L’exposition « Senteurs célestes Arômes du passé » propose une approche sensorielle inédite, au Musée Henri Prades de Lattes (34) jusqu’au 3 février 2025.


 

Le site archéologique « Lattara » vit une expérience unique, qui change beaucoup l’idée qu’on se fait d’un musée et d’une exposition. Une collection de « Senteurs célestes », une visite des « Arômes du passé »… L’idée est presque paradoxale, car on s’attend souvent à des tableaux, des objets, du mobilier, conservés, restaurés. Cette fois, découvrir les parfums de l’Antiquité est une expérience olfactive, ce qui est rare.

C’est un voyage. Vers le passé, vers l’Égypte, la Grèce et l’Étrurie1, à travers des pratiques de la vie religieuse et de la vie quotidienne. Jadis l’usage des parfums était différent de nos habitudes actuelles. « Ce sont des odeurs plus que des parfums, explique la conservatrice Diane Dusseaux. Et il s’agit de communiquer avec les dieux, à travers des rituels. Ensuite le quotidien découle du religieux, les soins, les fêtes, la médecine et le maquillage ! »

 

Arômes sportifs avec l’éphèbe du Musée des moulages, athlète au strigile. Photo M.B. Agence Off

 

Trouver les plantes qui fleurent bon

On découvre tout d’abord ces plantes qui sont à l’origine de tant d’odeurs, une quinzaine de planches de l’ancien herbier de l’Université de Montpellier, constitué au XIXe siècle, collection mondialement reconnue. Mais ensuite il y a ces recettes antiques et les ingrédients qui permettent de créer l’emblématique kyphi, encens sacré des Égyptiens qui a conquis toute la Méditerranée, mais aussi le krokinon au safran.

Difficile de choisir entre le rhodinon à la rose, la reine des fleurs, et l’irinon à l’iris, dont Pline l’Ancien livre les recettes. Et aussi narcisse, violette, crocus, lotus, jacinthe, genêt… Stèles et bas-reliefs égyptiens et grecs représentent fêtes, banquets et funérailles, et une fresque de Pompéi met en scène des amours travaillant à la fabrication de l’huile parfumée. Une carte du monde permet de réaliser à quel point il s’agissait d’un commerce important de safran, de pistachier, de cardamome, qui avait cours en Occident et en Orient.

L’Égypte est le centre de ce monde des arômes, un sujet cher à Frédéric Servajean, professeur d’égyptologie à l’Université Paul Valéry et directeur du LabEx ARCHIMEDE, partenaire du projet. Ce chercheur a aussi beaucoup travaillé sur la navigation, passionné de cordages et de gréements, et curieux de tous les échanges commerciaux autour des essences et des aromates. S’il suit de près les nombreuses expéditions des navires de la reine Hatchepsout2, et l’intense activité du pays de Pount (entre Soudan et Somalie), il s’intéresse aussi au patrimoine de Montpellier, vraie capitale du parfum. Il a aussi préparé pour la fin de l’année une exposition jumelle au Musée du Caire : « Elle est purement égyptienne, précise-t-il. Avec quelques ouvertures sur les mondes chrétien et islamique. » L’aventure continue.

 

Fresque des amours parfumeurs de la Villa des Vettii de Pompéi. Photo J.P. Brun

 

Une exposition qui a du nez

De nombreux objets exposés sont les contenants de ces parfums, mais leur diversité permet de réaliser leur fabrication et leur conservation, le mélange des substances aromatiques avec un produit gras, gomme, résine, extrait d’amandes, d’olives, ou même beurre ou saindoux.

L’exposition réunit tout un ensemble d’objets précieux prêtés non seulement par les collections de Montpellier, mais par les musées d’Avignon, Berne, Genève, Grasse, Lyon, Nîmes, Nissan-lez-Ensérune, Toulouse, et le Musée du Louvre. De nombreuses céramiques sont en vitrine, mais aussi cuillères, strigiles3, miroirs, pots de fard à « kohol ». Certaines sont ornées de scènes qui mettent en valeur leur usage mystique ou cosmétique — de jolis lécythes4, vases à anse et col élevé, et des alabastres, flacons plus personnels et transportables, appréciés des femmes et des athlètes. Quelques scènes érotiques et sportives évoquent toilette collective et séduction intime. Les senteurs participent au désir… Mais la communication avec les dieux se fait effectivement « per fumum » : à travers la fumée !

