Médée, Norma, Sigurd : les opéras du Sud proposent de nouvelles aventures, des redécouvertes à ne pas manquer. Surprenantes parfois… Suivez le guide !
Alors que les maisons d’opéra vivent des moments de plus en plus difficiles, sont obligées de réduire le nombre de spectacles et le nombre de représentations, plusieurs belles productions témoignent d’une vie lyrique toujours importante, et offrent des rendez-vous étonnants dans les jours et les semaines qui viennent. Des relectures et une interprétation « actuelle ».

Médée, meurtrière victime
L’Opéra de Montpellier accueille dès le 8 mars une tragique Médée de Chérubini, à cent lieues de l’amusant cocktail Médée et Jason proposé en 2023 au Festival de Radio France. Les « premières » à l’Opéra-Comique de cet opéra récemment relu — porté aux nues par Maria Callas en 1953 — ont donné lieu à nombre de commentaires… La production s’installe maintenant à Montpellier, où Jean-Marie Zeitouni, le maestro à « l’irrésistible sourire », sera à la baguette, prenant le relai de Laurence Equilbey.
La relecture du mythe est faite par Marie-Eve Signeyrole, qui a signé à Montpellier de nombreuses mises en scène, depuis La petite renarde rusée de Janacek en 2012, jusqu’à la fameuse Soupe Pop de 2016. La tournée du Monstre du Labyrinthe de Dove était aussi un grand moment de l’histoire d’Opéra Junior, car le légendaire Thésée avait été vu sous un angle surprenant.

Médée interrogeait Pasolini en 1969. Son film — avec La Callas dans le rôle — mettait en avant un choc des civilisations, des sociétés, des cultures. Pour Marie-Eve Signeyrole il s’agit d’une Médée contemporaine, et il est question d’argent, de pouvoir, de domination masculine. Elle a mené une « enquête scrupuleuse », relu les auteurs d’Euripide à Anouilh. Les vagues migratoires sont souvent évoquées, comme déjà pour Thésée, et bien sûr le meurtre commis par Médée sur ses enfants, mis en doute par certaines traditions.
Médée serait semblable aux mères qui tuent leurs enfants en France : un tous les dix jours ? Sur scène, la migrante, incarnée par Joyce El-Khoury, est confrontée à son double, une mère condamnée à perpétuité, (la comédienne Caroline Frossard), et elle affronte une Dircé parmi les riches, chantée par Lila Dufy. En proie aux pulsions masculines, Julien Behr est un Jason violent et Edwin Crossley-Mercer un puissant Créon. Alexandrins en VO, coupures et textes rajoutés, vidéos et costumes Yashi, enfants présents, acteurs et diseurs : une magie scénique crée une nouvelle Médée.
Questions posées par Marie-Eve Signeyrole : « Et si Médée n’était pas celle qu’on imagine ou qu’il nous arrange d’imaginer ? Et si Médée était le fruit d’une société raciste et patriarcale ? Une mère acculée, sans secours, prise dans un cycle de violences, de manipulations et d’abus. Et si Médée n’était ni un monstre, ni une sorcière mais une femme, cultivée qui plus est, devenue l’incarnation des fantasmes de peur, de désir et de barbarie que la société projette sur “l’étranger” ? »

