Embarquement pour Le Voyage dans la Lune, une superbe féérie au firmament de l’Opéra Comédie, les 15, 17, 20 et 22 décembre.


 

On ferait presque un opéra de cette aventure lyrique ! En 2020 un projet du Centre Français de Promotion Lyrique et du Palazzetto Bru Zane voit le jour, préparé pendant des mois, et la recréation de l’impressionnant spectacle conçu par Offenbach est une aventure peu commune, particulièrement réussie. Une quinzaine de scènes d’opéra sont partenaires. Malheureusement, Covid oblige, les représentations sont annulées et seuls les journalistes peuvent découvrir la formidable féérie lors de la « générale » à Montpellier. L’enregistrement l’année suivante immortalise cet événement, sans vidéofilm. Un Livre-CD est publié (Ed. Bru Zane) et l’aventure continue.

On a vraiment marché sur la Lune, car en 2022 cet enregistrement remporte un International Opera Award (Catégorie Recording), et la tournée reprend, qui prévoyait initialement 42 représentations réparties sur trois ans. Retour à la case départ pour conclure maintenant à Montpellier, sur la scène de la création. Entre temps une autre production de l’œuvre par l’Opéra-Comique, dans une mise en scène de Laurent Pelly, a proposé une version différente plus réduite et vraiment réécrite, visuellement réussie mais musicalement inégale.

 

Fééries lyriques et scènes satiriques

Conte onirique, opéra-féérie, Le Voyage dans la Lune est une des plus riches partitions d’Offenbach, précédant de quelques années les posthumes Contes d’Hoffmann. Bien sûr le roman de Jules Verne De la Terre à la Lune a inspiré cette « folie », même si l’auteur n’a pas été sollicité et a finalement renoncé aux poursuites… En 1875 on est dans une période d’inspiration futuriste, qui passionne aussi bien Alphonse Daudet que le journaliste Théophile Gautier. L’imaginaire de l’époque est avant-gardiste — le train n’est plus un rêve… —, mais aux péripéties loufoques se mêle une réflexion sur la société, une satire sur l’incompréhension entre Terre et Lune, c’est-à-dire entre les mondes incompatibles.

À l’Opéra Comédie de Montpellier, la « générale » de décembre 2020 était absolument fantastique, mêlant univers industriel et paysages imaginaires, scènes grotesques et émouvantes, magie d’un noir et blanc à la Méliès, couleurs lunaires et scènes enneigées ou éruption volcanique, sans parler de l’importance du chœur, des danseurs, et des belles surprises vocales que réservent les interprètes du roi terrien Vlan, de son fils Caprice, de l’amour Fantasia, de Popotte, épouse de Cosmos roi de la Lune. On les retrouve presque tous.

À l’époque le metteur en scène Olivier Fredj parlait de « futur antérieur ». La recréation de ce « Voyage » était une expérience unique, car il avait fallu revoir l’œuvre intégrale, en réduire la durée (couper plutôt le texte) et conserver sa richesse inventive, mais aussi son actualité, son regard sur l’étranger, sur toutes les révolutions : c’est une critique de l’égocentrisme, du monde industriel et commercial, et… du monde sexuel. Pour le metteur en scène, Offenbach propose une « catharsis », comme La Fontaine et ses fables ou Grimm et ses contes.

 

 

Avant de découvrir le volcan explosif les Terriens affrontent la neige et son ballet de flocons (Ph. M. Ginot)

 

 

Sur la Lune, rions des contraintes co(s)miques !

Les contraintes demeurent mais ne sont plus les mêmes, le spectacle est rodé et s’enrichit, toujours en 4 actes avec une bonne vingtaine de décors. La fantaisie libère, on peut se moquer de la « quadrature du siècle ». Olivier Fredj vit cette évolution : « On peut rire des contraintes, à plusieurs niveaux, et c’est quelque chose de plus délirant. On court tout le temps. La rubalise du marquage au sol obligeait à respecter des distances à cause du Covid… mais l’amour est une maladie contagieuse, et comme l’œuvre originale parlait d’épidémie ! » Même si quelques coupures affectent les airs du chœur notamment la scène du marché, les chanteurs et danseurs peuvent envahir la scène, et le chœur est doublé, libéré.

 

 

Révolution : Olivier Fredj et la folie d’Offenbach remettent en cause nos codes et nos valeurs (Ph. S. Leban)

 

 

La riche partition qui contient des pages proches des Contes d’Hoffmann mais aussi de La Grande-duchesse de Gérolstein et de L’île de Tulipatan a été longuement retravaillée. Olivier Fredj a eu de nombreux échanges avec le maestro Pierre Dumoussaud, qui a dirigé l’orchestre après s’être occupé du remake. L’illustrateur Jean Lecointre a contribué à cette bande dessinée musicale qui a été éditée et couronnée, et auparavant il a œuvré sur les décors, les images projetées, imaginant les deux mondes de la Terre à la Lune, une création formidable partagée avec Malika Chauveau. « C’était un long travail », reconnaît Olivier Fredj qui était pratiquement à toutes les représentations. « Ce n’est pas un pur et simple condensé, l’histoire et l’action sont conservées, il y a beaucoup d’effets scéniques, et la musique est parfois utilisée différemment ». Extravagance et irréel : couronne géante de V’lan, Roi-Lune surgonflé, Quipasseparla vendeur de femmes aspirateurs ou éponges, futiles ou décoratives…

