Reportage altermidi Paris le 27 juin 2024. Le rassemblement « Libertés » s’est tenu Place de la République à l’appel d’une centaine de médias indépendants, de syndicats et d’associations. Tous solidaires pour faire front face à l’arrivée de l’extrême droite. Rencontres…


 

« Libertés au pluriel car le RN s’attaquera à tous si par malheur il arrive au pouvoir. Liberté de créer, d’exister, d’aimer, de s’exprimer, de manifester, d’informer, de croire, de simplement défendre nos droits fondamentaux et de mobiliser pour la justice sociale et écologique. Car les migrants, les jeunes des quartiers populaires, les femmes, les personnes LGBT seront les premières victimes de l’extrême droite, il faut rappeler que nous sommes tous menacé.e.s. »

Toute la soirée, les prises de paroles de personnalités et de militants alertent sur les dangers de l’extrême droite, appellent à faire barrage par les urnes, mais aussi à la solidarité et à la résistance en cas de victoire du RN. Les instants musicaux alternent comme des respirations nécessaires avec les messages forts et émouvants. Ici, les gens, tous convaincus par le Nouveau Front Populaire, sont venus se retrouver pour se recharger en énergie après des jours de mobilisation intense et s’assurer que demain, si besoin, ils feront front ensemble, solidaires, contre l’extrême droite.

Sur scène, Judith Godrèche, Anna Mouglalis, Vikash Dhorasoo réaffirment droit.e.s et fier.e.s le danger que représente l’arrivée au pouvoir du RN. L’actrice Corinne Masiero avec sa gouaille et son humour habituel lit des extraits du programme du Front populaire. Anouk Grinberg qui l’accompagne prend la parole. La voix vibrante d’émotion, elle lance à l’assistance majoritairement jeune : « même si nous perdons les élections, on aura au moins retrouvé l’esprit de résistance, alors : ensemble quoi ! »

La Place de la République est noire de monde, le ciel s’embrase et une clameur monte, puissante : “no pasaran ! no pasaran !”. Car quatre militantes fémonationalistes Némésis entourées de gros bras skinheads tentent un happening en brandissant des pancartes bleues face à la scène. Tout ce piètre monde se fait éjecter manu militari. Les chants antifascistes résonnent. L’événement reprend dans le calme.

Si dans les mots l’inquiétude est plus que perceptible, la détermination à lutter prend toutefois le dessus sur la peur grâce à une certitude enfin remise à jour : l’union fait la force.

« Dans l’adversité, il faut toujours mettre le doigt sur le positif, la solidarité et la joie sont des moteurs puissants qui permettent d’avancer, adelante ! »

 

Stands des médias indépendants. Photo altermidi
Stands des médias indépendants. Photo altermidi

 

Le micro à la main, je me dirige du côté des tables des médias indépendants pour un petit tour d’horizon. La responsabilité immense des médias dans l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir est mise en avant par tous : « pas seulement Bolloré, ce serait trop facile, mais aussi des chaînes du service public ».

François Bougon, journaliste à Mediapart, précise qu’il s’exprime en son nom : « Il est essentiel d’avoir une réflexion collective et une expression apaisée de tous les médias indépendants pour arriver à construire une action commune, en respectant nos différences, ce qui manque dans le monde d’aujourd’hui. Nous partageons beaucoup de valeurs. Mais comment faire face au rouleau compresseur de la télé, comment construire des lieux médiatiques qui ne sont pas des propagandistes de haine ? il faut être plus combattif, imaginatif, arrêter de penser en chapelle comme la gauche politique le fait, acter les accords et les désaccords, essayer de trouver comment s’entraider et faire en sorte que chacun puisse survivre, bref, avoir une puissance de feu. »

La question de l’accessibilité à l’information indépendante est soulevée, celle du pluralisme audiovisuel également. « Il n’y a aucun média indépendant sur la TNT, explique une journaliste de Le Média, alors que les grosses chaînes de l’extrême droite y figurent. L’Arcom1 se pose théoriquement la question du pluralisme, mais les actions ne vont malheureusement pas dans ce sens. Nous avons postulé pour avoir une fréquence de la TNT et avons franchi le premier tour. Si le RN passe, les institutions seront en danger, espérons qu’elles se positionnent de façon courageuse et que l’Arcom nous attribuera ce canal avant les éventuelles nouvelles nominations des membres du collège. »

Pour le média Reporterre, « le RN au pouvoir, cela veut dire moins d’actions possibles de contester l’ordre capitaliste destructeur et plus de répression pour les milieux écologistes. Depuis que nous sommes tous regroupés sous la bannière « woke », nous devons nous serrer les coudes. Ils nous disent : on est contre vous tous. Et bien répondons, soyons ensemble !  Et nous le serons, c’est certain ».

