Très attendu, « Mitridate, re di Ponto » de Mozart est une œuvre « jubilatoire », qui vient couronner la saison de l’Opéra Orchestre National, les 8, 10 et 12 avril.


 

Après Verdi, Cherubini — et Offenbach pour la féérie —, c’est à Mozart de conclure en beauté une saison lyrique assez réduite à Montpellier… Une vraie fête déjà entamée, avec en préambule, fin mars, le très drôle Il maestro di cappella de Cimarosa, un amusement pour tous, le chef William Le Sage et le baryton Bruno Taddia s’affrontant avec éclat comme le veut le livret qui met en scène la rivalité de deux maîtres face aux musiciens de l’orchestre. Un peu bref cependant pour renouer avec les vifs souvenirs qu’a laissé le formidable baryton dans La nuit d’un neurasthénique et Gianni Schicchi en 2017, dans Don Pasquale en 2019, et dans Falstaff en 2020.

Place maintenant à une grande saga baroque, magique et mythologique, Mitridate, re di Ponto, déroulée par Philippe Jaroussky, qui dirige Mozart pour la première fois !

 

Qui est ce Mozart ?

Tout est à découvrir dans Mitridate, et d’abord le compositeur lui-même. Même si le titre évoque une culture gréco-romaine et si l’on ne connaît pas trop ces épisodes de l’antiquité, on est du moins dans le monde de Mozart à plus de 100 %. Celui d’une enfance prodigieuse ! Après ses premières œuvres lyriques écrites dès l’âge de 10 ans — notamment Bastien et Bastienne et La finta semplice —, il compose ce premier “opera seria” à 14 ans, jeune garçon déterminé à exceller dans sa vision de la musique et à s’imposer face aux célébrités adultes.

En 1770, la haute société milanaise lui passe commande, et c’est la pièce de Racine, et ses transcriptions, qui vont inspirer au jeune talent d’abord des récitatifs puis des airs qu’il compose pour les interprètes, pour mettre leur voix en valeur, malgré leurs exigences, et pas mal de jalousies. Il y passe cinq mois, et en décembre les répétitions prennent une quinzaine de jours, réunissant soixante artistes pour un spectacle qui dure six heures avec les ballets. Le lendemain de Noël « Succès complet ! », commente « papa Léopold », fier de son Wolfgang. Mitridate bat les records, avec 23 représentations.

 

Mitridate (Levy Sekgapane) face à son fils Farnace (Hongni Wu), lui aussi amoureux d’Aspasia. Crédit photo Marc Ginot

 

Il existe actuellement une douzaine de versions de l’œuvre et parmi les interprétations cultes, on se souvient de celles dirigées par Nikolaus Harnoncourt, Marc Minkowski, Christophe Rousset…

 

 

Le défi de Jaroussky

Philippe Jaroussky, qui fait encore partie de la « famille » lyrique montpelliéraine, car il a été artiste en résidence à l’Opéra de 2021 à 2024, a déjà découvert et offert des plaisirs inconnus. C’est à Montpellier que le contre-ténor a décidé de faire ses premières expériences de direction d’orchestre, avec l’oratorio de Scarlatti Il Primo Omicidio, puis Giulio Cesare de Haendel, et le rare Orfeo de Sartorio. Il avait déjà un réel appétit de Mozart, ayant monté un programme à lui consacré. Après son Mozart, l’enfant prodige, c’est de l’adolescent qu’il partage le talent. Il rêve de diriger Mozart, Don Giovanni plus tard…

Au sortir des récentes répétitions, il se réjouit de ce « feu d’artifice » et insiste sur le côté « jubilatoire », sur le génie musical et dramatique : « Mozart utilise toutes les palettes de couleurs possibles. Et il y a vraiment une force expressive qui est très puissante. » Un premier opéra ! « Tout Mozart est déjà là ! C’est avant tout la fête de la voix, c’est très, très, très sportif pour les chanteurs. Il faut être là pour eux. »

Son talent d’interprète et son désir de transmettre lui ont fait organiser des ateliers à Montpellier — et créer son Académie Musicale en 2017. Dans Mitridate, il a été Farnace avec les Arts Florissants et William Christie, en 2010… Mais là, c’est un nouveau pari : « Le challenge que je me suis mis sur cette production, c’est de faire un gros travail sur les récitatifs, c’est-à-dire les dialogues entre les personnages, et que les airs soient la conséquence, l’état émotionnel de la scène qui est arrivée avant. C’est quelque chose d’assez magique. » Une façon de vivre la voix comme Wolfgang.

