La pièce De ce côté évoque la position de l’acteur exilé et au-delà, des acteurs confinés. Artiste associé au Théâtre des 13 vents, “Dido” l’a écrite durant le confinement, au cœur de cette crise inédite, dans un moment propice à trouver les mots sur un drame à la fois collectif et privé.
On est assis, on est prêt, ce soir on est venu au théâtre. On attend, les lumières restent allumées. Voilà l’acteur qui arrive, ça va bientôt commencer. Seul sur scène, Dieudonné Niangouna écoute le public qui a fait silence. Il est l’acteur, pas seulement dans son rôle, il est lui, et l’acteur entier au présent.
Dans un monde où l’acteur doit trouver le chemin de la scène pour exister. Il faut aussi que ce chemin soit une voie qui lui corresponde, ou du moins qu’il ait envie de parcourir. Tout cela se passe dans le pesant contexte contemporain qui nous afflige. Contextes politique ou culturel qui tendent à ne faire qu’un, contexte économique qui impose de répondre aux attentes, contexte idéologique qui sous tend un abandon ou un positionnement déterminé. La scène pousse sans cesse les acteurs dehors, elle exige de la nouveauté adaptée. Les projecteurs s’allument sur les acteurs de contexte et s’éteint sur les autres.
Maintenant, voilà que l’acteur disparaît dans un fondu au noir. Tombé du bateau théâtre, il coule, laissant le public désarçonné qui s’entend respirer, ou qui tente de retenir son souffle dans l’attente de ce qui va suivre. Dans l’attente du spectacle, mais s’il n’y a pas de spectacle… il n’y a pas de public non plus. Alors que reste-t-il en définitif ? Des êtres, juste des êtres. Les projecteurs se rallument. Dieudonné, ou son fantôme, nous conte son histoire, éloquente autofiction d’un auteur congolais exilé.
Enterrer ses morts
Dido remonte le fil des épisodes, seul au fond de son bar et de son exil. Les fantômes reviennent : les spectateurs abandonnés, la famille en détresse, les activistes afro-africains, les tenants du régime qui lui ont fait quitter le pays. Les remords et les regrets s’inscrivent dans des moments de respiration à la limite du surréel, dans un chaos calme.
Il fait preuve d’une maîtrise de la mise en scène impressionnante. Son ancrage semi-statique sur le plateau évoque l’idée que l’acteur s’est laissé prendre de vitesse par le temps. À ce moment, face au public, il est à la fois le marbre et le sculpteur de son épanouissement. Il ne s’agit pas de faire preuve de naturalisme mais de mettre à nu, et pour ce faire, de déployer beaucoup d’énergie pour rester immobile.
Le texte, où retentit l’éloquence et le verbe puissant de l’auteur congolais, creuse profondément la question du « faire théâtre » dans le chaos et la violence du monde contemporain, d’ici et de là-bas. Est-ce l’écriture durant le confinement qui a mis le dramaturge au défi de trouver un nouveau langage pour exprimer ce bouleversement ? Toujours est-il que la pensée et le jeu épousent les intemporels ressorts du drame pour toucher la conscience, agissant comme des anticorps face à la désagrégation d’un monde qui nous enferme. Pour vivre à nouveau ?
Jean-Marie Dinh
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