Rencontres avec l’association Cap Gély Figuerolles, du 3 au 6 octobre, et conclusion magique dimanche lors d’un concert qui réunit traditions orales gitanes et médiévales.


 

Depuis jeudi « Mosaïque Gipsy Bohème » a installé sa quatrième édition à la Halle Tropisme, et la journée d’inauguration a été bien remplie, achevée par une soirée mariage gitan menée par le percussionniste « El Tourné ». Programme exceptionnel hier, où l’on a pu découvrir et savourer la rumba catalane entre démonstrations et danse, et le soir Junior et Yerai et reggaeton.

Aujourd’hui, les musiciens de Sabor de Gracia de Barcelone prennent le relai, après le spectacle équestre d’Olivier Estrugo, le concert de Los Kemados Gipsy, et le spectacle « Tzigane au féminin » de Rosa Romanes Bouglione. On a rendez-vous tous les jours avec les « Contes tziganes » de Anne-Juliette Vassort et cinq grandes expositions sur le monde gitan et la rumba.

 

Jeunes musiciens à Fontcarrade

 

Le final sera demain dimanche, à 14 h 30, une belle rencontre, celle des musiques du Moyen Age et des traditions gitanes, avec l’oralité comme approche commune. Autour de cette idée se réunissent l’association Cap Gély Figuerolles et la Cité des Arts, le département Musicologie de l’Université Paul Valéry, aidé par la DRAC, et La Camera delle Lacrime et son « Ensemble-école ». Stéphane Hernandez, qui a fondé l’association Cap Gély, a aussi créé ce festival, lauréat de la Fondation Banque Populaire en 2021, et le concert de clôture met en valeur un important projet qui a déjà réuni ces partenaires et rassemblé nombre de jeunes : « Vermeil gitan » mêle à la rumba gitane le chant du Livre Vermeil de Montserrat, du XIVème siècle.

La tradition gitane fait partie de l’histoire de Montpellier : Manitas de Plata, ambassadeur de la nation gitane à l’ONU, a sa statue devant la mairie. « On met l’accent sur la rumba catalane, rappelle Stéphane Hernandez, qui soutient la demande de classement comme patrimoine immatériel de l’UNESCO. Elle sait s’adapter et cette oralité est une compréhension réciproque, un désir de jouer ensemble, de faire cohabiter les cultures ».

Début avril l’étonnant échange avec les musiques médiévales a commencé au Parc de la Guirlande avec la commémoration de la création du peuple tzigane, que Montpellier a été la première ville de France à célébrer. A cette occasion c’est un partage de musiques qui s’est créé, et une aventure pour la jeunesse a débuté aussi dans ce même quartier. Au collège Fontcarrade une bonne vingtaine d’élèves se sont inscrits à une chorale, en plus des cours de guitare et de percussions menés par William et Solenzo, qui font partie de Los Kemados, présents au festival dès l’inauguration.

 

Musicologie et impro

 

La démarche a tout de suite intéressé Gisèle Clément, enseignante-chercheuse, musicologue spécialiste du Moyen Age et directrice du Centre International de Musiques Médiévales (CIMM). Mais aussi Bruno Bonhoure et Khaï-Dong Luong de la Camera delle Lacrime qui interviennent à l’Université Paul Valéry avec leur « Ensemble-Ecole » dont c’est la sixième saison. Fin mai la chorale de Fontcarrade dirigée par Alexandrine Venon est venue au festival « Les Marteaux de Gellone », à Saint-Guilhem-le-Désert, et ce concert sera bientôt diffusé sur le web. Pour les étudiants en musicologie c’est une découverte, d’autant que l’aventure va entamer une troisième étape, toujours subventionnée par la DRAC : constituer une archive de documents sonores, collectés auprès des musiciens des familles gitanes, – au moins trois générations ! – une idée qui passionne Gisèle Clément ainsi que Corinne Savy, ethnomusicologue à l’UPV, qui a travaillé sur les danses gitanes, flamenco et rumba1.

 

En avril, au parc de la Guirlande, musiciens gitans et artistes de la Camera delle Lacrime partagent la même scène (Ph. CIMM)

L’originalité du projet est surtout dans ces échanges car il ne s’agit pas de faire découvrir aux gitans un patrimoine peu connu. « On ne vient pas apporter la culture, précise Gisèle Clément. Chaque être humain a une culture. Ce concert est une scène partagée ». Outre ce point commun qui est la transmission orale, il y a d’autres critères : « Les chants du Livre Vermeil étaient pour tout le monde, à l’arrivée des pèlerins, et il y avait des danses, une marche, pas nomade. Les Gitans ne sont pas des « gens du voyage », mais le voyage fait partie de leur itinérance. Et l’oralité va avec la mémoire ». Des traditions différentes et un vécu cœur battant.

 

Poésie d’aujourd’hui

 

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L’« Ensemble-Ecole » qui réunit toute l’année une dizaine d’étudiants, avec Etienne Boix à la guitare, travaille la réinterprétation des chansons du Moyen Age, et ce parcours a déjà conduit vers la voie pro’ la mezzo montpelliéraine Estelle Mazzillo, après son cursus universitaire. « Il y a une énergie et une écoute, il faut donner la chance au moment présent. On a des surprises, une poésie de notre temps », déclare Bruno Bonhoure, troubadour occitan, fondateur de La Camera delle Lacrime avec le metteur en scène Khaï-Dong Luong. Ce dernier a lancé l’idée de la rencontre de mai et le succès de ces concerts où la guitare rencontrait le luth a lancé l’idée de se retrouver au festival.

Leur démarche pédagogique connaît de beaux jours, et leur web série de 18 épisodes « Circum Cantum », enregistrée avec des scolaires, a reçu fin mai le formidable prix Patrimoine 2024, après avoir été nommé en 2023 pour le Prix de l’Enseignement Musical (Innovation). L’on peut expérimenter leur « Karaoké médiéval », en latin, en sanscrit, en italien, en occitan, il comporte une vingtaine de titres, avec partitions, montages, démonstration. Pour tenter le coup dimanche. Préparons-nous à participer à cette expérience unique, entre les morceaux variés du Livre Vermeil, et les incontournables airs gitans – on chantera aussi « Bamboleo » des Gipsy Kings !

Michèle Fizaine

Notes:

  1. Son ouvrage « Ismael Salvan, danser le silence » (Actes Sud, 2009)va être réédité en janvier.
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J’ai enseigné pendant 44 ans, agrégée de Lettres Classiques, privilégiant la pédagogie du projet et l’évaluation formative. Je poursuis toujours ma démarche dans des ateliers d’alphabétisation (FLE). C’est mon sujet de thèse « Victor Hugo et L’Evénement : journalisme et littérature » (1994) qui m’a conduite à écrire dans La Marseillaise dès 1985 (tous sujets), puis à Midi Libre de 1993 à 2023 (Culture). J’ai aussi publié dans des actes de colloques, participé à l’édition des œuvres complètes de Victor Hugo en 1985 pour le tome « Politique » (Bouquins, Robert Laffont), ensuite dans des revues régionales, et pour une série de France 2 en 2017. Après des études classiques de piano et de chant, j’ai fait partie d’ensembles de musique baroque et médiévale, formée aux musiques trad occitanes et catalanes, au hautbois languedocien, au répertoire de joutes, au rap sétois. Mes passions et convictions me dirigent donc vers le domaine culturel et les questions sociales.