La célébration du 30 avril 1975 a été préparée pendant des jours : autant de festivités, de retrouvailles et de nouveaux échanges. Petit coup d’œil.


 

Les festivités ont commencé tôt, les répétitions ont occupé tous les jours, et la célébration s’est faite ce mercredi 30 avril. Hồ Chí Minh-Ville (ex-Saïgon) a organisé un rassemblement incroyable, militaire et festif, en souvenir de la libération du Vietnam, il y a 50 ans. La fin des guerres, et le chemin vers la paix.

Les couleurs du Vietnam

Les mots varient. Chute ou libération de Saïgon… Réunification du Vietnam ou victoire communiste…. Le 30 avril 1975 a été une date mondialement décisive, et l’anniversaire des 50 ans est une fête attendue, qui a duré plus d’une douzaine de jours, sans intéresser beaucoup de médias au départ.

Tout a commencé dès le 19 ! Ce jour-là un festival s’est ouvert, intitulé « Les couleurs de la ville de l’Oncle Hô », et des activités sportives et culturelles ont envahi la cité et ses quais, ainsi que des feux d’artifice, et surtout des performances de cartographie 3D réalisées par des artistes vietnamiens, français, belges et singapouriens, avec 2 000 drones. Le 26 avril on inaugurait l’exposition « Échos de la Grande Victoire du Printemps 1975 au Cinéma », présentant plus de 300 photos et documents sur le printemps 1975, le 27 un multiplex était diffusé depuis Hanoï, Quảng Trị et Hồ Chí Minh-Ville, et ce spectacle « Le chant de la victoire résonne à jamais », qui rassemblait plus de 1 200 artistes, évoquait l’historique des guerres passées, mais aussi les réalisations actuelles, l’intégration internationale, dans un message de solidarité et de paix.

La fiesta ultime du 30 a réuni des dizaines de milliers de personnes dans les rues et sur les quais, le programme « Turban Dance », mêlant musique trad et actuelle, a fait un malheur avec son hommage à l’emblématique écharpe à petits carreaux noirs et blancs. Le drapeau rouge et son étoile jaune étaient aussi incontournables, dans d’autres programmes qui ont eu un grand succès, comme « Homeland Melody », sans oublier « The Epic of Peace », réunissant toutes les formes de spectacles et de mapping 3D, un temps fort diffusé dès le 6 avril à la télévision.

Le bouquet final nocturne remporte un record du monde Guinness avec les 10 518 drones de la société chinoise DAMODA (record précédent 10 200), recréant le fameux char 390 historique, qui a défoncé la grille du palais présidentiel, le portrait de l’Oncle Hô, le premier chemin de fer urbain… Un moment incroyable !

 

Un des spectacles avec mapping 3D réunissant des centaines d’artistes. Crédit Photo VNA

 

À travers des échos internationaux

Du côté des anniversaires, il faut dire que l’actualité d’avril avait pris en compte un autre cinquantenaire, celui de l’entrée des Khmers Rouges à Phnom Penh et le souvenir des milliers de victimes. De plus Donald Trump avait interdit aux représentants américains de participer à la célébration d’Hồ Chí Minh-Ville — et aussi porté à 46 % les droits de douane pour le Vietnam. Mais nombre de pays ne sont pas restés indifférents à l’événement vietnamien. S’y sont associés en premier l’Argentine et bien sûr Cuba, qui organise une exposition « Vietnam, la victoire ! », ainsi que Chypre. Ont été accueillies des délégations de Mongolie et de la Républicaine Dominicaine, et la visite du Premier ministre japonais et de son épouse a été un moment important. Des représentants d’autres pays se sont déplacés ou se sont exprimés, Algérie, Hongrie, Sri Lanka, Amérique latine…

 

La cavalerie est très attendue dans le défilé. Photo CVN Tan Dat

 

Il y a eu surtout les participants aux manifestations, des pays partenaires, des soldats de la Chine, du Laos et du Cambodge, venus rejoindre les 36 formations militaires et les 12 civiles du défilé répété plusieurs fois, qui a débuté mercredi à 6h30 (trains et tram dès 4h !). Une centaine de représentants « Việt Kiều » (Vietnamiens d’outre-mer), venus de 25 pays, ont participé à la manifestation. Un Symbole International de l’Amitié a été inauguré, portant le nom des 58 localités qui ont noué des relations d’amitié et de coopération avec le Việt Nam. Une démarche essentielle, car « L’anniversaire du 30 avril vise à honorer les valeurs éternelles du pardon, de la paix, de la réconciliation et de la guérison, ainsi que l’esprit de laisser le passé derrière soi pour regarder vers l’avenir », avait déclaré Pham Thu Hang, la porte-parole du ministère des Affaires étrangères.