Norma est de retour, dans l’émotion
La mythologie celte s’installe à Toulouse. Elle avait visité Marseille en septembre avec une Norma de Bellini, qui fait grand bruit depuis 2019, et qui en janvier a occupé Bordeaux. Nouvelle distribution à découvrir, au Capitole, mais Karine Deshayes conserve le rôle principal en alternance avec Claudia Pavone — partageant huit représentations… Il y aura notamment dans le rôle d’Adalgise Eugénie Joneau (ou Vardhul Abrahamyan), et étonnante surprise, c’est Hervé Niquet qui sera à la tête de l’orchestre du Capitole. Le maestro de la musique baroque renoue en fait avec son passé et se sent rajeuni, car il a fait ses classes de chef de chant dans le répertoire italien et pour lui Bellini représente un changement décisif du monde lyrique.
Anne Delbée organise pour la troisième fois un monde fabuleux autour de Norma. Karine Deshayes, dont c’était la prise de rôle, a véritablement enthousiasmé le public, notamment dans le fameux air « Casta Diva », qui semblait réinventé, dans une intensité progressive. La mise en scène, sobre mais impressionnante, revisite toute la symbolique. Un paysage lunaire, un chêne druidique, un gui symbolique bien sûr, mais parfois stylisés, abstraits, minimalistes. Un grand cerf blanc incarne le dieu des croyances celtiques, résistant face à l’envahisseur romain. Onirique mais très présent.
La tragédie de Norma qui a eu en secret deux enfants du romain Pollione et se voit trahie par sa confidente Adalgise est particulièrement complexe et ce fut un rôle idéal pour Maria Callas. Richard Wagner n’avait pas hésité à dire : « La Norma, parmi toutes les œuvres de Bellini, est celle qui a la veine mélodique la plus abondante, jointe à la plus profonde réalité, à la passion intérieure. » Cette nouvelle interprétation est particulièrement émouvante. À ne pas rater.
Karine Deshayes incarne Norma : « Il y a la femme blessée, il y a la guerrière, la druidesse, la femme amoureuse… pléthore de sentiments ! Elle va jusqu’à envisager un infanticide ! Dieu merci, elle recule, mais il y a cette part de folie à ne pas oublier. De ce point de vue, elle est moins proche de moi, mais la blessure dans l’amour, on l’a tous connue. Quant aux jeux de pouvoir, je les trouve très intéressants : dans une civilisation antique patriarcale, cette femme-là a du pouvoir, c’est exaltant ! »

Centenaire à Marseille : un anniversaire pour Sigurd !
La saison 2024-2025 est un anniversaire pour l’Opéra de Marseille car, détruit en 1919 par un incendie le Grand Théâtre a été reconstruit en 1924, et inauguré avec Sigurd, opéra du marseillais Ernest Reyer (1884). Le compositeur, qui a sa statue actuellement au Parc Longchamp, et qui a donné son nom au foyer de l’opéra, partage les festivités de ce centenaire. La reprise de son œuvre est un moment historique, car si l’on se souvient de la production Montpellier-Marseille de 1994-1995, elle n’a pas été jouée depuis. Cet opéra avait d’ailleurs été longtemps oublié jusqu’à sa résurrection au Festival de Radio France Montpellier, en version concert intégrale, avec Chris Merritt et Valérie Millot.
Pourquoi cet oubli alors que Sigurd a été régulièrement donné, et a connu un succès incroyable entre 1985 et 1935 ? Une question de mythe… La parenté apparente avec Les Niebelungen fait du compositeur un sous-Wagner, alors qu’il n’en est rien, qu’il est aussi bien écrivain que musicien, et surtout inspiré par Berlioz, même au cœur des légendes médiévales nordiques. Philtre, monstres, walkyrie sont présents, mais aussi l’affrontement entre Attila et les Burgondes, et héroïsme et destin sont inscrits dans la partition. Reyer a beaucoup souffert des comparaisons avec Wagner, des modifications et des coupures apportées régulièrement à son œuvre.
Dans cet univers de légende, Charles Roubaud recrée le mythe, sa vision s’inscrit dans les décors d’Emmanuelle Favre et les lumières de Jacques Rouveyrollis. Il est en train d’y travailler, on attend de découvrir son monde venu du Nord. Autre cadeau-surprise, l’interprète du rôle principal est le ténor franco-italien Florian Laconi, pour qui c’est une prise de rôle. De même pour la quasi totalité des interprètes, sauf Catherine Hunoldt, qui a déjà chanté « Brünhilde » dans ce fameux Sigurd… pour le centenaire de l’Opéra de Lorraine en 2019 ! Toï, toï, toï !1 Bon anniversaire à tous ! C’est le maestro Jean-Marie Zeitouni qui mène la fête !
Prise de rôle pour Florian Laconi, et prise de parole.
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Le ténor Florian Laconi va inventer un nouveau Sigurd. Crédit photo Harcourt Découvrir Sigurd : « Je suis ravi de la chance que j’ai de chanter ce rôle — je remercie Maurice Xiberras (directeur de l’opéra, ndlr) ! C’est un rôle mythique pour tous les grands ténors mais il a été oublié. Peu d’interprètes sont encore vivants. Il y a Luca Lombardo qui l’a chanté en 94. Sigurd est un ouvrage capital et il y a toujours quelque chose à donner. Comme pour tous les rôles, je travaille le texte mais aussi la genèse, je fais une recherche littéraire, historique. Pour moi, c’est une passion. On compare souvent Sigurd à Siegfried mais il y a moins de surnaturel. Dans cette mythologie nordique on trouve plus de sentiment humain que de légende, c’est une quête initiatique, une épopée chevaleresque et amoureuse. Il y a de grands moments, dont mon arrivée qui est une entrée très attendue. Mais j’aime surtout l’air « Esprit gardien de ces lieux vénérés », très doux, éthéré, plus humain que chevaleresque, presque romantique. »
- Découvrir la scène créée par Charles Roubaud : « On ne sait pas encore, on va découvrir… Ce ne sera pas Kamelot ! Avec sa super équipe on peut imaginer quelque chose de très esthétique. Lors des rencontres avec le public à l’Alcazar de Marseille, la question la plus fréquente concerne la mise en scène, on s’inquiète de savoir si elle n’est pas trop moderne, si elle est respectueuse du sujet. Il faut des arguments, c’est important, mais pas de provocation. Être sur scène, c’est ma vie, et je n’arrêterai pas. J’ai débuté à 12 ans à Metz et j’ai passé une audition de chanteur à 17 ans, comme toréador dans Carmen. Voilà comment tout a commencé. »
- Redécouvrir l’opéra français : « C’est un devoir, une mission. L’italien est facile à chanter tout autour du monde et beaucoup d’interprètes refusent le français, un répertoire difficile, qu’on va chanter une seule fois… Hé bien, tant pis, c’est 90 % de ma carrière ! De grands chanteurs d’opérette et de mélodie française, de grands poètes, m’ont donné l’amour de la langue. Alain Venzo, Gabriel Bacquier, Mady Mesplé ont transmis une manière de se faire entendre. Le répertoire français offre de beaux rôles, on se bat pour un opéra vivant, et pour moi c’est un véritable bonheur de m’investir dans un ouvrage peu donné. »

