C’est le moment de s’offrir des vacances lyriques pour la fin du mois de septembre, voyager de Toulouse à Marseille en passant par Montpellier. Les amateurs d’opéra n’ont jamais été aussi gâtés ! Verdi et Bellini au(x) programme(s), du 22 septembre au 8 octobre. Metteurs en scène et interprètes ont beaucoup à dire sur des œuvres-phares…


 

VERDI A MONTPELLIER

 

Le hasard se transforme en « destin », l’univers tragique et burlesque de Verdi à redécouvrir (Photo. R. Ricci)

 

Le public montpelliérain a dû patienter… « La Force du destin » de Verdi compense enfin la frustration de l’an dernier où il n’a pas été possible d’accueillir un titre lyrique pour ouvrir la saison. Dimanche, cela va être une vraie découverte, et pas seulement pour Roderick Cox, le tout nouveau chef de l’Orchestre National de Montpellier, pour qui c’est une première. Amadi Lagha et Stefano Meo, qui incarnent les frères ennemis Alvaro et Carlo, rejoignent la soprano Yunuet Laguna dans sa prise du rôle de Leonora, dont elle avait chanté l’air « Pace ! Pace ! » au gala lyrique de 2023, à Montpellier. On attend beaucoup de son interprétation ! Il s’agit d’une coproduction remarquée, donnée au festival Verdi de Parme en septembre 2022, puis à Bologne et Palerme, et elle va être reprise à Toulon, en octobre. Yánnis Kókkos est de retour à Montpellier où il avait mis en scène « Pelléas » en 2002 et « Turandot » en 2016. C’est sa vision nouvelle de « La Forza » que sont en train d’élaborer musiciens et chanteurs – le chœur de Toulon rejoint celui de Montpellier. Il s’agit de réinventer, entre Espagne et Italie, un amour tragique, la culpabilité et la vengeance dans le divin et le morbide. On en a le souffle coupé.

 

Ce que nous dit le metteur en scène Yánnis Kókkos

 

Entre guerre et religion Yánnis Kókkos met en scène « une course vers le néant » (Ph. T. Lepera)

Extravagance. « La Force du Destin est une œuvre étonnante. Contrairement aux autres opéras de Verdi, elle a une couleur particulière, des éléments disparates. Il y a des références à une dramaturgie shakespearienne, et des personnages burlesques qui n’ont rien à voir avec l’action. L’acte III est très violent, mais il y a la tarentelle et le rataplan, musicalement très enlevés, qui n’ont pas de raison dramatique. Ce dernier est dérisoire, comme un pied de nez à Offenbach. Il y a une dimension extravagante, un peu onirique, comme un cauchemar gai et j’ai respecté cette extravagance. »

Regard. « La guerre est très présente. Il y a deux pôles, la guerre et la religion, qui sont traités à la manière où Verdi les voyait. Ce n’est pas un apôtre de la guerre, et s’il est près de la religion, il est plutôt dans la spiritualité, il respecte mais n’aime pas ceux qui la partagent. Le Père est un religieux respectable plein d’humanité et de compréhension, mais la vraie vision, c’est le curé cynique, le côté burlesque. Un regard multiple, sans aucun dogmatisme, c’est la profondeur de Verdi ! »

Destin. « Il y a une phrase de Marguerite Yourcenar qui évoque cette fatalité : « Le hasard est l’homme de paille du destin (de Dieu) ». C’est par hasard que part le coup de pistolet qui tue le père, mais cela se transforme en destin. Leonora est délaissée, abandonnée, elle entre par nécessité au monastère pour quitter le monde, pour quitter tous ceux qui l’ont quittée. Alvaro est poursuivi par son frère, il est motivé par la haine, sans ambivalence, comme on l’est aujourd’hui. Dans la première version de l’opéra, créée à Saint-Pétersbourg, Alvaro se suicide, il entre dans le néant, dans la solitude absolue. J’ai voulu introduire cette gravité de la version d’origine. Ce n’est pas un mélodrame mais une œuvre tragique. Il y a une urgence, une tension, une énergie vers le désastre, une course vers le néant. L’introduction est comme un rêve du passé. Reste la dimension non logique des rêves, une beauté particulière. »

« La Force du Destin » de Verdi, Opéra Orchestre National de Montpellier, les 22, 24 et 27 septembre à l’Opéra Berlioz. Durée 3 h 40. Programme, horaires, tarifs (26 à 80 €) sur opera-orchestre-montpellier.fr.

 

 

VERDI A TOULOUSE

 

Sommet lyrique et symbole de liberté « Nabucco » est le premier triomphe de Verdi. Photo Jean-Guy Python

 

A Toulouse, on remplit la salle ! « Nabucco » est un opéra légendaire, le premier grand succès de Verdi, et l’attirance du public est telle que le Capitole de Toulouse a dû ajouter une neuvième représentation à son programme. Dans cette coproduction, la mise en scène de Stefano Poda a déjà conquis le public à Lausanne en juin dernier, comme en Corée en 2021, à Buenos Aires en 2022, et une version en plein air inaugurera le Festival des Arènes de Vérone en 2025, et sera donnée tout l’été.

