ZAD, comprendre Zone À Défendre. Et si la ville de Poussan devenait dans les mois qui viennent le symbole de la lutte pour un monde d’après ? Un monde qui doit s’inventer et se construire avec l’effondrement climatique, un monde qui doit reprendre son rythme, celui de la vie, sans Ligne à Grande Vitesse.


 

Ce jeudi 7 novembre 2024, au foyer des campagnes à Poussan, ça bourdonne. La salle est pleine, et ça sent la révolte. Estelle aux commandes de la communication de cette soirée pour SNCF Réseau est dans les starting-blocks. Elle est prête à animer les ateliers qui voudraient faire des habitants du coin des architectes en herbe. Mais avant, elle doit distribuer la parole aux élus, aux citoyens et à l’équipe du groupe gestionnaire des infrastructures du réseau ferré national, qui compte près de 28 000 km de lignes sur tout le territoire. Attention, ce soir, on va parler d’un Viaduc de 1,4 km sur 30 mètres de hauteur qui s’installe au bord de l’étang de Thau. 

Oui, il s’installe ! Et la question n’est pas de savoir si les autochtones sont pour ou contre, la question est de savoir quel look architectural, ils souhaitent donner au Viaduc de Poussan. Car oui, la DUP est tombée, la fameuse Déclaration d’Utilité Publique qui permet au rouleau compresseur du « développement » de passer en toute légitimité, même si la biodiversité est victime de l’obsolescence de décisions politiques.

« Cet ouvrage sera certifié haute qualité environnementale », assure Stéphane Lubrano, le directeur de la mission LNMP (Ligne Nouvelle Montpellier-Perpignan). Entre rires et colère, la salle est électrique. « C’est du foutage de gueule », lance un participant. Bien vu, la SNCF Réseau réinvente le Grand Débat made in Macronie, mais avant la mobilisation citoyenne et politique, en espérant l’éviter. Astuce : la participation, être acteur de la conception de l’ouvrage avec un atelier citoyen. Bref ! C’est le marché qui s’empare de l’esbroufe démocratique du citoyennisme.

 

« Ce que nous engageons ce soir, c’est un rapport de force, pas une simple contestation. » Mathieu, paysan du bassin de Thau.

 

Très applaudi, Mathieu, jeune paysan passionné, a exprimé avec force son opposition : « votre opération de communication est un échec total, il faut arrêter de vous foutre de notre gueule ». Il n’a pas hésité à fustiger la logique du projet, qu’il considère comme une « destruction » du territoire rural et agricole. Localement la détermination s’installe, et la lutte pourrait bien devenir frontale : « ce que nous engageons ce soir, c’est un rapport de force, pas une simple contestation », a-t-il affirmé.

Mathieu a rappelé que « l’État a déjà renoncé quand les gens se sont levés ». Contrairement à d’autres associations, ce militant de la Coopérative intégrale du bassin de Thau rejette toute alternative de tracé pour la ligne à grande vitesse, et défend une rupture nette avec cette logique de développement. Sa vision est claire : « nous voulons choisir nos propres conditions de vie, maîtriser nos productions, sans entrer dans une logique industrielle absurde. »

 

Florence Sanchez s’oppose fermement au projet ferroviaire

 

Tout en appelant à la sérénité des échanges, Florence Sanchez, maire de Poussan est directe : « nous votons contre une politique d’achat foncier scandaleuse, qui favorise la spéculation au détriment de l’agriculture ». Elle a dénoncé un projet « qui ne répond pas aux besoins de mobilité ferroviaire territoriale ». Elle estime que cette LNPM ignore les dégradations climatiques qui menace la ligne actuelle et qu’à terme : « les habitants de notre territoire n’auront plus la possibilité d’utiliser le train localement comme moyen de déplacement ».

Florence Sanchez pointe également l’aspect financier pour l’État et les collectivités avec une « première phase à 2 milliards d’euros et un projet complet à 6 milliards, dans le contexte économique actuel, ce type d’ouvrage devrait être abandonné ». Pour cette responsable politique, l’investissement de cette ligne bénéficie surtout à des intérêts de grande vitesse transfrontalière, au détriment des besoins locaux.

Dans la salle, jaillit : « on n’acceptera jamais ça ! Jamais ! » Reste que 13 partenaires sont cofinanceurs des 6,12 milliards que représente la ligne Montpellier-Perpignan : l’État pour 40 %, les collectivités aussi pour 40 % et l’Europe avec 20 %. Les protocoles d’accord financier sont déjà bien avancés, SAM, Sète Agglopole Méditerranée s’engage à apporter 12,4M€, idem pour la métropole de Montpellier à hauteur de 85M€. « 40 % payé par les collectivités, ça va retomber sur nos têtes … avec la sécu’ et l’hôpital qui foutent le camp, y a d’autres priorités quand même », lâche une participante.