 

Les herbiers de Montpellier sont mondialement réputés. Photo Université de Montpellier

 

Bienvenus chez le parfumeur

La principale surprise de l’exposition est une expérience d’immersion olfactive. On découvre ce qu’étaient ces parfums et trois boîtes en bois permettent de sentir les odeurs principales très répandues dans le monde antique. Il s’agit du safran, de l’iris, et de l’oliban (encens en résine). Nathalie Gondeau, qui a créé un atelier « Nez’bulleuse », est une institutrice titulaire d’un master de chimie et formée aux techniques de la parfumerie ; elle s’est passionnée pour le projet : « On est au cœur des recettes, des senteurs fortes ou discrètes, et du lien entre l’homme et le dieu. Entre olfaction et mémoire, c’est personnel, il y a des souvenirs, des émotions. »

Une scénographie olfactive a été inventée, ainsi que des masques de réalité virtuelle 3D. Grâce aux fouilles de Pompéi, Herculanum5, et à l’image d’une boutique identifiée à Paestum6, un magasin dédié à la fabrication et au commerce de parfums a été reconstitué. Les recherches scientifiques menées pendant plusieurs années, ont nourri des travaux innovants qui ont abouti à un dispositif que le visiteur peut expérimenter. Il découvre la fabrication, et hume l’odeur du feu, essentielle, puis celle du rhodimon. Deux start-up de Laval ont été sollicitées pour cette création qui utilise les capteurs d’Olfy7, et c’est Inod Solutions qui a accompagné les étudiants en Master 2 Jeux Vidéo de l’Université Paul-Valéry pour cette expérience unique. Outre le local et le pressoir reconstitué, on rencontre l’avatar du parfumeur qui parle un latin populaire !

Ce n’est pas seulement virtuel, il y a toute une histoire du parfum, dans l’Iliade et l’Odyssée d’Homère, mais aussi dans les textes d’Hérodote, Aristophane, Xénophon, Démosthène, puis ceux de Pline, Pétrone, Cicéron… L’immersion dans les odeurs de cet univers antique et l’expédition au Pount font oublier le temps, mais pas la magie de ces fragrances, comme la décrit le peu connu Achille Tatius dans son « Roman de Leucippé et Clitophon », une histoire d’amour éternelle : « La brise, en s’élevant, mêlait le parfum à l’air et c’était là un vent de plaisir ».

Michèle Fizaine

 

Exposition « Senteurs célestes, arômes du passé. Parfums et aromates dans l’Antiquité méditerranéenne », jusqu’au 3 février 2025, site archéologique Lattara – musée Henri Prades, Lattes.
Entrée tarif : 5 €, réduit 3 €. Gratuit pour moins de 18 ans et gratuit le premier dimanche de chaque mois. https://museearcheo.montpellier3m.fr

Conférences du jeudi à 18h30 à l’auditorium (entrée libre) : le 3 octobre, « La mer Rouge et la quête des aromates » de Frédéric Servajean ; le 21 novembre, « L’économie du parfum dans le monde gréco-romain : du producteur au consommateur » d’Éric Perrin-Saminadayar ; le 12 décembre, « Montpellier à la croisée des parfums » de Magali Charreire ; le 23 janvier, « Peut-on éprouver le passé ? Enjeux, limites et perspectives de la reconstruction 3D plurisensorielle d’une expérience antique » de Laurent Fauré et Thierry Serdane.

Catalogue de l’exposition, sous la direction de Frédéric Servajean et Diane Dusseaux, éditions Snoeck, 168 p., 20 €.

 

 

Notes:

  1. L’Étrurie, généralement désignée dans les textes sources grecs et latins par le nom de Tyrrhenia était une région d’Italie centrale, territoire des Étrusques. Elle correspond à l’actuelle Toscane.
  2. Première reine d’Égypte (entre 1473 et 1471 à 1458 environ av. J.-C.) .
  3. Le strigile est un racloir recourbé utilisé par les Étrusques et les Romains pour se nettoyer la peau.
  4. Vase grec antique utilisé pour stocker de l’huile parfumée destinée aux soins du corps.
  5. Herculanum était une ville romaine antique détruite par l’éruption du Vésuve en 79 apr. J.-C.
  6. Paestum est une ancienne ville grecque fondée au 6e siècle avant notre ère en Campanie (région d’Italie méridionale).
  7. Le dispositif OLFY est composé de deux boitiers qui s’interfacent sur tous les casques de réalité virtuelle. Ils permettent la diffusion d’odeur synchronisée avec le contenu immersif. Cela permet d’augmenter l’immersion des expériences de réalité virtuelle.
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J’ai enseigné pendant 44 ans, agrégée de Lettres Classiques, privilégiant la pédagogie du projet et l’évaluation formative. Je poursuis toujours ma démarche dans des ateliers d’alphabétisation (FLE). C’est mon sujet de thèse « Victor Hugo et L’Evénement : journalisme et littérature » (1994) qui m’a conduite à écrire dans La Marseillaise dès 1985 (tous sujets), puis à Midi Libre de 1993 à 2023 (Culture). J’ai aussi publié dans des actes de colloques, participé à l’édition des œuvres complètes de Victor Hugo en 1985 pour le tome « Politique » (Bouquins, Robert Laffont), ensuite dans des revues régionales, et pour une série de France 2 en 2017. Après des études classiques de piano et de chant, j’ai fait partie d’ensembles de musique baroque et médiévale, formée aux musiques trad occitanes et catalanes, au hautbois languedocien, au répertoire de joutes, au rap sétois. Mes passions et convictions me dirigent donc vers le domaine culturel et les questions sociales.