La loi contre l’occupation illicite des logements a été votée mardi 4 avril par les députés de la majorité, le RN et Les républicains. Les experts de l’ONU ont alerté sur la régression que constitue ce texte qui renforce les droits des propriétaires au détriment des plus pauvres.


 

Mardi 4 avril, 540 députés sur 577 ont participé au vote solennel1 de la « loi anti-squat » demandé par la France insoumise à l’issue de la seconde lecture du texte. 358 députés de la majorité gouvernementale, du RN, des Républicains et une partie du groupe Libertés, indépendants outre-mer et territoires (LIOT) ont voté pour et 147 députés de la gauche, contre. Le texte, porté par les députés Guillaume Kasbarian (député d’Eure-et-Loire) et Aurore Bergé (Yvelines), a provoqué de vives critiques de la part des associations de locataires et de lutte contre le mal logement, de la Défenseure des droits, de la Commission nationale consultative des droits de l’homme et du Syndicat de la magistrature.

 

C’est au tour de l’ONU de faire part de l’inquiétude de ses experts. Olivier de Schutter, rapporteur spécial de l’ONU sur l’extrême pauvreté et les droits humains, et Balakrishnan Rajagopal, rapporteur spécial de l’ONU sur le logement convenable, ont rendu public, quelques heures avant le vote, le texte officiel adressé au gouvernement, qui n’y a pas répondu mais l’a transmis aux députés. Le rapport alerte sur « la régression que constitue cette proposition de loi et sur le risque qu’elle conduise la France à violer ses engagements internationaux ». Le projet de loi criminalise les occupations sans titre d’un logement. S’il est promulgué, occuper des bâtiments vides ou désaffectés, y compris ceux destinés à un usage économique, exposerait à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende, l’occupation sans titre à domicile serait passible de 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende et rester dans le logement suite à une mesure d’expulsion entraînerait 7 500 euros d’amende.

 

Vers une augmentation du nombre de personnes sans abri

 

Ces mesures, qui renforcent les droits des propriétaires, fragilisent les personnes qui occupent un logement sans titre à défaut de disposer de l’accès à un logement, et les ménages ne parvenant pas à payer leur loyer, jugent les rapporteurs. Ils précisent que 125 000 personnes ont été visées par des décisions d’expulsions en 2019, une hausse de 50 % par rapport à 2001 : « Les politiques ne devraient pas être conçues de façon à bénéficier aux groupes sociaux déjà favorisés au détriment des autres couches sociales. » Et insistent : « Les expulsions ne peuvent être facilitées si celles-ci ne s’accompagnent pas d’un renforcement du droit pour les ménages précarisés d’avoir accès à un logement à un prix abordable. »

La limitation du pouvoir du juge est également dénoncée : les délais de paiement qui suspendent la résiliation du bail ne pourront excéder un an (au lieu de trois ans) et ne seront accordés que si le locataire a payé sa dernière échéance de loyer. « Ces dispositions risquent d’augmenter le sans-abrisme », souligne M. De Schutter. Le rapport pointe aussi du doigt la généralisation des expulsions administratives par le préfet et les forces de l’ordre sans décision de justice et sans que soit proposée une solution de logement. La procédure étendue aux résidences secondaires est jugée disproportionnée « en cas d’occupation d’un local d’habitation laissé vacant », le délai d’expulsion passerait alors de trois jours à sept jours. Mais c’est insuffisant, explique le rapporteur, la décision contrevient aux obligations de la France de garantir aux personnes l’accès à des voies de recours.

In fine, le texte de l’ONU souligne la création dans la loi d’« un délit d’incitation à commettre un délit d’occupation illicite », passible de 3 750 euros d’amende, qui risque d’entraver le travail des ONG cherchant à conseiller les personnes menacées d’expulsion. Les sénateurs qui avaient en première lecture remisé quelques mesures contestées visant les locataires, tout en durcissant celles concernant les squatters, vont-ils voter le texte dans son intégralité, ce qui éviterait un passage en commission paritaire ? Le gouvernement le souhaite : « Je lis les avis avec attention, mais ce n’est pas l’ONU qui fait les lois en France », a déclaré Guillaume Kasbarian.

Les rapporteurs de l’ONU appellent les députés et sénateurs à une vigilance toute particulière : « Le moins que l’on puisse attendre, c’est qu’une étude d’impact et une évaluation rigoureuse soit réalisée à la lumière des engagements internationaux de la France avant l’adoption définitive de la proposition de loi. » La patrie des droits de l’Homme a plutôt mauvaise mine.

Sasha Verlei

Notes:

  1. Pour certains textes importants, la Conférence des présidents décide elle-même le scrutin public, en fixant sa date à un moment favorable à la participation de l’ensemble des députés (en général, le mardi après les questions au Gouvernement). Ce type de scrutin est appelé « vote solennel ». Ce mode de vote est demandé par un des présidents de groupe politique de l’Assemblée. Lors de ce vote, chaque groupe parlementaire doit motiver son orientation de vote. Pour la loi « anti-squat », le président du groupe La France insoumise a fait la demande de vote solennel.
Sasha Verlei journaliste
Journaliste, Sasha Verlei a de ce métier une vision à la Camus, « un engagement marqué par une passion pour la liberté et la justice ». D’une famille majoritairement composée de femmes libres, engagées et tolérantes, d’un grand-père de gauche, résistant, appelé dès 1944 à contribuer au gouvernement transitoire, également influencée par le parcours atypique de son père, elle a été imprégnée de ces valeurs depuis sa plus tendre enfance. Sa plume se lève, témoin et exutoire d’un vécu, certes, mais surtout, elle est l’outil de son combat pour dénoncer les injustices au sein de notre société sans jamais perdre de vue que le respect de la vie et de l’humain sont l’essentiel.