Depuis un an altermidi publie les chroniques quasi-quotidiennes reçues de nos correspondants gazaouis qui continuent d’organiser la résistance au quotidien dans les camps de déplacé.e.s. Jusqu’ici, notre parti pris était de diffuser l’information brute telle qu’elle nous parvenait : compte-rendus d’activités, textes de réflexion et d’analyse sur la situation au jour le jour. Nous souhaitons désormais restituer les témoignages de l’équipe d’Abu Amir (UJFP) et de Marsel (Ibn Sina) sous une autre forme, hebdomadaire, plus synthétique et plus analytique.
Actuellement, dans le Nord de la bande de Gaza (Jabalia, Beit Laya, Beit Hanoun) la situation est apocalyptique, l’alternative est entre mourir de faim et de soif enfermé dans ses ruines, ou sous une balle ou un bombardement en cas de sortie dehors. Plus aucune aide humanitaire ne rentre et plus aucun hôpital ne fonctionne. Ce sont les nouvelles que l’on reçoit et qu’Abu Amir et Marsel ont renseignées dans différents textes.
« L’armée israélienne assiège les habitant.e.s du nord de Gaza depuis trente jours, pour les forcer à quitter leurs zones. Elle pratique une politique de génocide contre les habitant.e.s du nord et commet les massacres les plus brutaux, mais les habitant.e.s préfèrent la mort au déplacement et à une répétition de la Nakba de 1948. »
Cette situation renvoie « au plan des généraux » israéliens à la retraite pour éradiquer le Hamas : « se rendre ou mourir de faim » au mépris de la vie des civils restés dans le Nord de la bande de Gaza.
Dans ce contexte de mépris total et de destruction du droit international (voir la récente loi votée par la Knesset d’interdiction de l’UNRWA), et de continuation du génocide sous toutes ses formes sans que la communauté internationale ne passe à l’action pour arrêter cet état génocidaire, les équipes avec lesquelles nous sommes en contact continuent de se battre pour que la société palestinienne ne se délite pas et puisse mener une vie digne.
Quelle est la situation concrète là où résident et travaillent Abu Amir et Marsel à ce jour ?
Abu Amir est le représentant à Gaza de l’UJFP. Il est responsable de l’ensemble des actions se menant dans la bande de Gaza grâce à l’aide envoyée par l’UJFP et sous son logo.
Comme tous.tes les habitant.e.s de Gaza, les deux équipes et les campements où elles interviennent ont été plusieurs fois déplacées par les bombardements. Aujourd’hui (1er novembre 2024), la géographie de leur intervention peut être esquissée comme suit :
1) Le soutien aux paysans et Abu Amir, représentant à Gaza de l’UJFP, est déployé originellement à partir d’un groupe de paysans de la zone sud-est de Khan Younis, autour des deux villages de Khuza’a et Abasan. Le groupe se fédère autour de la personnalité d’Abu Amir, qui impulse deux lignes de conduite : que l’aide aille en toute priorité aux exploitants agricoles les plus pauvres, et que l’organisation des paysans soit rigoureusement autonome et a-partisane.
2) Le centre d’éducation populaire Ibn Sina et Marsel
Chacun des deux groupes représenté est arraché de son lieu de vie, totalement détruit, aussi bien les terres et villages agricoles du sud-est de Khan Younis que le camp de Jabalia du nord. Après plusieurs déplacements forcés, un important groupe de paysans se stabilise dans un campement à l’ouest de Khan Younis, tandis que Marsel et une partie de son équipe se regroupe à Deir al Balah. Ces deux campements sont au centre de l’emploi de l’aide envoyée grâce à la collecte par l’UJFP. Mais aussi bien Abu Amir que Marsel vont être attentifs à l’environnement de leurs propres camps. D’autres camps vont ainsi profiter d’actions pérennes ou, plus souvent, ponctuelles.
État actuel des camps où se déroulent des interventions pérennes.
Le campement des paysans
Il se nomme Al Fajr camp (le camp de l’aube) et rassemble 1 800 familles, pour leur grande majorité des paysans ou familles de paysans. Il est situé dans la zone Al Mawasi, à l’ouest de Khan Younis.
Le campement où intervient Ibn Sina
Il se nomme Al-Izza camp ( le camp de la fierté ), comporte 500 familles et est situé dans le sud de Deir al Balah.
Le camp Amal
Amal signifie Espoir. Ce campement rassemble, sans spécification professionnelle ou de lieu d’origine, des déplacé.e.s qui se sont installé.e.s dans le nord de Deir Al Balah. C’est un « petit » camp (85 familles), mais il est le centre pour la scolarisation et les ateliers de soutien psychologique en direction des camps qui le bordent (Il est aussi le camp responsable de l’approvisionnement quotidien en eau potable du reste des camps).
Les camps des pêcheurs
Ces camps, de tailles très inégales, installés à Deir al Balah, sont également en contact avec les équipes.
