Durant les JO, Le Canard Enchaîné accueille dans sa mare des « à-côtés » mondiaux ou pas. « Pointe sèche ou encre sympathique » pour le dessinateur Aurel. Entretien.


 

Aurel est dessinateur, journaliste, et aussi musicien, et on a pu découvrir l’an dernier sa double passion, dans son exposition montpelliéraine à Pierrevives, « De la musique plein les yeux ». S’il a fait ses débuts au Clapas, il bouge côté Marseille avec Massilia Sound System et Oai Star, et fait bouger, comme ses dessins et ses films. Avec Josep, le héros de la Retirada, il a eu le César du meilleur film d’animation. Ont été aussi depuis remarqués Clandestino, et l’an dernier Les trois vies d’Arminé — Algérie, Espagne, Arménie… Sur les JO le voici en reportage, un simple exploit sportif alors qu’il prépare une nouvelle BD documentaire chez Futuropolis et qu’il a deux projets de films « sur le feu ». En attendant de les découvrir, posons lui quelques questions :

 

Comment est venue l’idée de cette « Mare aux JO » publiée chaque semaine, où « Le Canard » éclabousse, et jette un regard différent sur les « mises en Seine » de ces célébrations historiques ?

L’idée est venue en discutant avec Jean-Michel Thénard, rédacteur en chef des pages actu’ du Canard Enchaîné Je lui proposais une idée de reportage sur un tout autre sujet. Il m’a répondu : « Ok, on le fera, mais l’actu’ des mois à venir c’est les JO, et on pourrait faire une série d’été en reportages là-dessus ». Banco.


Dessinateur de presse, vous retrouvez votre rôle de reporter, de témoin engagé : quelle a été votre démarche, votre choix pour explorer ce qui est nommé « à-côtés des Jeux olympiques » ? Comment s’est passée la sélection des six sujets ?

On a tâtonné, d’abord il a fallu se rendre à l’évidence qu’il était bien trop tard pour se faire accréditer, donc de fait il fallait trouver des sujets qui ne nécessitent pas de l’être. D’où cette idée des à-côtés. Mais c’est très bien ainsi et mon collègue Jean-Louis Le Touzet, accrédité à temps, se charge lui, chaque semaine dans cette page « La Mare aux JO », de rendre compte de ce qui se passe « à l’intérieur ». Ensuite ça a été une discussion entre Jean-Michel Thénard et moi sur les sujets. Je lui ai fait des propositions, il m’en a fait à son tour, et on a convenu d’une série de six sujets… Mais ça reste de l’actu’ donc ça peut bouger à tout moment.


Épisode 1 : « À Auch, cherchez la flamme ». On démarre en province ? C’est perso’ ? Du côté de chez vous ?

Oui, l’idée était à la fois de faire un premier épisode en amont car ça allait être publié 10 jours avant le début des jeux donc on savait que l’actualité sur le sujet serait « faible » à ce moment-là. Et puis c’était l’occasion en effet de ne pas parler QUE de Paris. Merde au centralisme. Le fait que ça soit dans le sud, c’était plutôt une question de planning qu’autre chose. Mais surtout je voulais un lieu qui ne serait pas dans tous les journaux nationaux — ce qui est assez facile à trouver quand il s’agit de la province.


Épisode 2 : « Un coup de pied au QR Code ». Un parcours à travers un Paris contrôlé et grillagé, avec pas mal de témoignages. Comment travaillez-vous à chaud ? Dessins, photos, prises de notes ?

Non, je ne travaille jamais à partir de photos. Sauf très, très rares exceptions : par exemple un lieu où il serait impossible de dessiner. Mais même dans ce cas-là je préfère dessiner d’après mes souvenirs plutôt que d’après photo. C’est une sorte de règle que je me suis fixé : si je veux défendre l’idée du reportage il faut que ça ait un intérêt d’être sur le terrain… et si c’est pour prendre des photos… Mes carnets sont autant remplis de croquis (que je reprends par la suite) que de notes.

 

Les plongées dans « la mare aux JO » sont pleines de surprises


Épisode 3 : « Qui veut gagner des Milliat ». La députée NFP Sandrine Rousseau rend un hommage personnel à la championne féministe oubliée Alice Milliat et elle s’interroge sur le sens de ces JO. Et vous, comment voyez-vous la portée politique de l’événement ?

