Danger imminent : un clip choc où 20 artistes déterminés et violents font barrage à l’extrême droite interroge sur le vote de la jeunesse.


 

Faisant suite au premier tour des élections législatives, la publication sur YouTube, dans la nuit de lundi, de « No pasarán », video de 9’43 qui réunit vingt manifestes de rap hostiles à l’extrême droite, a provoqué de multiples réactions. Le titre reprend le mythique slogan lancé par Dolores Ibárruri – « Ils ne passeront pas » – pour défendre la république contre les franquistes espagnols en 1936, et appelle à la mobilisation contre le Rassemblement National et ses chefs, Jordan Bardella, Marine le Pen, Éric Zemmour en particulier.

 

Un rap provocant dénoncé par un raz de marée médiatique

L’effet de surprise a été total, a envahi le monde de la presse, déclenchant nombre de polémiques entre médias. Les lyrics de ces 20 rappeurs, jeunes et « vieux » (1), tous antifascistes, ont été décortiqués et dénoncés. Éric Ciotti parle de « vomi », Marine Le Pen condamne cette « abjection », et Jordan Bardella cible « des appels au meurtre, de la misogynie violente, de l’antisémitisme crasse et du complotisme ». Il est le premier concerné par le début du clip, le cri lancé par Sofiane/Fianso : « Jordan tu es mort ! », slogan qui reprend en fait le brocard identique de Cédric Doumbè, adressé à Jordan Zebo pendant leur combat de MMA [arts martiaux mixtes] en novembre. Ce n’est pas la seule violence repérée…

 

Faire barrage à l’extrême droite : un idéal jamais atteint

Les auteurs du projet, DJ Kore et Ramdane Touhami, n’ont mis qu’une semaine à enregistrer ce collectif car les rappeurs se sont immédiatement engagés dans ce qui semble un écho de « La jeunesse emmerde le Front National », slogan de « Porcherie », lancé par les punks Bérurier Noir dans les années 80. Et repris aussi la semaine dernière… On peut se souvenir qu’Akhenaton, qui fait partie de l’équipe, avait contribué en 97 au « 11’30 contre les lois racistes », qui réunissait 19 interprètes. Son intervention actuelle est d’ailleurs une des plus violentes, émouvante aussi, comme son choix « j’préfère la main tendue au bras tendu ». Certains se souviendront aussi, comme Radio Nova, du « Hip hop citoyens » où la rappeuse Princess Aniès réunissait divers artistes contre Le Pen, après le premier tour des présidentielles de 2002.

 

 

La violence ne protège pas la jeunesse de nouvelles blessures

Bien sûr Marine Le Pen, qui a déjà été visée par Diam’s en 2004 dans « Marine » et en 2006, dans « Ma France à moi », est constamment visible et dénoncée, et Alkpote traite « Marine et Manon les putes » de « chiennes en rut ». Jordan Bardella s’indigne de cette misogynie mais Manon Aubry (LFI), ainsi désignée, trouve que ces termes ne sont « pas les mieux choisis », mais salue néanmoins l’engagement des artistes et des sportifs. La publication ne semblant pouvoir faire l’objet de poursuites mardi, Marine Le Pen a décidé pourtant jeudi de porter plainte. Auparavant l’imam Hassen Chalghoumi, défenseur de l’Islam et célébrité controversée même par les croyants, a annoncé la veille sur Europe 1 qu’il entendait porter plainte contre une démarche qui « prend la jeunesse en otage ».

La jeunesse est concernée. Le rap ne touche pas que les ados’ et mineurs. Le RN s’inquiète des choix du jeune électorat dimanche, et se tait sur le scandale causé en juin par la video « Je partira pas ». Conçue par Claudia Mariani en grande partie par IA, sa « Grazy Girl » appelle à l’expulsion des étrangers – OQTF (obligation de quitter le territoire français) citée par les rappeurs. Après qu’Éric Zemmour ait lui-même accompagné ce tube, SOS racisme a déposé une plainte. Propos violents face aux violences : Manon Aubry évoque ces « blessures » de la jeunesse. Délit de faciès pour Zola, drogue pour Ashe, racisme pour ISK, peur pour Decimo… Faire entendre sa voix électorale est une explosion, un attentat.

 

Lorsqu’une voix ambigüe éloigne des luttes…

«  “Chut” ? Normal, j’dis c’que j’pense », assure Demi Portion1. Le rappeur sétois, discret mais ferme dans ses engagements, ne commente pas. Dommage, car ses « Mots croisés » — titre d’un de ses albums — savent dire les contraires, les mensonges. Pour d’autres rappeurs un “Fuck” cache la pensée, et fait oublier que si le beat est celui d’un cœur battant, le rap reste un miroir social et un reflet intime. « Fais-toi pas avoir », dit Decimo.

Rien de gratuit. Le fait que les revenus de ce clip sont intégralement versés à la Fondation de l’Abbé Pierre a fait ricaner les médias et scandalise l’imam Chalghoumi. Mais cette association partenaire aide les jeunes, notamment les ateliers de rap ouverts à Sète par Demi Portion à La Passerelle, depuis près de vingt ans. Big up pour l’aide aux sans-abri, aux enfants défavorisés, reconnue par la Mairie de Sète. L’an dernier, Demi Portion lors de son concert gratuit pensait « donner un peu d’amour ». La violence favorise l’adversaire et les invectives du rap peuvent même paraître d’extrême droite pour une partie du jeune électorat. Certains se sont d’ailleurs désolidarisés… L’horizon électoral a changé la donne, « Car nous n’avons plus le choix », dit le clip. Quel avenir peut-on voir dans les invectives, les termes extrêmes et discriminateurs, qui sont pourtant l’image du vécu actuel ? Les mots violents sont là pour construire une barricade que la jeunesse doit franchir.

Michèle Fizaine

  1. Sofiane/Fianso, Zola, Kerchak, RK, Soso Maness, Zed, UzI, Ashe 22, Nahir, ISK, Mac Tyer, Alkpote, Cokein, Akhenaton, Pit Baccardi, Seth Gueko, Demi Portion, Decimo, Relo, Costa.

Photo. Demi Portion crédit Maude

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Notes:

  1. Demi Portion, rappeur sétois engagé, entre violence et « One love », à la croisée des mots et des combats
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J’ai enseigné pendant 44 ans, agrégée de Lettres Classiques, privilégiant la pédagogie du projet et l’évaluation formative. Je poursuis toujours ma démarche dans des ateliers d’alphabétisation (FLE). C’est mon sujet de thèse « Victor Hugo et L’Evénement : journalisme et littérature » (1994) qui m’a conduite à écrire dans La Marseillaise dès 1985 (tous sujets), puis à Midi Libre de 1993 à 2023 (Culture). J’ai aussi publié dans des actes de colloques, participé à l’édition des œuvres complètes de Victor Hugo en 1985 pour le tome « Politique » (Bouquins, Robert Laffont), ensuite dans des revues régionales, et pour une série de France 2 en 2017. Après des études classiques de piano et de chant, j’ai fait partie d’ensembles de musique baroque et médiévale, formée aux musiques trad occitanes et catalanes, au hautbois languedocien, au répertoire de joutes, au rap sétois. Mes passions et convictions me dirigent donc vers le domaine culturel et les questions sociales.