– Le principal regroupement de pêcheurs, avec la présence de Zakaria Baker, le responsable syndical des pêcheurs, est en lien quotidien avec Abu Amir. Il se nomme Al Quds 2 (Jérusalem 2) et abrite 260 familles, dont 150 familles de pêcheurs. Un très gros effort financier a été consenti (parce qu’indispensable), pour l’achat de tentes, car le dernier déplacement avait laissé un nombre important de familles de pêcheurs sans abri du tout.
– un soutien ponctuel est aussi donné à un petit groupe d’une dizaine de tentes de pêcheurs où habite Madleen, qui fût la première femme pêcheure de Gaza, déplacée là avec son mari et ses quatre enfants.
Dans ces camps l’organisation sociale est exemplaire et peut nous laisser rêveur.se.s sur leur structuration citoyenne et les valeurs qu’elle développe et promeut. Sans parler d’une écoute et d’un dialogue permanent avec la population, ce qui permet l’élaboration de projets en lien avec les besoins, les nécessités et les personnes. S’adapter et élaborer de nouveaux projets collectivement et en lien avec le réseau de ressources possibles dans le contexte sur place.
- Concrètement 3 repas complets par semaine sont élaborés d’un point de vue nutritif et distribués dans le camp le plus important, celui des paysans.
- Dans tous les camps, la re-scolarisation des enfants et la prise en charge psychologique est mise en place. La scolarisation concerne des centaines d’enfants et s’articule également à une prise en charge psychologique et ludique.
Les questions de prise en charge psychologique et psycho-sociale sont au centre des activités mises en place avec les groupes de femmes, d’hommes : des workshop où sont abordées les questions de violence, de sexualité, de santé, de conflits intra-familiaux, de mort et de deuil, et même de rêves et d’espoir ! Ces activités collectives sont régulières et adaptées aux sujets qui émergent dans les groupes, sans oublier la nécessité de la joie et du divertissement quand il se présente.
Un aspect essentiel de la vie quotidienne est pris en charge : les questions d’hygiène avec non seulement la distribution de produits, savon, shampoing, désinfectant mais aussi, quand c’est nécessaire, des séances de formation avec des professionnels sur les gestes et les comportements à adopter de façon préventive, la véritable mise en place d’un programme de formation à la santé et aux risques encourus en situation de guerre.
La désinfection des camps avec des pulvérisations contre tous les nuisibles s’effectue régulièrement et peut aussi se dérouler dans d’autres camps quand la demande insistante leur est faite. Cette action a pu être mise en place en faisant re-travailler une petite entreprise de personnes sur place. Des personnes déplacé.e.s racontaient dans une vidéo que pour faire fuir les moustiques ou autres nuisibles, ils faisaient du feu devant l’entrée de la tente en la fermant et tentaient de dormir dans la fumée produite…
Les actions touchant au maintien d’un minimum d’hygiène dans les campements, question cruciale pour la santé de tous et en particulier des enfants, a touché d’autres camps de Deir Al Balah :
- Campagnes « nettoyage et désinfection des camps ». Six campagnes ont été effectuées, touchant de trois à quatre camps chacune.
- Désinsectisation : l’opération a lieu dans divers camp à intervalles plus ou moins réguliers
- Pour la dernière en date des initiatives (équipe Ibn Sina), curage des puits envahis par les eaux usées, le campement bénéficiaire a été choisi pour sa position particulièrement désastreuse à cause de la sous-couche glaiseuse dans lequel il est implanté.
C’est toute la vie quotidienne qu’il faut réorganiser et adapter aux conditions imposées par ces déplacements et regroupements forcés dans des lieux inadaptés.
Des projets porteurs d’espoir naissent aussi, comme la remise en culture sur le peu de terre qui existe et que les agriculteurs ont tout de suite repris à leur compte et à leur énergie ! Dans un souci de re-vivre, re-travailler, re-produire et lutter aussi contre le bond financier sans précédent des produits de base qui rend inaccessible la possibilité de se nourrir correctement. Quelques exemples : un kilo de pommes de terre coûte 40 dollars, un kilo d’ail 95 dollars (chiffre sans précédent à l’échelle mondial), 1 litre d’essence 40 dollars…
Quelques propos des paysans qui ont remis en culture récemment : « Nous restons assis pendant des heures chaque jour à contempler nos semis, nous avons du mal à croire que notre terre a recommencé à verdir après une année de sécheresse. La région a recommencé à palpiter de vie. » C’est un retour à une vie décente et de l’espoir pour l’avenir.
Toutes ces actions, ces activités ne seront rendues possibles que grâce à l’argent de la solidarité, de la collecte mise en place par l’UJFP qu’altermidi a publié récemment ICI.
Mais ce qui se dégage de cette organisation quotidienne d’une résistance vivante est une leçon à la fois humaine, écologique, politique et citoyenne : une boussole universelle.
Brigitte Challande