Au stand Basta, l’ambiance est  « déter’ » et optimiste : « Nous allons écrire une nouvelle page de l’histoire. Il faut se mobiliser pour résister, ça va se jouer dans la rue plus que jamais… il faut continuer ce qui est fait ce soir, se réunir et garder les liens. »

 

« Résister ensemble sur tous les fronts »

Ouarda milite à la Ligue des droits de l’Homme, elle raconte le monde à l’envers sidérant, le grand n’importe quoi dans lequel nous évoluons depuis quelques temps : « alors que je tractais, je me suis fait traiter de nazie. C’est fou ! Nous allons vers des luttes permanentes partout et nous n’allons pas nous arrêter comme ça. Oui, il faut se serrer les coudes, toujours, être connectés, mais surtout il faut envahir les réseaux sociaux, nous les avons laissé tomber depuis trop longtemps et l’extrême droite les a accaparés. Nous avons un travail énorme à accomplir sur ce point et j’appelle les jeunes, qui sont habitués à les utiliser, à faire le maximum pour faire reculer le RN et son discours. Le costume cravate ne fait pas le bonhomme, il faut rappeler qui ils sont vraiment. »

Quant aux journalistes de StreetPress qui enquêtent depuis plus de 10 ans sur l’extrême droite, ses arrières-cuisine et ses élus, ils redoublent de volonté. Les troupes de la rédaction sont renforcées et la newsletter passe de mensuelle à hebdomadaire : « on ne lâchera pas, on continuera nos enquêtes, même si on s’inquiète de perdre les subventions publiques qui nous permettent de vivre et de la privatisation des médias du service public. Le but de ce rassemblement, c’est de faire front et de mettre nos forces en commun, de nous allier, tous ensemble, en tant que médias indépendants. »

Je me dirige vers la CGT Paris dont le stand est accolé au SNJ-CGT. Le syndicaliste m’affirme que la lutte va se jouer sur tous les fronts : « nous allons tout faire pour que le RN ne passent pas, mais si c’est le cas nous ferons en sorte de les empêcher de mettre en application leur programme, que ce soit sur le champ social, des discriminations racistes, des ségrégations ou des attaques contre les libertés démocratiques… à chaque fois, nous mobiliserons le plus possible, partout, dans la rue, dans les entreprises, etc. Dans le pays il n’y a pas une majorité écrasante de fascistes, donc il faudra imposer un rapport de force pour les faire reculer et dégager. Ce sera aussi une lutte sur le terrain juridique pour faire respecter l’État de droit. Nous nous battrons sur tous les plans, idéologique, social, dans la rue, devant les tribunaux. La Ve république, par essence, permet la dérive autoritaire et tout ce qui a été fait ces dernières années, que ce soit les lois sécurité globale ou immigration, c’est encore plus de possibilités d’autoritarisme et de pression. »

 

« Des lois répressives livrées au RN sur un plateau par le gouvernement Macron »

En effet, le gouvernement Macron a offert au RN les outils sécuritaires les plus utiles à la répression. La Défenseure des droits avait pourtant alerté sur les risques d’une utilisation abusive de ces lois qui mettraient en danger l’État de droit si elles tombaient entre les mains de personnes mal intentionnées. Rappelons que l’extrême droite est en terrain conquis chez les forces de l’ordre.

Les journalistes qui couvrent certains sujets brûlants (investigation sur l’extrême droite, luttes sociales, violences policières…) sont régulièrement menacés voire attaqués, comme en a témoigné Mathieu Molard, co-rédacteur en chef de StreetPress, et d’autres. Mais tous les militants politiques, syndicalistes ou associatifs, toutes les personnes qui s’impliquent dans les luttes sociales, environnementales et/ou pour la paix sont aujourd’hui dans le viseur et le seront plus encore avec l’extrême droite au pouvoir.

