La Banque centrale européenne (BCE) va augmenter jeudi ses taux d’intérêt pour la première fois en plus de dix ans face à l’inflation galopante, marquant un tournant majeur après une longue période d’argent facilement accessible dans la zone euro.


 

Mais elle doit faire dans le même temps attention à ne pas aggraver la crise économique qui sévit dans une zone euro déjà fragilisée par les problèmes énergétiques et les turbulences politiques en Italie.

La BCE a déjà annoncé à l’avance son intention de relever ses taux. La seule question qui se pose est l’ampleur qu’aura ce relèvement : seulement un quart de point de pourcentage ou, comme le pensent un nombre croissant d’experts sur les marchés, 50 points de base directement ? Si cette dernière option est retenue, elle signifierait la fin de l’ère des taux négatifs entamée en 2014. Un taux de -0,5 % est aujourd’hui appliqué sur une partie des dépôts bancaires dormant à la BCE, comme mesure incitant à distribuer du crédit et donc contribuer à faire remonter l’inflation.

 

Inflation au sommet et crise de la dette en perspective

 

Or l’inflation en zone euro ne cesse de grimper sous l’effet conjugué de la reprise post-Covid, des tensions sur les chaînes d’approvisionnement et de la crise énergétique liée à l’offensive russe en Ukraine. Le taux d’inflation a atteint 8,6 % en juin sur un an et devrait encore monter dans les mois à venir.

Les acteurs de marché parient sur une action « résolue » de la BCE, comme en témoigne la récente remontée de l’euro face au dollar, après avoir évolué à parité. Pourquoi « patauger avec une hausse de 25 points de base et attendre septembre afin de le sortir du territoire négatif ? », se demande Antoine Bouvet, spécialiste des taux chez ING (Internationale Nederlanden Groep). Il est « difficile d’imaginer passer l’été avec des taux négatifs quand l’inflation de la zone euro va continuer d’augmenter », renchérit Franck Dixmier, directeur des gestions obligataires d’Allianz Global Investors.

Les gardiens de l’euro vont devoir toutefois piloter avec prudence ce resserrement du crédit, à un moment où les craintes d’une nouvelle crise de la dette refont surface dans le sillage notamment de l’instabilité politique en Italie. Pour parer une éventuelle envolée des taux d’emprunt que des pays comme l’Italie doivent payer pour financer leur endettement, la BCE va aussi dévoiler jeudi les contours d’un nouveau bouclier « anti-fragmentation ». Il a été conçu pour aplanir les écarts entre taux d’emprunt, ou « spreads », entre pays emprunteurs sans risque, comme l’Allemagne, et d’autres plus fragiles.

La BCE argumente que ces « spreads » gênent la transmission adéquate de sa politique monétaire. Mais des conditions strictes d’utilisation doivent être définies, les gardiens de l’euro n’ayant pas le droit d’aider budgétairement les gouvernements. Or « une crise politique auto-infligée en Italie est le cas d’école où la BCE ne devrait pas intervenir », prévient Frederik Ducrozet, chef économiste chez Pictet, en charge de l’Europe.

En renchérissant le coût du crédit, pour la première fois depuis 2011, la BCE va emboîter le pas à d’autres banques centrales dans le monde. La Fed (Réserve fédérale des États-Unis) américaine a augmenté ses taux d’intérêt depuis mars et sa fourchette pour le taux des fonds fédéraux, désormais entre 1,5 et 1,75 %, pourrait être relevée de 75 points de base fin juillet.

En zone euro, la crise du gaz complique la tâche de la BCE. Les incertitudes sur l’approvisionnement de gaz en provenance de Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, risquent de faire plonger la zone euro en récession en cas d’arrêt brutal des livraisons par Moscou. Une hausse trop rapide des taux aggraverait la situation. Toute l’Europe attend dans ce contexte de savoir si le gazoduc Nord Stream 1, reliant la Russie à l’Allemagne, va rétablir ses livraisons jeudi, après plus de 10 jours de complète interruption pour travaux. Les autorités européennes se préparent au mieux à une forte diminution.

Avec AFP

 

Photo John Thys-AFP : Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne.