Les différents baromètres de l’ADEME1 montrent que les Français.e.s ont conscience de l’urgence climatique et de la nécessité de changer leurs modes de vie. Mais ce changement appelle une réorganisation en profondeur du modèle économique et politique.


 

Les Français.e.s se montrent très préoccupé.e.s par le changement climatique, dont la cause anthropique n’est plus à démontrer. En 2022, 81 % estiment que le réchauffement de la planète est causé par les activités humaines (c’est le plus haut niveau jamais atteint). L’incertitude sur les raisons du désordre climatique est passée de 49 % en 2001 à 18 % en 2021. Mais si les pratiques individuelles en faveur de l’environnement évoluent, les Français.e.s sont pris dans des injonctions contradictoires. Pour faciliter les changements de modes de vie, des transformations structurelles dans le modèle économique et politique sont nécessaires. Les Français.e.s attendent des pouvoirs publics et des entreprises qu’ils agissent davantage pour lutter contre le changement climatique.

 

Une prise de conscience de la nécessité de changer de modes de vie

Malgré « la hausse des prix » qui émerge comme une préoccupation à un niveau jamais atteint auparavant (+ 30 pts par rapport à 2021), la menace climatique demeure très présente dans les esprits. L’environnement se maintient au deuxième rang des enjeux les plus importants en France. Et l’effet de serre/le changement climatique atteint avec 43 % (+ 9 pts) un taux record en termes de préoccupation environnementale. D’ailleurs, les Français.e.s sont désormais 51 % à déclarer avoir subi « souvent ou parfois » les conséquences de désordres climatiques (contre 27 % en 2015). Le réchauffement climatique est désormais devenu une réalité tangible pour beaucoup.

Les Français.e.s se montrent globalement pessimistes vis-à-vis des conséquences du réchauffement climatique. 72 % considèrent que «  les conditions de vie deviendront extrêmement pénibles d’ici une cinquantaine d’années  » (c’est + 8 pts par rapport à 2021 et le niveau le plus élevé observé dans ce baromètre). De même, à la question de savoir si le changement climatique restera limité à des niveaux raisonnables d’ici la fin du siècle, le degré d’optimisme a sensiblement diminué : de 40 % en 2014 à 33 % aujourd’hui. Pour limiter ce phénomène, la proposition «  Il faudra modifier de façon importante nos modes de vie  » recueille une large adhésion : 56 % en moyenne sur la période 2006-2021, contre 62 % cette année, loin devant la solution technologique (11 %) : «  Le progrès technique permettra de trouver des solutions  ».

De fait, des changements s’observent à l’échelle individuelle, concernant notamment la consommation et les économies d’énergie dans le logement. À titre d’exemple, «  baisser la température de son logement de deux ou trois degrés l’hiver ou limiter la climatisation à 26 °C  » concernait moins de la moitié des répondants jusqu’en 2017. Aujourd’hui, cette pratique est déclarée par les deux tiers des personnes interrogées (67 %). De même, plus de la moitié déclare «  consommer moins  » (53 %, c’est 15 pts de plus qu’en 2017), ou limiter leur consommation de viande (51 %, soit + 9 pts en 5 ans). Par ailleurs, 49 % affirment limiter leurs achats de produits neufs, 42 % privilégier la seconde main ou l’occasion et 24 % préfèrent louer ou emprunter plutôt qu’acheter.

De manière générale, 76 % disent se mobiliser en faveur d’une consommation plus responsable (+ 4 pts par rapport à 2021) : 63 % indiquent avoir changé certaines pratiques au quotidien pour réduire l’impact de leur consommation et 13 % disent faire tout leur possible pour réduire leur impact et sensibiliser les autres.

 

Le souhait de vivre dans une société moins consumériste et de changer de modèle économique

Les baromètres montrent également une aspiration croissante à revoir le modèle économique dominant et à vivre dans une société où la consommation prendrait moins de place. En 2022, 78 % des Français expriment le souhait de voir la société se transformer, soit une progression de 5 points depuis l’année dernière. 40 % désirent un changement radical. Selon un autre sondage, 93 % désireraient revoir en partie ou complètement le système économique et sortir du mythe de la croissance infinie. 83 % voudraient vivre dans une société où la consommation prend moins de place, et 87 % estiment que plutôt que d’innover à tout prix, il faudrait revenir à l’essentiel et au bon sens.

Mais un paradoxe s’observe entre, d’un côté, des aspirations croissantes à changer de modèle économique et, de l’autre, des pratiques qui restent largement ancrées dans un modèle consumériste. La consommation exacerbe les injonctions contradictoires dans lesquelles évoluent les Français.e.s. La publicité, les offres promotionnelles, la mode, les évolutions technologiques les poussent à renouveler rapidement leurs biens et incitent à la consommation. Ainsi, 90 % des Français.e.s pensent que la société les pousse à acheter sans cesse (+ 2 pts par rapport à 2021), 85 % considèrent que les entreprises et les marques incitent à la surconsommation et 89 % que les publicités utilisent des techniques pour inciter à consommer toujours plus. 20 % des répondants déclarent avoir du mal à résister aux incitations commerciales.

Dans ce contexte, 83 % des Français.e.s pensent qu’il faudrait interdire la publicité concernant les produits ayant un fort impact sur l’environnement et 82 % qu’il faudrait davantage communiquer sur les produits durables. L’accès à la consommation et le pouvoir d’achat restent cependant des préoccupations importantes pour une majorité de Français.e.s, notamment dans le contexte d’inflation élevée qui a prévalu en 2022. Ainsi, à la question de savoir s’ils préféreraient une augmentation de leur temps libre ou de leur pouvoir d’achat (en situation d’emploi), 69 % privilégieraient une amélioration de leur pouvoir d’achat.

Faire évoluer les représentations sociales mais aussi les modèles de production, et ainsi ne plus faire de la consommation et de la production «  en volume  » une norme, constitue donc un enjeu clé. Pour cela, la transformation de l’offre est très attendue. Le prix constitue l’un des leviers principaux de la démocratisation d’une offre responsable, a fortiori dans le contexte économique actuel. 65 % ont le sentiment que «  consommer responsable  » coûte trop cher. Par ailleurs, 68 % considèrent qu’avec les produits qu’elles proposent aujourd’hui, les entreprises et leurs marques ne les aident pas à consommer responsable. 79 % attendent des marques qu’elles leur proposent des produits équivalents (en goût, texture, efficacité…) mais plus responsables. Toutefois, consommer responsable ce n’est pas seulement consommer mieux, c’est aussi consommer moins. Et c’est bien cette notion de sobriété que les répondants mettent derrière ce terme : pour 60 % d’entre eux, consommer responsable, c’est «  ne plus consommer de produits ou services superflus ou réduire sa consommation en général  » et, pour 34 %, c’est «  consommer autrement via des produits écolabellisés, éthiques, locaux, moins polluants  ». À cela s’ajoute le besoin de preuves (chiffres, labels officiels, etc.) pour croire à l’engagement des marques (relevé par 53 % des répondants).

Les Français.e.s expriment ainsi le besoin de changements structurels au niveau des modèles de production et de consommation. Tout ne peut reposer sur la responsabilité individuelle. D’ailleurs, ils sont prêts à accepter des changements importants dans leurs modes de vie à condition que ces derniers soient partagés de façon juste entre tous les membres de la société (pour 67 %) et qu’ils soient décidés collectivement (41 %). Ainsi, pour les Français.e.s, l’enjeu est de s’engager dans une démarche de long terme, partagée collectivement et juste socialement.

 

Le souhait de renouveler les orientations politiques et le modèle démocratique

Les Français.e.s souhaitent une société plus égalitaire, et une meilleure répartition de l’effort entre tous. Ils demandent à ce que les pouvoirs publics agissent davantage pour lutter contre le changement climatique mais ils aspirent également à plus d’horizontalité dans les décisions politiques.

Ainsi, 84 % souhaitent que les mêmes moyens déployés contre la Covid-19 le soient en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique (contre 77 % des répondants en mai 2020 et 81 % en 2021). De même, concernant la priorité du gouvernement vis-à-vis de la situation économique actuelle, le public maintient sa préférence pour une réorientation en profondeur de l’économie soutenant exclusivement les activités qui préservent l’environnement, la santé et la cohésion sociale (63 %, + 3 pts) plutôt qu’à une relance économique par tous les moyens afin de renouer au plus vite avec l’activité (35 %).
Ces préoccupations s’expriment également au niveau local : 60 % des répondants estiment que la transition écologique constitue l’enjeu principal de la politique territoriale.

Interrogés sur les acteurs les plus efficaces pour résoudre le problème de changement climatique, les Français.e.s considèrent les États (48 %) comme les principaux acteurs, après chacun d’entre nous (53 %).

Mais quand il s’agit de les questionner sur ceux qui agissent le plus aujourd’hui, après la réponse «  chacun d’entre nous  » (44 %), ce sont les acteurs locaux qui arrivent en tête : les associations (31 %), les collectivités locales (28 %) puis les États (26 %). Les instances internationales (14 %) et les entreprises (14 %) sont considérées comme les acteurs agissant le moins aujourd’hui. Notons que la réponse «  personne  » atteint 21 %.

