Nous publions le communiqué de l’Observatoire des pratiques policières OPP1 qui fait suite au travail d’observation des forces de l’ordre mené à Toulouse le jeudi 16 mars 2023.
Les observateurs indépendants de la société civile surveillent et rendent comptent du respect des libertés publiques, notamment dans le cadre des interventions des forces de l’ordre. Ils couvrent en toute indépendance les manifestations, évacuations de camps de migrants, élections citoyennes et autres évènements de la vie publique.
Communiqué de l’OPP
cosigné par la LDH, le SAF (Syndicat des avocats de France), et la Fondation Copernic
Toulouse, le 17 mars 2023
Une police qui ne se tient pas sage…
Hier 16 mars, à partir de 16h, dès que la décision du gouvernement de recourir au 49–3 pour faire passer sans vote le projet de loi sur la réforme des retraites, un appel à manifester à 20h au Capitole a été relayé par nombre de manifestants et sur les réseaux sociaux. Les membres de l’Observatoire toulousain des Pratiques Policières décident alors de prolonger dans la soirée leur présence destinée à observer le déploiement et l’activité des forces de police et de gendarmerie présentes en nombre à Toulouse.
A 20h15, ce sont déjà 1 500 personnes qui sont rassemblés place du Capitole et ce chiffre augmentera jusqu’à environ 2 500. CRS, escadron de gendarmerie mobile, Compagnies Départementales d’Intervention (CDI) et BAC (Brigade anti-criminalité) sont déployés en nombre ; et c’est une nasse qui se forme dans le périmètre de la place du Capitole et du square Charles de Gaulle. Sur la place du Capitole, le ressentiment est grand mais chants, danses, slogans et fumigènes créent une ambiance à la fois combative et festive.
Vers 20h07, un petit cortège se dirige vers le square Charles de Gaulle via la rue du Poids–de–l’Huile. Mais le dispositif policier déployé, avec en particulier un canon à eau positionné rue d’Alsace–Lorraine, fait que les manifestants refluent rapidement vers la place du Capitole. Et puis, à 21h19…, tout dérape. Et la responsabilité en revient très directement aux policiers des CDI. Sans aucune sommation préalable (cf. la première vidéo OPP de 3mn52), un groupe d’une trentaine de policiers des CDI, dirigé par un OPJ2 muni d’un mégaphone et d’un brassard bleu–blanc–rouge sur l’avant–bras, charge les manifestants après que ce même OPJ ait dit aux policiers « Allez, on y va ». Tout cela pour, in fine, mettre la main sur une banderole…
Bien évidemment, les manifestants qui se sont repliés côte rue Saint–Rome et rue du Poids–de l’Huile protestent et houspillent les policiers. Une minute 30 secondes après la charge, un OPJ procède alors à des sommations : « Obéissance à la loi, vous participez à un attroupement. Obéissance à la loi, vous devez vous disperser. Première sommation. Vous devez quitter les lieux ». Puis immédiatement après, le policier dit « Deuxième sommation, vous devez vous disperser » puis immédiatement « Troisième sommation, nous allons faire usage de la force » Le reste est inaudible pour cause de bronca. Les sommations auront été effectuées en moins de 20 secondes. Puis, 20 secondes après, les policiers effectuent, au lanceur Cougar et à la main en cloche (la grenade lancée à la main explosera au niveau du visage des manifestants… cf. à partir de 2mn40 sur la vidéo de l’OPP, les premiers tirs de grenade de la soirée sans que les personnes présentes aient vraiment eu le temps d’évacuer les lieux.
Le résultat concret de cette intervention des CDI est un éparpillement des manifestants dans tout le périmètre Jeanne d’Arc – Jean–Jaurès – Capitole. Avec des jets de grenades lacrymogènes permanents et des charges de police répétées. Les observateurs ont pu, de nouveau, constater le manque de professionnalisme des policiers des CDI qui ont la matraque facile et l’insulte à la bouche en permanence comme le montre la vidéo jointe
prise à 21h43. « Petit sac à merde » dit un policier « hors de contrôle » à une personne après l’avoir matraquée « sans raison ».