Des jeunes tiennent le stand Nouveau Front Populaire intitulé « les Convois de la victoire ». Pour gagner face à l’extrême droite, ils ont rejoint la campagne sur le terrain. L’idée a germé quand des amis issus de divers partis ou associations se sont réunis en se demandant comment, en si peu de temps, agir efficacement pour convaincre les gens de voter Front populaire. « Le principe est d’envoyer des militants sur le terrain, dans les circonscriptions clés où tout se joue à 200-300 voix pour les reconquérir ou les garder. Les volontaires s’inscrivent ici ou nous contactent via les réseaux sociaux et on organise tout, les déplacements, l’hébergement sur place. Si le RN passe, il ne sera pas majoritaire à l’Assemblée, nous aurons un an ou deux de blocage pour nous organiser pour les présidentielles et lutter de manière différente. Même si on perd, un beau mouvement global “d’à peu près union sur les menus différents qui existent” est né. On peut tabler là-dessus pour avoir quelque chose de plus grand et faire acte de résistance. » Quant aux égos et aux velléités de pouvoir qui bloquent toute avancée depuis des années ? « On vire ceux qui nous font chier et on bosse pour les gens, pour le social. »

Autour de la table de l’association Nous Toutes, des femmes discutent et informent : « L’extrême droite est un vrai danger pour les droits des femmes, l’accès à l’IVG, les luttes pour l’égalité, les égalités salariales, le droit à disposer librement de son corps, tous les sujets qui touchent à la place et au corps de la femme dans la société vont être remis en question. On va assister à un vrai recul. Il ne faut pas oublier les prises de position que ces gens-là ont eu par le passé même s’ils essaient de le cacher, on constate la régression dans tous les pays où ils ont été élu, de l’Italie à la Pologne jusqu’aux États-Unis. Il faut continuer la lutte, sensibiliser plus, le risque va être grand avec l’augmentation des milices armées pour nous militantes des droits des femmes et LGBT aussi. »

 

Jean-Paul, 73 ans, à la retraite en situation de handicap. Photo altermidi

 

Le monde à l’envers

Les nombreuses personnes avec qui j’ai échangé espèrent que les politiques, très critiqués, respecteront leurs engagements et le programme établi. Elles tiennent toutes à faire passer le message qu’elles s’en assureront.

Mathias, libertaire, d’habitude ne vote pas. Vu le contexte, il soutient le mouvement et ira aux urnes en faveur du Front populaire :« J’espère qu’ils ne nous trahiront pas, mais je doute. Je n’y vais pas par conviction, mais pour faire barrage et tenter de récupérer les acquis sociaux que l’on nous supprime d’années en années. En cas de victoire du Front populaire, le Premier ministre représente le programme signé par tous. Et non pas son parti politique. On en a marre de ces batailles pour le pouvoir. La gauche a une responsabilité importante dans ce qui arrive aujourd’hui, elle s’est coupée du peuple, n’entend ni sa souffrance, ni ses revendications, comme lors du mouvement des Gilets jaunes violemment réprimé sans qu’il n’y ait eu de prise de position claire sur la légitimité de cette lutte. Les sociaux-démocrates, par exemple, ont méprisé le mouvement pourtant soutenu par plus de 70 % de la population… voilà où on en est. Le RN lui, s’est infiltré, a récupéré la colère et a fait un travail tentaculaire désormais difficile à contrer. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir appelé au réveil. Beaucoup de gens en région ne savent même pas qui est vraiment le RN, ce qu’il y a sous le vernis. L’argument majeur, face à l’échec des gouvernements précédents qu’ils soient de droite ou de gauche, est : on a jamais essayé ce parti ! Mais on n’essaye pas le fascisme !! L’extrême droite est présente partout, a adapté son discours à chaque catégorie de la population, les vieux, les jeunes…, il le change au jour le jour, mais les gens ne retiennent que ce qui les arrange. Bardella distille la haine, la peur de l’étranger qui est désigné comme responsable de tous les maux, des bi-nationaux et de tous ceux qui ne sont pas Français de souche, en fait. Ce discours nauséabond, raciste et discriminatoire est diffusé partout sans problème alors qu’il est illégal, sur les réseaux, les chaînes de télés Bolloré comme CNews, mais aussi sur les plateaux du service public qui ont quand même déroulé un beau tapis rouge à l’extrême droite. Les vraies infos se noient dans un océan de fake news, pour qu’on ne sache plus ce qui est vrai ou pas, mais l’info fake et choc fait son travail même si elle est démentie par la suite. N’importe quelle phrase ou mots coupés de leur contexte sont brandis et diffusés comme un poison pour détruire toute démarche qui pourrait éventuellement changer de façon positive la donne. Et ça fonctionne. Voyez le pathétique de cette campagne électorale… Tout est fait pour perturber la réflexion, empêcher toute critique constructive, tout est inversé, les mots n’ont plus de sens. Le seuil de tolérance de la fenêtre d’Overton2 est largement dépassé : ce qui est intolérable devient tolérable, par exemple, les crimes de guerre, les violences policières, la ségrégation… celui qui prône des valeurs de paix, d’égalité, d’antiracisme ou qui défend le vivant, ONG, associations, institutions, partis ou militant, est taxé de terroriste ou d’antisémite. Le fasciste négationniste, identitaire et antisémite devient soudain un démocrate fréquentable, le chasseur de nazis vote RN… il n’y a plus de mémoire, on efface l’histoire, c’est hallucinant.