 

Une belle formation féminine. Crédit Photo VNA

 

Presse, rencontres, combats, souvenirs partagés

Si dans la presse française, comme dans les milieux politiques, les échos n’ont pas toujours suivi l’événement, le quotidien communiste L’Humanité vient de consacrer à ce jour anniversaire un supplément de 15 pages, « Spécial Vietnam », qui décrit les festivités en live, retrace l’historique, réunit les témoignages, s’attache aux guerres française et « états-unienne », évoque programmes, bilans et écocide. De son côté la presse internationale salue l’anniversaire de diverses façons, mettant en avant défilés militaires, feux d’artifices, et folie des préparatifs. Pour cet événement la presse nationale vietnamienne s’est mobilisée, toujours en fête, représentée par 630 journalistes de 80 agences, et il faut souligner qu’ont été accrédités 169 reporters internationaux.

Pas question d’effacer le passé, la douleur, l’exil. Pour ne pas oublier ceux qui ont œuvré à ce 30 avril, l’État vietnamien a annoncé que 834 millions de đồng [28 328,23 euros] vont être versés aux anciens combattants blessés et malades des Forces Armées Populaires, aux « Mères héroïques », aux « Héros du travail ». À cette occasion les témoignages sont nombreux et créent de nouveaux échanges, les fêtes ont rassemblé diverses générations, venues de tout le Việt Nam et d’outre-mer, beaucoup d’étudiants et de jeunes, ainsi que nombre de touristes, notamment français. De nombreux vétérans se sont réunis, et l’un d’entre eux, âgé de 76 ans est venu en moto de Nghệ An (au Nord) jusqu’à Hồ Chí Minh-Ville, parcourant 1 300 kms, traversant 10 provinces !

On n’oublie pas ceux qui souffrent toujours, et les expositions qui montrent les ravages de l’Agent Orange ont particulièrement bouleversé les visiteurs. Le combat continue, et à 84 ans Trần Tố Nga, qui se souvient avec bonheur de sa libération de prison ce 30 avril 1975, poursuit sa bataille judiciaire contre les entreprises américaines qui ont produit cette arme biologique, ce défoliant qui tue encore la nature et l’humain, qui cause toujours maladies et malformations, handicaps physiques et mentaux. Son combat n’est pas fini.

 

Les victimes de l’Agent Orange sont nombreuses à être accueillies dans des centres de soins. Crédit Photo Hoang Giang

 

Au présent, le 30 avril 2025

Cet anniversaire a été l’occasion de retrouver de nombreux documents, de nombreux témoignages, de nombreux écrits, et de lancer une série de 15 titres : des monographies, des mémoires, des rapports historiques, des romans épiques, de longs poèmes, des théories de critique littéraire et surtout le livre photo Hồ Chí Minh-Ville – 50 ans de glorieux noms d’or (1975-2025). Plusieurs films ont été diffusés pour retracer l’histoire de cette lutte terminée en 1975, et certains font la transition vers l’avenir.

Le gouvernement vietnamien avait un message à transmettre, et pour cela a été tourné 50 flashs, un film du scénariste Le Hai Yen, qui a pour but de faire comprendre 50 symboles d’Hồ Chí Minh-Ville, et toute une identité préservée. Par ailleurs Tunnels : soleil dans l’obscurité, du réalisateur Bùi Thạc Chuyê est sorti le 4 avril et a tout de suite fait un tabac, explosant le box-office avec 800 000 dollars en une journée. Ce film est consacré aux tunnels de Củ Chi, système de défense de 250 kms (et 500 kms de tranchées), creusé pendant l’occupation française et utilisé par les Việt Cộng contre les Américains. Le cinéaste a lui-même bataillé pendant onze ans pour réaliser ce projet fabuleux, qui bat tous les records. Un tournage douloureux, éprouvant, exaltant.