S’ils attendent que les acteurs publics et privés soient plus «  moteurs  » dans la lutte contre le réchauffement climatique, les Français.e.s sont prêt.e.s à accepter des mesures de politiques publiques fortes pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. 9 Français.e.s sur 10 se montrent favorables à l’idée de «  développer les énergies renouvelables  » (ils étaient 77 % en 2014). «  L’obligation pour les propriétaires de rénover et d’isoler les logements lors d’une vente ou une location  » rencontre 74 % d’opinions favorables (+ 5 pts par rapport à 2021). «  La taxation du transport aérien  » voit son degré d’acceptation croître nettement, passant de 48 % en 2004 à 67 % en 2022. De même, «  taxer davantage les véhicules les plus émetteurs de gaz à effet de serre  » recueille 63 % d’avis favorables (+ 4 pts par rapport à 2021, mais c’est moins qu’en 2020). Par ailleurs, 53 % des personnes interrogées se montrent favorables à l’interdiction toute l’année de la circulation des véhicules les plus polluants sur une partie de la ville ou de l’agglomération en fonction de leur vignette CRIT’Air (- 4 pts). L’idée d’«  abaisser la vitesse limite sur autoroute à 110 km/heure  » reste minoritaire (46 %), mais augmente néanmoins de 4 points par rapport à l’année dernière. Enfin, si 51 % des Français.e.s estiment souhaitable d’augmenter la taxe carbone, cette proportion augmente à 72 % à condition que cela ne pénalise pas le pouvoir d’achat des ménages des classes moyennes et modestes, et que les recettes de la taxe soient utilisées pour financer des mesures de transition écologique. D’autres enquêtes soulignent également que la majorité des opposant.e.s à l’introduction d’une taxe carbone changerait d’avis si l’on conditionnait son introduction à une affectation spécifique des recettes fiscales. La capacité à mobiliser dans la transition suppose des règles justes, transparentes et fondées sur la conditionnalité*.

54 % des Français.e.s pensent qu’il faudrait davantage impliquer les citoyen.ne.s dans les décisions qui concernent la collectivité. Concernant les opinions relatives au système politique idéal, les Français.e.s classent en dernière position le système actuel («  où les décisions sont prises par des professionnels élus de la politique  »), mettant au premier rang la proposition d’un système où «  les décisions sont prises en ayant recours régulièrement à des référendums recueillant la volonté de la population  » (67 %, + 15 pts par rapport à 2021).

Cependant, malgré le souhait d’un renforcement de l’action des pouvoirs publics dans la lutte contre le changement climatique, l’opinion est plus partagée sur l’encadrement des actions individuelles. Ainsi, 46 % (- 2 pts) considèrent que les politiques publiques doivent limiter les comportements individuels potentiellement nocifs pour l’environnement, alors qu’une proportion légèrement plus élevée (49 %, + 1 pt) préconise la préservation des libertés individuelles, même si celles-ci vont à l’encontre de la protection de l’environnement.

 

Les valeurs affirmées par les Français.e.s

L’Observatoire des perspectives utopiques permet d’explorer les représentations et les aspirations des Français.e.s dans différents domaines (modes de vie, travail, vie démocratique, engagement, rapport au progrès, écologie, etc.) et de dresser des pistes pour imaginer un modèle de société souhaité par le plus grand nombre. Trois systèmes utopiques sont explorés, sans être nommés, sous la forme de propositions décrivant leurs différentes facettes : l’utopie écologique, l’utopie sécuritaire, l’utopie techno-libérale.

Sur la base de la moyenne des notes données à chacune des propositions décrivant les trois sociétés idéales, l’utopie écologique apparaît comme l’utopie préférée de 51 % des Français.e.s interrogé.e.s. Elle est suivie par l’utopie identitaire-sécuritaire, avec 39 %. Loin derrière, l’utopie techno-libérale ferme la marche avec 11 %. Le pourcentage de répondants ayant affiché une préférence pour l’utopie écologique diminue sensiblement avec l’âge alors qu’elle augmente pour l’utopie identitaire-sécuritaire.

L’enquête montre que des éléments propres aux trois utopies pourraient faire consensus au sein de la population française et fonder un projet d’avenir fédérateur : l’adhésion au principe de liberté et de droits individuels, le désir de sécurité, l’appétence pour la proximité (à la fois par la relocalisation des activités économiques et par une consommation plus ancrée sur les territoires), le ralentissement des rythmes de vie, le «  consommer moins mais mieux  ».

*Les Français et les politiques climatiques, Les notes du Conseil d’analyse économique, n° 73, juillet 2022.

Source ADEME Magazine

Notes:

  1. Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie.
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