La série à Toulouse commence mardi 24, et une double distribution permet de donner une représentation supplémentaire. Le contexte biblique, le conflit entre Hébreux et Babyloniens, la violence des sentiments – amour et jalousie – font de cet opéra un sommet lyrique et un symbole de liberté. Le chœur des esclaves est connu à travers le monde – le chef Riccardo Muti en avait fait un hymne anti-Berlusconi il y a une dizaine d’années. Sous la baguette du maestro Giacomo Sagripanti, les sublimes voix de Gezim Myshketa, Aleksei Isaev, Yolanda Auyanet, Catherine Hunold, Jean-François Borras, Irina Sherazadishvili, Nicolas Courjal et Sulkhan Jaiani sont réunies, au service d’une partition qui, en plein XIXe siècle, participa à une évolution profonde de la façon de composer.

 

 

Ce que disent le maestro Giacomo Sagripanti et le metteur en scène Stefano Poda*

Giacomo Sacripanti reconnait qu’en Italie le chœur des esclaves est presque un hymne patriotique. « C’est quelque chose de très intime, de très sensible. Il ne faut pas le galvauder par la grande pompe, il y a d’autres moments pour faire cela. Mais « Va, pensiero » est une prière universelle pour tous les peuples opprimés. Il faut donc quitter la « façon italienne » pour chercher l’universalité. Dans Nabucco, il est plus simple de se laisser prendre par la fougue et par les effets. Il faut donc gommer à l’orchestre les irrégularités, éliminer la vulgarité, chercher l’expressivité, une balance qui fonctionne, chercher des sonorités qui varient. Mais une des raisons pour lesquelles j’ai accepté de diriger Nabucco pour la première fois est la présence à Toulouse de l’Orchestre du Capitole ! C’est un orchestre lyrique mais également symphonique de premier plan, avec lequel on peut partir dans cette recherche du son ».

 

Pour Stefano Poda, Verdi dans « Nabucco » parle de tout sans rien nommer. Photo Priska Ketterer Luzern.

 

Stefano Poda s’engage dans une nouvelle lecture. « Le défi de cette mise en scène c’est de développer un langage contemporain capable de préserver le plus haut mystère symbolique : accompagner les personnages dans un enfer dantesque, vers une fin de rédemption et de catharsis universelle, en s’appuyant aveuglément sur une musique qui parle de tout sans rien nommer. Plus d’uniformes, plus de bons et de méchants, plus de fusils, plus d’opprimés et d’oppresseurs… pour tracer une dramaturgie qui cesse d’être un « péplum » antique ou moderne, superficiel mais rassurant ».

Il s’attache à exprimer l’intériorité des personnages. « Le désaccord, la peur de l’autre, du différent, les antithèses n’oppriment plus génériquement un « peuple », mais l’individu : le bon et le mauvais sont la même personne à différents moments de leur parcours, voire extrêmement proches l’un de l’autre. Le bien et le mal sont présents en chacun de nous à différentes reprises et les peuples, comme les individus, sont en même temps capables de compatir et d’opprimer. »

*Propos recueillis par Jules Bigey

 

« Nabucco » de Verdi, Opéra National du Capitole, les 24, 26 et 29 septembre, les 1, 2, 4, 5, 6 et 8 octobre. Durée 2 h 30. Programme, horaires, tarifs (10 à 125 €) sur opera.toulouse.fr. Diffusion sur Radio Classique le 2 novembre à 20 h. Et « Dorian raconte… »

 

 

BELLINI A MARSEILLE

 

La mise en scène de « Norma » créée par Anne Delbée est inspirée par l’univers lunaire de Bellini. Photo M. Magliocca.

 

« Nabucco » fait souvent penser à « Norma » ! Et inversement… Voilà Bellini rival de Verdi, et Marseille retrouve la mezzo-soprano Karine Deshayes, qui revient pratiquement chaque année, notamment ces dernières saisons pour « Elisabeth, Reine d’Angleterre », « Les Huguenots », « L’Africaine ». Elle est aussi fidèle à Montpellier qui se souvient de « Shéhérazade », « Armida », des « Puritains », ou des « Nuits d’Eté » au Festival de Radio France, l’an dernier. Pour cette « Norma » qui commence le 26, on parle presque de « prise de rôle » car auparavant la soprano chantait plutôt Adalgisa… Mais elle a déjà incarné le rôle-titre en version concert à Aix en 2022 et à Strasbourg et Mulhouse en juin dernier, dans une mise en scène de Marie-Eve Signeyrole, qui évoquait la prise de rôle de La Callas. Pour Karine Deshayes c’est une aventure qu’elle partage, heureuse de découvrir l’univers construit par Anne Delbée à partir de cette « partition lunaire ». Et cette mise en scène qui sera reprise à Bordeaux en 2025, elle l’a découverte à Toulouse en 2019… dans le rôle d’Adalgisa !

