Pour la première fois depuis plus d’un demi-siècle, un film tunisien est en compétition officielle au Festival de Cannes. Kaouther Ben Hania a présenté vendredi « Les Filles d’Olfa ». Le récit, par leur mère, de l’embrigadement de jeunes filles séduites par l’islam radical, pourrait valoir à la réalisatrice tunisienne une bonne place au palmarès.
Kaouther Ben Hania porte son cinquième long métrage. Un projet qui est aussi « un film sur le cinéma, sur le travail d’acteur et sur les souvenirs du passé », explique-elle à l’AFP. La réalisatrice a été révélée au grand public grâce à son thriller sur une victime d’un viol, La Belle et la Meute, présenté hors compétition à Cannes en 2017. Née à Sidi Bouzid en Tunisie, Kaouther Ben Hania étudie le cinéma à l’École des Arts et du Cinéma à Tunis avant de suivre une formation de scénario à la Fémis à Paris. Elle débute sa carrière en tournant plusieurs documentaires. Dans son premier long métrage, la réalisatrice menait une enquête caméra au point sur l’identité du Challat de Tunis, nom donné à un homme qui roulait à moto dans les rues de Tunis, armé d’un rasoir pour balafrer les fesses des femmes qui croisaient sa route. Son second long métrage, La Belle et la Meute (voir entretien ci-dessous), est une libre adaptation tirée d’un fait divers tunisien. Bien loin de l’orientalisme, le travail de Kaouther Ben Hania s’inscrit autour d’un thème récurant : la lutte pour le respect des droits et de la dignité des femmes tunisiennes… et des femmes tout court.
À l’occasion de sa présence à Cannes nous publions cet entretien réalisé en octobre 2017 avec Kaouther Ben Hania à propos de son second long métrage La Belle et la Meute.
La Belle et la Meute est votre second long métrage. Quelle est l’origine du projet?
Le choix d’une histoire, pour moi, c’est un peu comme celui d’une graine. Je fonctionne comme une jardinière, je les arrose. Il y a celles qui prennent et celles qui meurent en cours de route, celle-là a résisté. Elle s’inspire d’un fait divers qui m’a donné la matière scénaristique. À partir de cette histoire authentique, le film raconte la réalité d’une société en explorant les codes du cinéma de genre.
On est en effet plus proche du thriller, voire du film d’horreur que du paisible travail de jardinière ?
J’aime le cinéma de genre et j’apprécie les films d’horreur que je trouve très inventifs, même si le film se rapproche plus d’un cauchemar que d’un film d’horreur. Ce n’est pas non plus un thriller ou un film noir avec les codes imposés d’une enquête dans laquelle on progresse en résolvant des énigmes. Dans le film, les preuves sont là mais personne ne veut les voir. On pourrait presque dire que c’est un anti-film noir.
Pourquoi avoir opté pour le plan séquence ? Cela vous vient-il de votre expérience dans le documentaire ?
Je voulais maintenir une tension — on revient à mon goût pour les films d’horreur — et rester très réaliste. Avec le plan séquence on est en temps réel, ce qui accentue le malaise. C’est moins confortable pour les acteurs mais cela implique vraiment le spectateur. On suit Mariam pendant toute la longueur de la nuit et on partage son vécu durant 1h40.
J’avais en tête des films qui m’ont inspiré comme La corde d’Hitchcock. Mon expérience dans le documentaire ne m’a pas vraiment servi pour la forme, en revanche j’ai usé de cette expérience pour la recherche d’authenticité. Lors du travail préparatoire, je me suis rendu en amont dans un commissariat où j’ai pris le temps de comprendre le type de relations entre les gens, le fonctionnement général… Ce film n’est pas la reconstitution des faits qui se sont déroulés. C’est une histoire que je m’approprie.
Au début Mariam apparaît comme un personnage assez neutre puis elle évolue du point de vue de sa conscience politique…
En effet, à l’inverse de Youssef, elle n’a aucun passé militant. Au départ elle demande justice et réparation. C’est le déni de ses droits élémentaires de citoyenne qui crée chez elle une conscience et une détermination qui arrivent très rapidement, de manière très violente, un peu comme le viol.
On découvre l’état de la société à travers l’attitude jamais univoque et parfois ambivalente des personnages secondaires. Pourquoi avoir choisi ce type de traitement ?
Il y a aussi les lieux comme la clinique privée et l’hôpital public ou le commissariat. C’est un film sur la transition. Avant 2011, cette affaire ne serait jamais sortie et en même temps le parcours de Mariam démontre qu’il reste du chemin à parcourir. Le pays est dans la tourmente à la recherche d’un équilibre. Après avoir usé de tous les moyens de pression pour que Mariam retire sa plainte, un des flics use en dernier argument de la nécessité de maintenir la réputation de la police sans laquelle le pays sombrerait dans le chaos.
Un chantage classique que l’on connaît ici avec l’État d’urgence. On vous dépouille de votre liberté et de vos droits au nom de la sécurité… Le militant Youssef évoque le sentiment qu’il éprouve face au système, celui de vivre dans un monde peuplé de zombies.
J’ai travaillé le récit en ellipses, le film fait la part belle au refoulé avec des zones d’ombres enfouies dans la galerie des personnages. Mariam agit comme un révélateur parce qu’elle veut aller jusqu’au bout.
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