Après des années d’observation, l’Observatoire toulousain des Pratiques Policières est bien obligé de constater le manque de professionnalisme, absolument récurrent, des CDI toulousains. Ces mêmes policiers qui ne supportent toujours pas la présence des observateurs en les interpellant, de manière menaçante, par leur nom de famille (comme le 11 mars à 11h30 place A. Bernard), ou bien en les invectivant « Cassez–vous les observateurs » (toujours place A. Bernard mais le 15 mars à 16h10…).
Si durant les premières semaines de la mobilisation, tous les habitués des manifestations toulousaines (syndicalistes, journalistes, observateurs) ont pu constater des dispositifs policiers plus discrets et distants, ce n’est plus le cas depuis le 7 mars. Faut–il établir une corrélation entre l’impasse politique dans laquelle se trouve un gouvernement qui n’arrive pas à imposer sa loi, tant au parlement que face à l’importance du rejet de celle–ci par la population (les sondages de tous bords et l’ampleur des mobilisations sans précédent depuis des dizaines d’années le prouvent), et l’attitude de plus en plus menaçante des forces de police et de gendarmerie mobilisées.
Quoi qu’il en soit, l’important déploiement policier durant toute la journée d’hier (plus de 300 policiers et gendarmes mobilisés avec tout l’armement disponible – lanceurs Cougar3 et lanceurs multi–coups PGL 654, LBD5, canons à eau) et l’usage immodéré de la force par les policiers ne peut qu’inquiéter les citoyen·ne.s attaché·e.s aux libertés publiques et au droit de manifester en toute sûreté.
Nous le disons clairement. Si, jeudi soir, à Toulouse, les policiers avaient eu une attitude raisonnable et professionnelle, le rassemblement place du Capitole se serait vraisemblablement terminé sans incidents particuliers par le départ progressif des personnes rassemblées. C’est l’intervention inappropriée et violente des CDI qui a provoqué les incidents de la soirée.
Qui a donné l’ordre aux CDI d’effectuer cette charge sans sommations alors que la situation était calme ? Est-ce une initiative de terrain d’un officier de police ou bien celui-ci obéissait-il à un ordre donné par sa hiérarchie ? Une réponse doit être donnée pour qu’il soit possible de comprendre pourquoi la situation a dégénéré hier soir dans le centre-ville de Toulouse.
Quoi qu’il en soit, l’Observatoire toulousain des Pratiques Policières continuera dans les semaines qui viennent (et comme il le fait depuis 6 ans maintenant et plus de 190 manifestations suivies) à observer, documenter et analyser les agissements des policiers et gendarmes à Toulouse. Nous demandons, plus particulièrement, au Préfet et au DDSP (Direction départementale de la sécurité publique) de reprendre en main les CDI toulousains en leur intimant de respecter le droit de manifester, de ne pas insulter les passants et les manifestants, de garder en toutes circonstances leur sang-froid.
Pour tout contact
opp.toulouse @gmail.com
Photo 1 A 21h19, charge sans sommations des CDI place du capitole – Extrait vidéo OPP
Notes:
- Selon le Comité des droits de l’Homme des Nations Unies, les observateurs surveillent et rendent compte du déroulement des réunions. Ils bénéficient à ce titre de la protection offerte par l’article 215 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et détiennent le droit d’enregistrer les membres des forces de l’ordre. Selon le Comité, il ne peut leur être interdit d’exercer leurs fonctions ou leur être imposé de limites à l’exercice de ces fonctions, y compris en ce qui concerne la surveillance des actions des forces de l’ordre
- Officier de police judiciaire.
- Lanceurs de grenades, qui permettent une propulsion de munitions de 56 mm sur une distance de 50 à 200 mètres (généralement des grenades lacrymogènes, mais aussi des grenades sonores et de désencerclement).
- Le lanceur de munition multicoups de 40 mm de diamètre (comme les balles de LBD) pouvant tirer jusqu’à 6 cartouches en 4 secondes sur une distance de 150 mètres. Il est prévu pour être exclusivement utilisé avec des grenades fumigènes ou lacrymogènes et ainsi en saturer très rapidement un endroit.
- Lanceur de balles de défense également appelée sublétale ou incapacitante, est une arme conçue pour que la cible ne soit pas tuée ou blessée lourdement. Ce type d’arme est principalement utilisé pour le maintien de l’ordre, dans la dispersion d’émeutes et l’autodéfense.