 

Du bleu à l’âme

La mise en scène d’Emmanuelle Bastet s’est centrée sur les intrigues familiales. Certes la question du Pont Euxin pourrait avoir une actualité, puisque cela se passe en Tauride, c’est-à-dire en Crimée, l’actuelle Ukraine, et que les puissants Romains veulent la guerre ou promettent la paix. Mais le côté politique et guerrier a été mis de côté, et le dénouement modifié, supprimant le petit air patriotique chanté à cinq, qui demande : « Guerra sempre e non mai pace » (la guerre toujours et jamais la paix). L’espace créé et les décors de Tim Northam plongent le drame dans des teintes bleutées, qui évoquent la mer et le port. Un bleu changeant qui va vers l’outremer, vers un noir bleuté avec une arrière teinte violette. Couleur de l’obsession, de l’inconscient pour Emmanuelle Bastet : « C’est un espace abstrait et mental, le reflet des âmes torturées. C’est un registre émotionnel, car on est vraiment dans du théâtre. »

 

Le bleu couleur de l’inconscient dans Mitridate, sommet musical et dramatique. Crédit photo Marc Ginot

 

Amour, trahison et folie sont au cœur du drame, une situation mortelle autour de la rivalité entre Farnace et Sifare, les deux fils du Roi Mithridate qui, partant en guerre, les a chargés de protéger sa fiancée Aspasia… dont ils tombent amoureux. Emmanuelle Bastet privilégie donc ce huis-clos familial : « Comme très souvent chez Mozart, c’est la sphère intime qui prévaut sur les préoccupations politiques et sociales. Car avant d’être un tyran, Mitridate est un amoureux éconduit. »

Souffrance, frustration, jalousie ont construit l’édifice scénique : « Ce dédale d’escaliers qui crée des architectures labyrinthiques, complexes, permet de rendre compte du vertige, du déséquilibre et de la dissymétrie, et d’étayer l’idée que les personnages sont toujours au bord de l’abîme. »

 

Nouvelles voies

Donnée en mars à Lausanne, cette production de Mitridate re di Ponte est enregistrée à Montpellier* où elle retrouve son espace bleuté et magique. Il y naît en somme une nouvelle création car, à part Lauranne Oliva, Nicolo Balducci et Rémy Burnens, la distribution réunit plusieurs prises de rôles ! Le ténor Levy Sekgapane est un impressionnant Mitridate face à son Aspasia incarnée par Marie Lys. Les frères ennemis Farnace et Sifare ont pour interprètes la mezzo Hongni Wu et le contre-ténor Key’Mon Murrah. Tous unis pour fêter le jeune Mozart !

Michèle Fizaine

 

Photo 1. Décor labyrinthique pour Mitridate, premier “opera seria” de Mozart. Crédit photo. Marc Ginot

Mitridate, re di Ponto  de Wolfgang Amadeus Mozart, à l’Opéra Comédie, dir. Philippe Jaroussky, Opéra Orchestre National de Montpellier Occitanie, le 8 et le 10 avril à 19 h, le 12 à 20 h (durée 3 h 20). 26 à 80 €. opéra-orchestre-montpellier.fr

*Spectacle enregistré par France Musique pour diffusion le 17 mai à 20h dans « Samedi à l’Opéra », puis disponible en streaming sur le site de France Musique et l’appli Radio France.

 

 

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J’ai enseigné pendant 44 ans, agrégée de Lettres Classiques, privilégiant la pédagogie du projet et l’évaluation formative. Je poursuis toujours ma démarche dans des ateliers d’alphabétisation (FLE). C’est mon sujet de thèse « Victor Hugo et L’Evénement : journalisme et littérature » (1994) qui m’a conduite à écrire dans La Marseillaise dès 1985 (tous sujets), puis à Midi Libre de 1993 à 2023 (Culture). J’ai aussi publié dans des actes de colloques, participé à l’édition des œuvres complètes de Victor Hugo en 1985 pour le tome « Politique » (Bouquins, Robert Laffont), ensuite dans des revues régionales, et pour une série de France 2 en 2017. Après des études classiques de piano et de chant, j’ai fait partie d’ensembles de musique baroque et médiévale, formée aux musiques trad occitanes et catalanes, au hautbois languedocien, au répertoire de joutes, au rap sétois. Mes passions et convictions me dirigent donc vers le domaine culturel et les questions sociales.