Mais nous sommes nombreux, il faut mettre toutes nos forces contre l’extrême droite mais aussi contre l’ultra-libéralisme dans une démarche commune sociale de partage des richesses et antiraciste sans distinction … et balancer la télé (rires). Après, si ça passe, les gens verront bien, comme dans les autres pays, que l’extrême droite représente le chaos, qu’elle ne peut répondre à leurs revendications, ça risque d’être très rude, c’est triste, mais s’il faut passer par là pour qu’ils comprennent… », conclut le jeune homme.

 

« Union de la gauche : nous nous assurerons que vous ne nous trahirez pas »

Vers le stand d’Oxfam3, je rencontre Maxime, responsable de la mobilisation : « Nous sommes là pour nous faire plaisir entre militants, ressentir cette énergie positive de la part de gens déjà convaincus qu’il faut faire barrage à l’extrême droite. Néanmoins nous sommes fatigués car sur le terrain, jour et nuit depuis la dissolution, pour convaincre en trois semaines. Il y a dans ce rassemblement des gens divers très engagés, associations, médias indépendants et nous Oxfam qui voulons traiter la justice sociale et climatique. Nous sommes présents mais à la fois nous sommes sonnés de ce qui peut arriver demain. Nous avons toujours refusé de parler avec le RN, nous allons voir les décideurs politiques, les pouvoirs publics… Avec le RN au pouvoir, il va falloir repenser toutes les modalités de fonctionnement. Jusque-là, nous ne nous sommes pas situés, contrairement aux Soulèvements de la terre, dans une démarche de désobéissance civile. Par exemple, nous attaquons la BNP mais en même temps nous parlons avec eux. Avec le RN, nous ne savons pas du tout comment nous allons réagir. Parler avec le RN, c’est leur donner une légitimité. C’est impossible. Nous envisageons des choses avec Greenpeace, nous préparons l’après en mode résistance pour pouvoir exister sur la scène politique. Il va falloir être inventif, montrer que oui, on est contre, mais en apportant des propositions concrètes aux gens. Clairement, on a raté quelque chose en tant que militants, on n’est pas allés parler aux gens, aux ouvriers, aux travailleurs agricoles, aux gilets jaunes, aux gens des quartiers, on a raté ça. Ça nous oblige à retourner sur le terrain parler environnement, social, il faut changer le narratif, oui, c’est ce qu’a raté la gauche… Cécile Duflot était alors au gouvernement, elle en pleure et en a pleinement conscience. Depuis que le président de la MAIF a appelé le Medef à ne pas voter RN, Jordan Bardella a rétropédalé. Du coup, les patrons vont sûrement le choisir d’un point de vue fiscal, c’est dans leur intérêt. Ceux qui disent que Méloni ne se débrouille pas si mal, c’est faux. En tant qu’ONG présente dans ces pays, on a tous les échos sur ce qui s’est passé en Pologne, en Hongrie, au Brésil avec Bolsonaro, en Argentine… on use la société civile. Il y aura diverses formes de résistance, car énormément de gens vont être touchés. Nous sommes encore identifiés par le pouvoir comme un facteur d’équilibre, nous développons des plaidoyers auprès des pouvoirs publics pour soutenir les structures qui vivent au quotidien une dure réalité. Si le RN passe, nous saurons être solidaires, la question ne se pose pas, mais, là ça n’engage que moi et nous en discutons, nous allons être obligés de nous transformer. Moi, ce qui m’intéresse c’est ce qui va arriver pour mes deux enfants. Il faut donc être solidaires, ancrés, les deux pieds sur terre et fertiliser les désaccords avec le Front populaire. On ira les chercher et on leur dira : vous avez dit ça, maintenant on vous attend. »