Moi à vrai dire je m’en fous un peu. Je suis plutôt client par curiosité de regarder certaines épreuves de sports improbables ou de me mêler à la ferveur populaire derrière tel ou tel champion, mais ça n’aurait pas lieu ça ne me dérangerait pas. J’ai quand même un peu de mal avec le fric que tout cela exige… Je me dis un peu « à quoi bon » ? Une grande fête sportive ok, mais là c’est au-delà du sport. Quant à la portée politique… à mon avis c’est la critique (à juste titre) de l’événement qui est politique. L’événement en soit ne raconte pas grand-chose.


Épisode 4 à venir* : où allez-vous nous entraîner, vers quelle découverte et quelle réflexion ?

Justement, sur le fric. Celui de LVMH [ndlr, Louis Vuitton Moët Hennessy, numéro un mondial du luxe] qui a été nécessaire pour boucler le budget de ces jeux. Mais le groupe a en contrepartie exigé d’être présent partout.


Épisodes 5 et 6… Avez-vous préparé d’avance vos six sujets ou êtes-vous en train d’improviser ? Dans cette série comment gérez-vous le rapport texte/dessin ?

Oui, je sais ce que je vais faire, mais ça reste une surprise. J’improvise une fois que je suis sur le terrain, mais je n’improvise pas les sujets. Quant au rapport texte/dessin il varie beaucoup en fonction des sujets. Une rencontre avec Sandrine Rousseau c’est évidemment beaucoup moins graphique qu’une Balade dans Paris, mais ça nécessite beaucoup plus de texte pour rendre compte de la discussion.

En 2012 vous avez reçu le Prix de L’Humour Vache. Quand décidez-vous, ou pas, d’ajouter votre grain de sel personnel dans votre préparation ? Quand est-ce que l’humour devient « politique» ?

Il y a toujours notre grain de sel dans nos dessins. Je pense que tout est politique, nos choix, nos actions. À plus forte raison des dessins sur l’actualité. Déjà le choix des sujets que l’on traite et ensuite la tonalité qu’on donne à son dessin. Nous ne sommes pas des militants pour autant, on tape à priori sur tout le monde, mais on n’est pas obligé de taper tout le temps sur les mêmes.


Le Canard enchaîné mêle humour et satire mais est reconnu aussi comme un journal d’investigation. Est-ce aussi votre démarche, ce que semble confirmer vos autres publications, BD et films ?

Oui et non. Je suis immensément heureux que « Le Canard » m’ait proposé cette série de reportages et que la rédaction ait accepté depuis quelques années ma proposition de faire du reportage dessiné, notamment dans les dossiers trimestriels, mais ce n’est pas de l’enquête à proprement parler. C’est une autre forme de dessin journalistique, mais ce n’est pas de l’enquête.


J’ai retrouvé mes numéros de 2010, 2012, 2013, 2015 de L’Écho des Savanes, et les aventures de Sarkozy, Dati, Hollande…, qui ont un parfum très actuel. Feriez-vous volontiers une saga politique sur la période 2024 incluant élections et Jeux olympiques ?

Oui, pourquoi pas… en tout cas il y aurait matière… mais je ne suis pas sûr que ça mérite des BD. Et surtout ce genre de sujet nécessite de coller à une certaine actualité qui impose de fabriquer, écrire, dessiner la BD à toute allure et ça, je n’en ai plus envie.

Aurel et Michèle Fizaine

*Parution de l’Épisode 4 dans Le Canard Enchaîné du mercredi 7 août.

 

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J’ai enseigné pendant 44 ans, agrégée de Lettres Classiques, privilégiant la pédagogie du projet et l’évaluation formative. Je poursuis toujours ma démarche dans des ateliers d’alphabétisation (FLE). C’est mon sujet de thèse « Victor Hugo et L’Evénement : journalisme et littérature » (1994) qui m’a conduite à écrire dans La Marseillaise dès 1985 (tous sujets), puis à Midi Libre de 1993 à 2023 (Culture). J’ai aussi publié dans des actes de colloques, participé à l’édition des œuvres complètes de Victor Hugo en 1985 pour le tome « Politique » (Bouquins, Robert Laffont), ensuite dans des revues régionales, et pour une série de France 2 en 2017. Après des études classiques de piano et de chant, j’ai fait partie d’ensembles de musique baroque et médiévale, formée aux musiques trad occitanes et catalanes, au hautbois languedocien, au répertoire de joutes, au rap sétois. Mes passions et convictions me dirigent donc vers le domaine culturel et les questions sociales.