En prenant appui sur un document d’orientation largement adopté, la secrétaire générale annonce une grande campagne de syndicalisation. Celle-ci doit permette à l’organisation de franchir un nouveau cap, dans le contexte d’une lutte inédite contre la réforme des retraites.
Après quatre jours de débats et d’échanges tendus, parfois violents, le passage était étroit pour une conclusion positive au 53e congrès de la CGT qui s’est tenu du 27 au 31 mars à Clermont-Ferrand dans un contexte inédit : au cœur d’un puissant mouvement social contre la réforme des retraites, marqué depuis le 7 mars par des grèves reconductibles dans de nombreux secteurs. Au matin du vendredi 31 mars, Sophie Binet, dont la candidature a été proposée par la Commission exécutive confédérale (CEC, 66 membres) au CCN (Comité confédéral national) est élue secrétaire générale de la CGT. Elle recueille les voix de 64 organisations, 39 ont voté contre et 11 se sont abstenues.
Elle est la première femme à occuper ce poste depuis la création de la CGT, en 1895. Elle est aussi, depuis le congrès de Rennes en novembre 2021, secrétaire générale de l’Ugict-CGT (Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens) et directrice d’Options, après avoir co-dirigé avec Marie-José Kotlicki (2018-2021) l’organisation spécifique de la CGT en direction des ingénieurs, cadres techniciens et professions intermédiaires. En clôture du congrès, Sophie Binet, qui succède à Philippe Martinez (2016-2023), a réaffirmé devant les 942 délégués (dont 70 % de primo-congressistes), l’opposition résolue de la CGT à la réforme des retraites et la volonté « de retrouver des relations pacifiées grâce à notre culture des débats et de notre culture de la lutte » : pour « une CGT unie et rassemblée », a-t-elle plaidé.
Cette volonté de rassemblement s’incarne dans la composition du bureau confédéral porté notamment par un croisement entre organisations professionnelles et territoriales. Sur proposition de la CEC, Laurent Brun, secrétaire général de la fédération des Cheminots, est élu administrateur. Alors que le rapport d’activité a été rejeté ( 50,32 % des voix contre), la nouvelle direction pourra s’appuyer sur le document d’orientation adopté avec 72,79 % des voix pour et 27,21 % des voix contre. Feuille de route de la CGT pour les trois prochaines années, le document a été largement amendé en amont (5 763 amendements déposés émanant de 368 syndicats) et pendant les débats du congrès : au total, a précisé Véronique Martin pour la commission, 2 382 amendements ont été adoptés. Le texte soumis aux débats s’architecture autour de trois axes : pour un syndicalisme de rupture et de transformation sociale dans un monde du travail en perpétuelle évolution ; pour la reconquête de nos forces organisées et notre audience électorale ; pour une élévation et un élargissement du rapport de force. Son fil rouge est tracé dans le préambule : « Dans un contexte d’urgence économique, politique, environnemental et social très défavorable au monde du travail, nous devons tout mettre en œuvre, à tous les niveaux de l’organisation, pour être encore plus nombreux en termes de syndiqués, développer le rapport de force nécessaire à la satisfaction de nos revendications (…) ».
Prendre en compte l’évolution du salariat
Au moins trois thématiques peuvent être retenues. D’abord la prise en compte de l’évolution du salariat, « ubérisé et précarisé », dans toute sa diversité et, dans ce mouvement, le rôle d’une activité spécifique en direction des Ictam (Ingénieurs, cadres, techniciens et agents de maîtrise) : si leur présence augmente au sein du salariat, ils se féminisent aussi très rapidement : 52 % des professions intermédiaires et 42 % des cadres sont aujourd’hui des femmes. Le document d’orientation propose de « passer un cap », en « prenant appui sur les 77 000 syndiqués CGT relevant de ces catégories et notre Ugict ». Il réaffirme et conforte leur légitimité à s’organiser et à lutter dans et avec la CGT.
Deuxième thème : la place des femmes dans la CGT comme dans le monde du travail et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Factuellement, les femmes représentent 50 % du salariat, mais 38 % des syndiqués de la CGT et 25 % des responsables d’organisations. En représentant 42 % des congressistes, la parité des délégués du congrès n’est pas atteinte. Comme le montre le dernier rapport de situation comparée, les femmes continuent d’être sous-représentées dans les instances dirigeantes, à l’exception de la Commission exécutive confédérale et du bureau confédéral, à parité.
Le document d’orientation pose les principes de la poursuite d’une « démarche volontariste », affirmée dès le préambule : « La lutte contre patriarcat, le progrès de l’égalité femmes-hommes, sont des enjeux importants dans le travail comme dans la société tout entière, ainsi que dans nos organisations syndicales. Les questions d’égalité salariale, d’égalité dans le travail comme dans la vie privée, de lutte contre les violences sexistes et sexuelles sous toutes ses formes concernent la CGT et doivent être prises en compte comme objectif de transformation sociale à part entière ; notre organisation elle-même se doit de s’adapter à cet objectif ». Ainsi est rédigé l’article 12 bis, enrichi de 24 amendements.
La place des femmes dans l’organisation est ainsi un des thèmes structurants du deuxième axe du document. En introduction aux débats, Laurent Indrusiak, co-pilote de la commission, après avoir refusé de « banaliser les pertes régulières de syndiqués » et « l’affaiblissement continu de notre audience (…) réels mais loin d’être une fatalité », la resitue notamment à l’aune de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles : « Nous proposons ensemble (de les) éradiquer dans notre organisation en décidant de faire de notre bien commun le cadre commun contre les violences sexistes et sexuelles adoptée en CCN », a-t-il souligné.