Plus loin, je croise Gaël de la Marche des solidarités, inter-collectifs de quartiers de la France entière antiracistes et de soutien aux sans-papiers qui existent depuis 2016. Le jeune homme s’implique dans l’aide aux étrangers qui traversent les routes de la migration, se bat pour l’ouverture des frontières mais aussi contre les fascistes qui commettent des exactions à l’encontre des centres de réfugiés et des sans-papiers : « Nous relayons toutes les actions qui tiennent à cœur aux collectifs des sans-papiers, aussi celles qui sont liées à celles et ceux qu’on a oublié, les tirailleurs, ceux qui ont participé à la lutte contre le nazisme, qui se sont révoltés à Sétif contre l’État français le 8 mai 1945, les migrants, ceux qui subissent l’islamophobie aujourd’hui, les personnes issus de l’immigration qu’on insulte et à qui on demande des comptes alors qu’ils sont français… le 14 juillet, nous appelons à nous réapproprier l’histoire. Je fais la différence entre Bardella et Macron, entre un facho’ et un napoléonien du 21e siècle, l’un écrase toutes formes de résistance et l’autre pousse à la passivité. Nous savons qu’il y a historiquement une différence. Mais dès 2017, le gouvernement Macron a pondu un grand nombre de lois scélérates, les lois immigration, les lois sécuritaires et dernièrement la loi Darmanin votée par Ciotti et le RN ; La loi Darmanin n’est qu’une petite représentation de ce que sera le RN au pouvoir. Ce qui est important, c’est : qu’allons-nous faire maintenant pour convaincre de voter Front populaire et ce que nous allons faire après pour résister. »

Louise, souriante et dynamique, porte avec un ami un drapeau français sur lequel est cousu un patchwork de tissus avec cette phrase écrite : « la France est tissu de migration ». Aujourd’hui parisienne, Louise se définit comme une immigrée de l’intérieur car venue de province pour travailler à Paris. Elle fait part de ses craintes : « voici des tissus français et du monde pour rappeler l’histoire aux fachos’. La France a une histoire de colonisation et d’impérialisme, encore aujourd’hui. On a colonisé le monde donc nous n’allons pas en fermer les portes. Contrairement à d’autres pays, la France, pays laïque, porte ce très beau slogan, « Liberté Égalité Fraternité ». Il faut incarner ces valeurs. Je suis là car j’ai peur du RN, autour de moi, il y a des gens qui vont voter RN car ils regardent CNews. Les chaînes de Bolloré ont mis en avant un discours d’extrême droite durant des années. Je vis dans un quartier populaire et nous vivons en paix, ensemble, mélangés. Il y a des cons et des gens intelligents partout, chez les bourgeois, les pauvres, les noirs, les blancs, les musulmans, les juifs, ce n’est pas une question de couleurs de peau et il faut le rappeler. Nous allons assister à la fin des libertés publiques, ici les médias indépendants sont en première ligne, j’ai peur, c’était déjà compliqué, mais ça ne va pas s’arranger avec le RN au pouvoir. »

 

Photo altermidi

 

« La lutte ne doit pas se faire seulement dans la colère »

Plus loin, Haga, musicien issu du Conservatoire de Paris, me tend un tract qui annonce un concert contre l’extrême droite le lendemain. Il m’explique qu’il fait partie du collectif la Crécelle qui a vu le jour au Conservatoire de Paris en 2019 lors des contestations contre la réforme des retraites. Pour faire face au grand manque de politisation dans l’établissement, a été créé un journal bi-annuel, accolé aux luttes sociales et qui s’adresse aux musicien.ne.s et danseur.euse.s de tous pays.