Surprise : le 4 octobre, un album CD de « Norma » va sortir, qui a été enregistré il y a deux ans, où justement elle incarne Adalgisa, la jeune amante de Pollione, tandis que Marina Rebeka chante le rôle-titre, dans une version menée par John Fiore avec le Teatro Real de Madrid (Prima Classic). Dans cette Gaule occupée par les Romains, Norma est partagée entre son rôle de druidesse et son amour pour le proconsul : « Casta diva » exprime le conflit entre passion et devoir, dans « un dédale de l’inconscient »… Karine Deshayes a été Adalgisa pendant une quinzaine d’années et incarne maintenant la grande prêtresse, ce rôle vocal « hors norme ».

 

Karine Deshayes face au miroir

D’Adalgisa à Norma, Karine Deshayes vit un rêve devenu réalité. Photo A. Giraudel.

« Chanter Norma c’est un pari, et cela a été celui de bien d’autres, pas seulement de Maria Callas, mais aussi de Montserrat Caballe, Grace Bumbry… Je redécouvre la partition avec une nouvelle équipe, un autre regard. Dans la mise en scène Anne Delbée module à sa guise, s’adapte aux interprètes, ne fait pas du copié-collé, avec une touche personnelle, en connivence aussi avec le chef d’orchestre. C’est comme un miroir !

Comme la voix peut toujours évoluer, il s’agit de tout redécouvrir, au niveau vocal et théâtral : passer de Chérubin à la Comtesse dans Les Noces, d’Urbain à Valentine dans Les Huguenots, de Zerline à Elvira dans Don Juan… Mais c’est naturel, ma voix monte depuis une dizaine d’années, comme c’est arrivé à Shirley Verrett ou à Christa Ludwig. Je passe donc à des rôles différents. Et je travaille toujours avec Mireille Alcantara qui me coache depuis 32 ans ! Autrefois je travaillais avec elle trois fois par semaine, maintenant c’est trois fois par an. Mais c’est très important, je l’ai vue en avril.

Après Marseille, je vais chanter Norma ensuite à Bordeaux et à Toulouse, mais il va y avoir ma prise de rôle de la Reine Gertrude dans Hamlet à Montréal, et l’an prochain celle de Sémiramide à Rouen. Aujourd’hui je retrouve des partenaires ! J’avais connu à Pesaro Salomé Jicia, qui chante Adalgisa, et j’ai joué plusieurs fois avec Enea Scala, qui est Pollione, et que j’avais découvert dans Armida à Montpellier en 2017. Tous sont des amis, et même plus, on est une famille ! On est très proches, on peut tout se dire sans se froisser…

Chanter Norma, c’est redécouvrir cette tragédie. Le duo avec Adalgisa à l’acte II « Mira, o Norma » est plein d’émotion, j’ai envie de pleurer. C’est une histoire classique mais la fin est extraordinaire, car Norma découvre la femme qu’elle est… Norma a marqué ma vie, c’est un des premiers opéras que j’ai vus à Garnier, et cela a été décisif pour moi. J’avais 15 ans, j’étais violoniste, ma vie a changé. Je pense avec beaucoup d’émotion à Michèle Lagrange, à Martine Dupuy, à leurs parcours. Mes rêves deviennent réalité ».

Michèle Fizaine

« Norma » de Bellini, Opéra de Marseille, les 26 et 29 septembre, 1er et 3 octobre. Durée 3 h. Audiodescription le 29. Programme, horaires, tarifs (10 à 80 €), sur opera.marseille.fr. A Toulouse en 2019

 

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J’ai enseigné pendant 44 ans, agrégée de Lettres Classiques, privilégiant la pédagogie du projet et l’évaluation formative. Je poursuis toujours ma démarche dans des ateliers d’alphabétisation (FLE). C’est mon sujet de thèse « Victor Hugo et L’Evénement : journalisme et littérature » (1994) qui m’a conduite à écrire dans La Marseillaise dès 1985 (tous sujets), puis à Midi Libre de 1993 à 2023 (Culture). J’ai aussi publié dans des actes de colloques, participé à l’édition des œuvres complètes de Victor Hugo en 1985 pour le tome « Politique » (Bouquins, Robert Laffont), ensuite dans des revues régionales, et pour une série de France 2 en 2017. Après des études classiques de piano et de chant, j’ai fait partie d’ensembles de musique baroque et médiévale, formée aux musiques trad occitanes et catalanes, au hautbois languedocien, au répertoire de joutes, au rap sétois. Mes passions et convictions me dirigent donc vers le domaine culturel et les questions sociales.