 

 

Ballet, chœur, arias, avec Victor Jacob « Il faut que ça chante ! » (Ph. Le Dilhuidy)

 

 

Baguette magique pour le maestro Victor Jacob

C’est Pierre Dumoussaud qui menait la fameuse « générale », puis l’enregistrement, mais pour ce bouquet final montpelliérain, Victor Jacob prend la baguette, sachant que la montpelliéraine Chloé Dufresne a aussi contribué à la création et dirigé nombre de représentations à travers la France. « C’est mon premier Offenbach », se réjouit le jeune maestro de 33 ans, Révélation Chef d’Orchestre des Victoires de la Musique Classique en 2023. « Je profite du travail abouti de toutes ces années et je dois appréhender toutes ses musiques pour former un tout, pour donner une cohérence et beaucoup de relief ». Il trouve d’ailleurs quelques similitudes avec le Poil de carotte de Reinhardt Wagner qu’il a créé en 2019 avec l’orchestre de Montpellier. Fidèle partenaire, Victor Jacob, qui a dirigé deux programmes la saison dernière, a déjà partagé des répertoires très variés depuis 2018 : la Carmen d’un Air de famille, un concert de gala, de surprenantes Virilité.e.s, l’immersif Crowd out au Corum, un formidable concert étudiant… Ce qui explique que son nom ait circulé l’an dernier dans le Landerneau montpelliérain avec l’idée qu’il puisse succéder à Michael Schønwandt à la direction musicale de l’OONMO.

 

 

Toute une collection de femmes à vendre, utiles ou décoratives. Au choix (Ph. M. Ginot)

 

 

« J’aime le mélange des styles ! J’aime toucher à plein de choses », rappelle Victor Jacob dont le côté « caméléon » n’est pas nouveau. Il a débuté tout jeune chanteur à la Maîtrise de Radio France et en a gardé la marque : « Quel que soit l’instrument ou l’orchestre, il faut que ça chante. » Il ne décroche pas seulement la lune d’Offenbach, il a déjà brillé dans bien des concours avant sa Victoire de la Musique. Préparant actuellement un enregistrement avec le pianiste/violoniste Dmitry Smirnov, il retrouve une Carmen classique à Hong Kong et à Hanoï l’an prochain. « 1875 ! C’est la même année pour Carmen et  Le Voyage dans la Lune ! »

Extravagance et féérie. Le monde de la Lune met en lumière un commerce des nouveau-nés, la Bourse aux femmes, le pays des ventrus. Difficile de choisir dans cette frénésie lyrique entre le ballet des chimères et celui des flocons de neige, le rondeau de l’obus, la valse de Caprice, l’ariette de Fantasia, la ronde des pommiers, le duo de la Pomme (d’amour). On touche le ciel ! Sous le clair de Terre final.

Michèle Fizaine

 

Le Voyage dans la Lune de Jacques Offenbach, OONMO, direction Victor Jacob.
Opéra Comédie de Montpellier, le 15 à 17h, le 17 à 19h, le 20 à 20h, le 22 à 17h.
Durée 2h30.
26 à 80 €.
Audiodescription le 15, Gilets SUBPAC le 20.
opera-orchestre-montpellier.fr

 

 

Poussières d’étoiles :

Extraits du spectacle

 

 

 

 

L’Éveil de Fantasia : Jeu Vidéo créé en 2020 par onze étudiants de 4e année d’ARTFX à Montpellier, d’après Le Voyage dans la Lune d’Offenbach.
Langue : Français, Anglais, Italien, Allemand, Espagnol Plateforme : Windows et Mac. Dès 8 ans.
Touchés par le message féministe porté par l’œuvre, les étudiants ont créé un jeu d’évasion dans lequel le joueur incarne Fantasia, jeune princesse Sélénite, enfermée par son père, le Roi Cosmos, à cause de ses sentiments amoureux.
Disponible gratuitement sur les bornes de l’Opéra Comédie.

 

Photo 1 Le clair de Terre vu de la Lune : un nouvel éclairage sur notre monde et nos idées (Ph. M. Ginot)

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J’ai enseigné pendant 44 ans, agrégée de Lettres Classiques, privilégiant la pédagogie du projet et l’évaluation formative. Je poursuis toujours ma démarche dans des ateliers d’alphabétisation (FLE). C’est mon sujet de thèse « Victor Hugo et L’Evénement : journalisme et littérature » (1994) qui m’a conduite à écrire dans La Marseillaise dès 1985 (tous sujets), puis à Midi Libre de 1993 à 2023 (Culture). J’ai aussi publié dans des actes de colloques, participé à l’édition des œuvres complètes de Victor Hugo en 1985 pour le tome « Politique » (Bouquins, Robert Laffont), ensuite dans des revues régionales, et pour une série de France 2 en 2017. Après des études classiques de piano et de chant, j’ai fait partie d’ensembles de musique baroque et médiévale, formée aux musiques trad occitanes et catalanes, au hautbois languedocien, au répertoire de joutes, au rap sétois. Mes passions et convictions me dirigent donc vers le domaine culturel et les questions sociales.