Il ne s’agit pas de nier la douleur, mais de la transformer. Ainsi, la mairie du 13e arrondissement de Paris (un quartier très asiatique) a choisi, en avril, de rendre hommage aux « Boat people », qu’elle a accueillis. L’Union Générale des Vietnamiens de France a organisé des rencontres à Paris avec l’Association d’Histoire Coloniale et Post-Coloniale et l’Association d’Amitié Franco-Vietnamienne. Y ont contribué Nguyen Hai Nam qui a présenté les programmes humanitaires et sociaux, Nguyen Van Bon qui a évoqué le mouvement patriotique de la communauté vietnamienne en France et l’historien Alain Ruscio qui a analysé l’évolution de la situation à partir de 1945 et après Ðiện Biên Phủ, les soulèvements coloniaux liée à cette si longue guerre terminée en 1975…

 

« La jeune fille à la fleur », exposée au Musée Guimet. Crédit Photo Marc Riboud Magnumphotos

 

Analyses : le bambou et la fleur

Pour réfléchir sur le nouveau sens à donner aux héritages du passé, VNA, l’Agence Vietnamienne d’Information, a sollicité Éric Coudray, qui a soutenu en 2022 à l’Université Paul Valéry de Montpellier un doctorat de 2 000 pages, « Une guerre oubliée ? Histoire et mémoires combattantes françaises de la guerre d’Indochine »*. Interrogé sur le sens de cet anniversaire, souvenir incontournable pour tous mais aussi fête idéologique pour certains, il n’y voit pas seulement un sens historique et politique. « Cette longue période est terrible dans l’histoire du Vietnam, car ce n’est pas seulement le dénouement d’une guerre contre une puissance coloniale, la France, puis contre une puissance étrangère, les États-Unis. Le 30 avril 1975 marque surtout la fin de trente ans d’une guerre civile sanglante entre Vietnamiens », assure-t-il. Il souligne aussi que la politique du Đổi mới (Renouveau) lancée en 1986 a marqué un tournant important, ainsi que la réconciliation avec la France dès 1973, et la reprise assez précoce des relations diplomatiques. La « diplomatie du bambou » (expression inventée en 2016 par Nguyễn Phú Trọng)1 est censée caractériser le Việt Nam, souple et enraciné, qui poursuit une belle évolution économique internationale.

Deux expositions permettent en France de prolonger ce désir de paix qui a été affirmé au cours des festivités : « Vietnam, les toiles de la paix »** à Paris jusqu’en juin, et au Musée Guimet, « Marc Riboud. Photographies du Vietnam 1966-1976 »** jusqu’au 12 mai. On connaît bien « La jeune fille à la fleur » qui fait face aux soldats, et l’on sait que le photographe était soucieux de montrer « la vie qui continue ». Un anniversaire cela se fête tous les jours !

Michèle Fizaine

* « Le Courrier du Vietnam » du 28/04/2025.

**« Vietnam, les toiles de la paix ». De Picasso à Soulages, de la « Salle rouge » à Grapus…, Espace Niemeyer, Siège du PCF, 2 place du Colonel Fabian, Paris 19e, jusqu’au 14 juin, du mardi au samedi de 12 h à 19h. « Marc Riboud. Photographies du Vietnam 1966-1976 », jusqu’au 12 mai, Musée Guimet, 6 place d’Iéna, Paris 16e, de 10 h à 18 h sauf le mardi, 13 et 10 €.

 

Photo 1 En tête du défilé, le portrait d’Hồ Chí Minh sur une fleur de lotus, et le drapeau Việt Cộng bleu et rouge, avec son étoile jaune. Crédit Photo CVN Tan Dat

 

 

Notes:

  1. Nguyễn Phú Trọng était un homme politique vietnamien et théoricien communiste qui a été secrétaire général du Parti communiste du Vietnam de 2011 jusqu’à sa mort en 2024. En tant que chef du Secrétariat, du Politburo et de la Commission militaire centrale, Trọng était considéré comme le dirigeant suprême du Vietnam. De 2018 à 2021, il a également été simultanément le dixième président du Vietnam.
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J’ai enseigné pendant 44 ans, agrégée de Lettres Classiques, privilégiant la pédagogie du projet et l’évaluation formative. Je poursuis toujours ma démarche dans des ateliers d’alphabétisation (FLE). C’est mon sujet de thèse « Victor Hugo et L’Evénement : journalisme et littérature » (1994) qui m’a conduite à écrire dans La Marseillaise dès 1985 (tous sujets), puis à Midi Libre de 1993 à 2023 (Culture). J’ai aussi publié dans des actes de colloques, participé à l’édition des œuvres complètes de Victor Hugo en 1985 pour le tome « Politique » (Bouquins, Robert Laffont), ensuite dans des revues régionales, et pour une série de France 2 en 2017. Après des études classiques de piano et de chant, j’ai fait partie d’ensembles de musique baroque et médiévale, formée aux musiques trad occitanes et catalanes, au hautbois languedocien, au répertoire de joutes, au rap sétois. Mes passions et convictions me dirigent donc vers le domaine culturel et les questions sociales.