L’indépendance énergétique française chère à Emmanuel Macron passe par le développement du nucléaire dont nous ne contrôlons ni ne maîtrisons les risques. Elle passe aussi par l’importation de 7 000 tonnes d’uranium par an dont une bonne part provient du Niger.


 

La loi promulguée le 22 juin 20231 facilite les procédures administratives pour accélérer la construction de nouveaux réacteurs de type EPR2 prévus sur des sites nucléaires existants. Plusieurs mesures traitent aussi de la planification énergétique, de la prolongation des vieilles centrales.

Traditionnellement exportatrice, la France, pour la première fois depuis 1980, a été importatrice de 16,5 TWh d’électricité en 2022, dont 60 % entre juillet et septembre. Au sujet de l’état des lieux du parc nucléaire français, au printemps 2023 17 réacteurs sur 56 étaient à l’arrêt : EDF prévoyait des maintenances de longue durée à partir du début du printemps concernant de nouvelles mise à l’arrêt de réacteurs. À l’été, en raison de problèmes de corrosion dans plusieurs cuves, il est présumé que le nombre de réacteurs éteints dépasse 20, obligeant la France à importer de l’électricité de ses voisins2.

 

L’uranium, le carburant des réacteurs

 

Cependant, l’électricité nucléaire produite en France n’est pas 100 % française. L’uranium utilisé dans les centrales est importé de plusieurs pays des quatre coins du globe, puis traité avant d’enfin arriver sur le sol français. Dans ce contexte, le coup d’État du 26 juillet au Niger est une épreuve pour la fameuse indépendance énergétique française que défend Emmanuel Macron. Pour faire tourner ses centrales, l’Hexagone dépend en effet de l’uranium dont elle ne dispose pas sur son territoire.
la France importe intégralement cette ressource. Un besoin de consommation qui représente environ 7 000 tonnes d’uranium naturel par an et pèse entre 500 millions et 1 milliard d’euros par an dans la balance énergétique française. La France dépend du Niger, du Canada, de l’Australie, du Kazakhstan et de l’Ouzbékistan pour que l’uranium arrive jusque dans ses centrales. Sur la période 2005-2020, le Niger a été son troisième fournisseur d’uranium, contribuant pour 19 % de ses approvisionnements, selon le comité technique Euratom3. Areva, le leader français du nucléaire, exploite au Niger des mines d’uranium dans des conditions qui exposent les populations vivant sur place.
Après que des partisans du général Tiani ont tenté de s’introduire, dimanche 30 juillet, dans l’ambassade de France à Niamey en scandant des slogans antifrançais et prorusses, l’Élysée a précisé  que « la France soutient toutes les initiatives régionales » visant à « la restauration de l’ordre constitutionnel » et au retour de Mohamed Bazoum à la présidence. Critiquée au Sahel pour son ingérence dans les affaires internes africaines, la France s’efforce, au Niger, de ne pas apparaître en première ligne mais pousse la CEDEAO4 à adopter une position de fermeté à l’encontre des putschistes qui menacent ses intérêts.

 

Enjeux géopolitiques

 

L’agence nucléaire de l’UE, Euratom, qui tire un quart de son uranium du Niger, se veut rassurante. « Si les importations en provenance du Niger sont réduites, il n’y a pas de risques immédiats pour la sécurité de la production d’énergie nucléaire à court terme », a assuré Euratom à Reuters.

Il n’est pas certain, que le Niger puisse se passer de la demande française d’uranium sans lui-même subir un brutal déclin économique : 33 % des exportations nigériennes sont destinées à la France, et leur quasi-totalité est constituée de combustible radioactifs. La chaîne France 24 rappelle cependant que la maigre plus-value que le Niger tire de sa proximité économique avec Paris est un sujet de discorde depuis son indépendance en 1960. Les présidents nigériens successifs ont exigé d’Orano (ex-Areva) – producteur de combustible nucléaire contrôlé par l’État français – des prix d’achat plus élevés.

Malgré l’instabilité de la situation, la filiale d’Areva Orano a assuré qu’elle poursuivait ses activités au Niger. « La sécurité de tous nos employés au Niger et de nos sites est surveillée », a déclaré un porte-parole de l’entreprise à France 24.

Aujourd’hui deux tiers de l’uranium – enrichi – importé en France provient de Russie. Le Kazakhstan et l’Ouzbékistan représentent à eux seuls la moitié de l’uranium naturel importés par la France, note l’ingénieur spécialisé dans la transition énergétique, Cyrille Cormier. « Si nous devions nous détourner de l’uranium nigérien, nous serions amenés à maintenir les achats de combustible en Asie centrale. » Or, tout le combustible radioactif de ces deux pays est acheminé sous le contrôle de Rosatom, l’entreprise de l’énergie nucléaire nationale russe. « À l’heure où une guerre énergétique se déploie à l’échelle mondiale, ces alliés d’aujourd’hui verront-ils toujours un intérêt à aider la France à maintenir sa compétitivité économique en lui fournissant un combustible bon marché ? » questionne Cyrille Cormier. Selon lui, les enjeux énergétiques vont bien au-delà de la simple question de l’approvisionnement en uranium. Il s’agit de faire des choix stratégiques dans un monde en pleine mutation.
 

Mise à jour le 3 août 2023

Notes:

  1. La loi a pour objectif de faciliter le développement de l’énergie nucléaire, qui est l’un des trois axes fixés par le chef de l’État, pour sortir des énergies fossiles et atteindre la neutralité carbone en 2050 (construction de six réacteurs EPR2 et possibilité de huit autres réacteurs).
  2. L’information n’a pas été confirmée par EDF pour l’instant.
  3. La Communauté européenne de l’énergie atomique (CEEA ou Euratom) est née de la volonté française d’organiser la coopération européenne en matière de nucléaire civil pour assurer l’autosuffisance énergétique du continent. Elle a pour objectif principal de favoriser l’émergence d’une industrie européenne du nucléaire civil.  La CEEA gère un marché commun pour les matières nucléaires en Europe. Elle s’assure également que ces matières ne sont pas détournées à des fins autres que celles prévues. 
  4. Créée en 1975, La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest est destinée à coordonner les actions des pays de l’Afrique de l’Ouest. Son but est de promouvoir la coopération et l’intégration avec l’objectif de créer une union économique et monétaire ouest-africaine. En 1990, son pouvoir est étendu au maintien de la stabilité régionale avec la création de l’ECOMOG, groupe militaire d’intervention qui devient permanent en 1999. La CEDEAO compte aujourd’hui 15 États membres (le Bénin, le Burkina Faso, le Cabo Verde, la Côte d’Ivoire, la Gambie, le Ghana, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Liberia, le Mali, le Niger, le Nigeria, la Sierra Leone, le Sénégal et le Togo).