Dans les rues de Montpellier, samedi 11 février matin, 13 000 à 15 000 personnes, venues de quatre ou cinq départements, pour défendre la « ruralité ». Dans les rues de Montpellier, samedi 11 février après-midi, 20 000 à 25 000 personnes, en provenance du sud-est de l’Hérault, pour s’opposer au projet de réforme de la retraite.
Il a suffi d’une étincelle pour embraser la Camargue : une tribune, intitulée « Il faut réformer la bouvine et mettre fin à certaines pratiques archaïques », parue dans Le Monde et signée de représentants d’associations et d’élus EELV. Comme les signataires l’ont dit et redit, il ne s’agissait pas de demander l’interdiction de la course camarguaise, mais l’abolition des méthodes utilisées sur les taureaux : castration par bistournage (torsion testiculaire et écrasement de chaque cordon spermatique à travers le scrotum par une pince), ablation des testicules par incision du scrotum afin de dégager les testicules pour les tourner, jusqu’à ce qu’ils tombent ou, autre technique, stérilisation des taureaux en posant un élastique au dessus des testicules pendant trois à sept semaines.
Faisant mine de lire entre les lignes la disparition de la bouvine, les ardents promoteurs des traditions ont crié « Ça suffit ! » et sont montés… sur leurs grands chevaux. Aucun plaidoyer pour les pratiques mises en cause. Motus sur les souffrances animales. Mais la défense de la « ruralité » avec de plus vastes questions, dans un combat contre l’atteinte à l’identité, aux menaces sur des modes de vie, foie gras et entrecôte, plutôt que quinoa et soja. Se sont exprimés le sentiment d’être laissés de côté quand la métropolisation progresse et les règlementations s’étendent, une rancœur de la campagne, négligée, à l’égard de la ville, favorisée, une hargne particulière, voire machiste, à l’encontre des écologistes, accusés de tous les maux.
Quand « On veut rester bien chez nous » ne devient pas « On est chez nous ! », scandé dans les meetings d’Éric Zemmour, ces opinions peuvent être respectables, sans compter que les urbains jouissent de bien des plaisirs campagnards. En tout cas, le rassemblement de Montpellier a traduit l’état d’une partie de la société régionale. Sur le mode « Cessez de nous emmerder ! », un phénomène politique s’est fortement fait jour. Rien ne dit qu’il soit si massif, si généralisé. A fortiori lorsqu’on constate qu’avec la conservation quasi religieuse des traditions, le conservatisme prévaut. Ainsi, dans les discours de Montpellier, il n’y avait aucune place pour les préoccupations sur l’état de la planète, aucun espace pour une visée vers un avenir désirable. Ni aucune manière de formuler la volonté d’une avancée collective, de porter l’espoir d’un progrès. Contrairement à ce qu’exprimaient les manifestants de l’après-midi.
Alain Doudiès