Issanka et sa source d’eau inquiète. Le viaduc devrait voir ses piliers se planter au-dessus du captage d’eau potable de la région. Stéphane Lubrano, directeur de la mission LNMP SNCF Réseau a assuré que le projet ne se réaliserait pas si des risques sur les ressources hydriques étaient identifiés. Des sondages supplémentaires sont en cours pour garantir que les fondations de « 12 mètres de profondeur » du viaduc ne perturbent pas le champ calcaire qui protège la source. « Si nécessaire, nous ajusterons nos techniques de construction », a-t-il affirmé. Face aux critiques qui qualifient ce projet d’« obsolète » et inadapté à l’urgence climatique, Stéphane Lubrano a rappelé son évolution : « Ce projet date de 1989, mais il a été réévalué entre 2009 et 2016, en prenant en compte le changement climatique et la vulnérabilité des lignes classiques. »

 

[VIDEO] Interview avec Stéphane Lubrano, directeur de la mission LNMP SNCF Réseau : 

 

 

Jean-Guy Majourel, vice-président de Sète Agglopôle Méditerranée et conseiller municipal de Sète, confie s’être attendu à des débats vifs. « C’est un projet qui impacte fortement le territoire. Nous avons alerté la Région, l’État et la SNCF, et proposé un tracé plus proche de l’autoroute, pour limiter les nuisances », a-t-il rappelé. Le vice-président a souligné le pragmatisme ou la résiliation des élus locaux : « Nous avons acté la déclaration d’utilité publique (DUP) malgré le rejet de notre recours par le Conseil d’État. Nous souhaitons désormais que le territoire conserve son attractivité, notamment avec une meilleure intégration environnementale du Viaduc et un accès à la gare TGV de Sète. » Quant à la possibilité que le projet soit abandonné, Jean-Guy Majourel reste réaliste : « La DUP est en place, et nous travaillons pour améliorer le projet en fonction de cette réalité. »

 

[VIDEO] Interview avec Jean-Guy Majourel, vice-Président de Sète agglopôle méditerranée et conseiller municipal de Sète :

 

Félix Caron plaide pour un « gel » et une révision du projet LGV entre Montpellier et Perpignan. Le président de l’association ALT-Alerte LGV Thau explique les objectifs : « Notre agenda, c’est de mobiliser les citoyens pour les informer de l’impact de cette ligne sur leur territoire, et de rallier les élus locaux pour obtenir un gel du projet. » Il souligne la nécessité de repenser l’infrastructure pour qu’elle soit plus écologique et moins coûteuse dans un contexte de restriction budgétaire. Félix Caron reste optimiste : « le premier coup de pelle est prévu vers 2030, d’ici là, il peut se passer beaucoup de choses, surtout concernant l’utilisation des fonds publics. » Il ne rejette pas le concept de grande vitesse, mais estime que « le scénario retenu n’est pas pertinent ». La volonté d’ALT est de voir un projet réévalué pour mieux répondre aux enjeux actuels et aux besoins du territoire.

 

[VIDEO] Interview avec Félix Caron président de l’association ALT-Alerte LGV Thau 

 

Bruno Arbouet, président du Conseil de développement de l’archipel de Thau avait prévenu qu’il ne participerait pas à cette mascarade qu’il avait qualifiée « d’atelier coloriage ». Son représentant a pris la parole pour prévenir de l’absurdité du projet qui va générer des nuisances sonores, visuelles, environnementales et un appauvrissement de la mobilité de proximité. 

Si cette LNMP promet plus de 3 millions de voyageurs, 39 minutes en moins de temps de trajet entre Montpellier et Perpignan, 20 000 poids lourds en moins sur l’A9 et 160 000 tonnes de CO2 en moins par an, cela reste comme crié dans la salle « de la com et des éléments de langage ». Rien ne valide encore que ces projections soient justes. Ce qui est certain en revanche, c’est que SNCF Réseau a sous-estimé sa priorité : construire le projet avec le territoire. 

Les ateliers participatifs prévus ce jeudi ont été désertés, les tableaux, feutres et post-it ont permis de laisser quelques revendications qui donne le la des mois à venir, « 6 milliards pour quelques minutes ! NON à la LGV »  et « ZAD PARTOUT ! »

 

Jean-Philippe Vallespir