À découvrir en région, où il est fort peu connu : David Drouard. À accueillir aussi, alors qu’on ne l’y a guère vue, la directrice du Centre chorégraphique national de Nantes, Ambra Senatore. Pas moins de dix interprètes sur scène, pour un étourdissement à base de répétitions, d’accumulations, propices à des variations et accidents. Pas moins délurée, une autre Italienne qui assume son comique : Silvia Gribaudi joue de son corps en expansion, pour envoyer valdinguer joyeusement les ordres de la beauté. Elle fait cela en se frottant à trois présences masculines bien canoniques.

Deux Italiennes, disait-on : « À Sète, dès qu’on évoque ce pays, c’est un inconscient collectif qui s’ébroue », se réjouit, malicieusement, Sandrine Mini. Laquelle n’a d’ailleurs pas oublié son propre aïeul sicilien. Encore une pièce de référence : L’après-midi d’un foehn, qui avait marqué son temps voici bientôt vingt ans. Phia Ménard y provoque une chorégraphie de sacs plastiques emportés dans le vent. C’était une belle réflexion sur les métamorphoses de la matière, annonciatrice d’un souci écologique qui s’est aiguisé depuis ; également discrètement évocatrice de toutes les transitions, pourquoi pas de genre, quand cet enjeu restait encore précurseur.
Des créateurs en lien avec le territoire (Yann Lheureux, Kirsten Debrock, La Zampa) seront en balade à ciel grand ouvert à Mèze, tandis que le Kilomètre de danse fera culminer le partage de toutes les pratiques, professionnelles et amateures, sur trois scènes de rue, toute une journée durant.
On trouve beaucoup d’optimisme à toutes ces choses. Cela alors même que la façade du Théâtre Molière est barrée d’une immense banderole, où on lit : « Debout pour la culture ». Sandrine Mini est la déléguée régionale du syndicat des établissements artistiques et culturels.
À ce poste, il lui faut constater que « les restrictions budgétaires actuelles se sont traduites par la perte de 90 000 heures d’intermittence du spectacle la saison dernière dans l’Hérault ». Elle note aussi qu’en 2022, son théâtre s’ouvrait à 160 représentations dans l’année, quand il ne pourra y en avoir que 80 l’an prochain. Moitié moins !
Côté danse, elle se tourne à nouveau vers Montpellier : « C’est ce que j’avais fait dès ma nomination à Sète, avec l’espoir d’échanges et de créations partagées. Mais on m’avait fait savoir que cela ne correspondait pas aux attentes politiques. » Or les complicités lyonnaises ne donnent jamais leur dernier mot : avant d’être à Sète, Sandrine Mini dirigeait là-haut une scène importante (le Toboggan, à Décines dans la métropole de Lyon), quand Dominique Hervieu, à présent nouvelle directrice montpelliéraine, dirigeait la Biennale de danse de Lyon. En parfaite entente.
Gérard MAYEN
Photo 1. Graces – Crédit Fabio Sau
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