Courtes escales pour un opéra mythique
Combat d’Eros et Thanatos, de l’Amour et de la Mort, le chef-d’œuvre de Verdi, Tosca, est de passage au Théâtre Molière de Sète. Il s’agit d’une version réduite, où les introductions ont été coupées, et l’orchestre des Frivolités Parisiennes ne réunit qu’une quinzaine de musiciens, dirigés par Alexandra Cravero. Mais donnée plusieurs fois à Compiègne cette production a eu un grand succès en 2023, et elle rayonne maintenant dans le Sud, à Tarbes, Sète, Perpignan, Foix, Nîmes. Dans un surréalisme inquiétant, la mise en scène de Florent Siaud, où les images mentales cohabitent avec les corps tiraillés et des arcades labyrinthiques, évoque la fin d’un monde teinté de fantasmes, de lune noire et de fatalité indomptable. Marie-Laure Garnier, révélation des Victoires de la Musique Classique en 2021 s’empare du rôle de la divine Tosca, accompagnée de Joël Montero, Mario, et Christian Helmer, Scarpia. Destin, fatalité, les mythes n’ont pas fini de nous interroger.
Michèle Fizaine
Photo 1. Emblématique cerf blanc, dieu des croyances celtiques. Crédit photo M. Magliocca
En pratique
Médée de Cherubini, Opéra Comédie de Montpellier
le 8 mars à 20h, les 11 et 13 à 19h
26 à 80 €, opera-orchetre-montpellier.fr
Norma de Bellini, Théâtre du Capitole de Toulouse
les 26, 28, 29 mars et les 1, 2, 4 avril à 20h, les 30 mars et 6 avril à 15h
10 à 125 €, opera.toulouse.fr
Sigurd de Reyer, Opéra de Marseille
les 1er, 4, 8 avril à 20h et le 6 à 14h30
10 à 80 €, opera-odeon.marseille.fr
En tournée, Tosca de Verdi, Théâtre Molière de Sète
le 7 mars à 20h
15 à 38 €, tmsete.com.
Puis le 9 à 18h à L’Archipel de Perpignan
le 12 à 20h30 à L’Estive de Foix
le 15 à 20h et le 16 à 17h au Théâtre de Nîmes.
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