Haga raconte que les étudiants se sont réunis en assemblée générale suite à l’annonce des résultats des élections en faveur du RN et de la dissolution de l’Assemblée : « À la question “que peut-on faire ?”, nous avons répondu : un concert, de la musique, de la danse. C’est ce que nous savons faire et le RN ne nous en empêchera pas, pas déjà en tous cas. Le mal est fait depuis longtemps, la gauche a fait n’importe quoi, il s’agit de politiser à notre façon les étudiants du conservatoire, même si nombre d’entre nous en sont déjà sortis et exercent leur métier d’artiste. La lutte est collective, nous nous retrouvons ici ensemble pour ne pas céder à l’anxiété du moment, à la solitude, à la peur. La lutte ne doit pas se faire seulement dans la colère, faisons place à la joie : celle de se retrouver, de partager l’espoir d’une société plus collective, plus solidaire, plus juste. »

Je m’assieds au pied de la statue à côté de Jean-Paul, 73 ans, à la retraite et handicapé. Il affiche une pancarte qui attire le regard, décorée de fleurs et sur laquelle figure le slogan « L’union fait la force ». Des gens s’arrêtent pour discuter avec lui. Il présente ses textes pacifiques, apaisants et sages posés sur de grands cartons blancs : « J’ai subi tellement de discrimination par rapport à mon handicap ! Le regard des autres me choquait, on appelle ça la double peine. J’ai travaillé durant 30 ans à l’ANPE et dans les prisons où j’ai beaucoup appris, tout ce que la société n’arrive pas à résoudre se trouve dans les prisons, c’est un véritable négatif de la société. Toutes ces expériences m’ont profondément marqué. Avant d’être handicapé, j’ai voyagé dans le monde entier où j’ai été accueilli formidablement bien. En Afrique, en Asie, l’hospitalité existe, ici ça n’a rien à voir. Je n’accepte pas ce qu’il se passe, ce sont des maux profonds. En prison, j’ai appris les différences et c’était d’une grande richesse. Cette richesse vient des paradoxes, les idées toutes faites ne sont pas bonnes, le contexte nous oblige à réfléchir. Malgré mon handicap, je suis de nature optimiste, c’est capital, même si le mot est mal choisi. Si le RN passe ça va juste être un peu plus compliqué, mais ça va susciter des choses positives… »

L’événement chaleureux et festif a pris fin vers 23 h sur une prestation punk très remontée des « Vulves assassines » suivi du son techno haut en couleurs de DJ Fakear.

30 000 personnes se sont mobilisés et 100 000 internautes ont visualisé les cinq heures de diffusion du meeting en direct de chez eux.

Siam Otoutti

Étaient présents les médias Politis, Reporterre, Basta, Arrêt sur images, Regards, Fakir, Médiapart, L’Humanité, Vert, Au Poste, Le Média, Blast, le Fonds pour une presse libre, Fracas, Reporters sans frontières, altermidi… les syndicats CGT, CFDT, Solidaires, SNJ-CGT, SNJ, le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France, la Confédération paysanne, Les amis de la terre, étaient représentés ainsi que les associations, ONG et collectifs Reporters sans frontières, Oxfam, Arty, la LDH, Attac, Greenpeace, Nous Toutes, le Planning familial, les Invertie.e.s, le Collectif intersexe activiste, Femmes égalité, la Cimade, SOS racisme, CSP75, Fasti et bien d’autres encore…

 

Nouvel appel, pour tout celles et ceux qui tiennent à notre démocratie :

Toutes et tous à République, le mercredi 3 juillet, de 18h à 23h.

 

Notes:

  1. L’Arcom est l’autorité indépendante chargée de veiller au respect des règles de la communication audiovisuelle et numérique en France. Elle est garante de la liberté de communication et veille au financement de la création audiovisuelle et à la protection des droits. Sa régulation s’étend aux plateformes en ligne – réseaux sociaux, moteurs de recherche…
  2. La fenêtre d’Overton est une approche permettant d’identifier les idées définissant le domaine d’acceptabilité des politiques gouvernementales possibles dans le cadre d’une démocratie. Les partisans de politiques en dehors de la fenêtre d’Overton cherchent à persuader ou éduquer l’opinion publique afin de déplacer et/ou d’élargir la fenêtre. Les partisans dans la fenêtre, soutenant les politiques actuelles ou similaires, cherchent à convaincre l’opinion publique que les politiques situées en dehors de la fenêtre doivent être considérées comme inacceptables.
  3. Oxfam est une association qui lutte contre la pauvreté et les inégalités dans le monde.