Pendant trois jours, les 7-8-9 décembre, la Bulle Bleue – ESAT de Fabrique artistique – à Montpellier a accueilli la performance participative du N.U collectif « Espaces vivants ». La proposition faite au public consiste à passer une heure dans un espace clos, habité de sources de stimulations multiples, sans place assignée, dans une rencontre indifférenciée de l’autre, des autres : un pari certes audacieux, ambitieux, risqué mais qui reste fragile, dérisoire ?
Le projet nous est expliqué par le N.U (Nos Urgences) collectif1 : « “Espaces Vivants” est un laboratoire nomade entre le Gard et l’Hérault de créations collaboratives entre ‘Autistes’, adultes porteurs de troubles du spectre autistique (TSA), et artistes pluridisciplinaires. Dédiée à une approche artistique novatrice, cette recherche-projet explore les expérimentations sonores, visuelles et performatives au sein de zones de création continues et partagées. Elle embrasse une errance artistique qui se construit au fil des pas, se dessinant comme “les lignes d’erre” de Fernand Deligny2. En réunissant institutions médico-sociales, lieux de vie, de création, centres d’art et théâtres, ce projet invite à créer une communauté où chacun apporte ses spécificités, transformant l’espace qui l’accueille en un territoire partagé où se crée un langage commun. Convaincus que l’art est un moteur de recomposition sociale, ‘Espaces Vivants’ invite le public à devenir acteur de l’expérience artistique sur ses performances participatives. »
L’autrice du présent article s’est rendue à une des séances de ce « non-spectacle qui promeut l’errance d’une quête d’expérience ». Des artistes et — peu d’autistes — guident en confiance la présence et les rencontres dans cet environnement clos.
Une maîtresse d’œuvre propose au micro :
« Être ici et là simplement, maintenant. » La mise en train proposée pour la participation à cette expérience ressemble à toutes les formes de training dispensées de par le monde artistique : « fermer les yeux, respirer, s’écouter respirer, bouger et explorer son environnement avec bienveillance dans un bain de sons et de paroles sans finalité. Ce qui circulerait entre les humains c’est une énergie profonde et bénéfique qui tend à l’ harmonie. »
Déambuler entre cintres, écrans, dazibao peints, installations musicales, mélange de sons et de lumières, sans se demander vraiment qui est qui : cela nous engage-t-il différemment, nous rend-il plus libre ? Au bout d’un moment on s’arrête de tourner, de chercher sa place, les choses se posent, tout le monde participe à ce « tout permis, surtout jouer ». Comment faire l’expérience de ne pas y être dans ce brouillon d’implications ; il y a celles et ceux qui font et celles et ceux qui regardent faire, pour s’évader. Au bout d’un moment ça monte en intensité, le son augmente et se précipite, les textes sont lus, les maîtres d’œuvre œuvrent à l’extérieur, règlent et commandent l’informatique, la batterie s’excite, les corps résonnent, se délient, se déploient et pédalent, d’un coup tout s’arrête et s’applaudit.
Un des maîtres d’œuvre rajoute au micro : « Ici il fait chaud, c’est notre monde, différent de l’autre monde, celui de l’extérieur. »
Ailleurs les bombes continuent de tomber indistinctement à Gaza.
Brigitte Challande
Notes:
- Le N.U collectif crée un théâtre hybride, entrelaçant spectacles, performances, installations et expositions
- À la fin des années 1960, l’éducateur Fernand Deligny engage une réflexion anthropologique contre la loi du langage et pour une définition de l’humain a-subjectif, spécifique, dépris de lui-même. Il chercha une langue sans sujet, une langue infinitive, débarrassée du « se », du « soi », du « moi », du « il »; une langue du corps et de l’agir, à la fois concrète et contournée. La sensation du geste dans l’agir improductif, « pour rien », lui parait garantir la reconstruction d’un corps plus sûrement que l’acquisition de conduites sociales. Les expériences de Deligny sont par définition fragiles, éphémères, et doivent le rester pour rester vivantes. L’humain n’est qu’une trace. Elle circule dans son œuvre sous la forme de la ligne, de l’écriture ou de l’image ; quand elle s’efface c’est pour être reprise, indéfiniment reprise, dans un présent toujours renouvelé, toujours là. Il découvre la possibilité de contenir par le trait le monologue sempiternel du psychotique et invente un dispositif spatial, une cartographie, les fameuses « lignes d’erre ».