État des lieux après le premier tour de l’élection présidentielle en Provence-Alpes-Côte d’Azur et Occitanie où le score de Jean-Luc Mélenchon dans les grandes villes contraste avec l’enracinement du vote pour Marine Le Pen dans la plupart des départements.
Nous revoilà donc avec le même duel/duo qu’en 2017, Emmanuel Macron-Marine Le Pen, respectivement crédités de 27,6 % et 23,41 % des voix, Jean-Luc Mélenchon ratant de peu la “qualification” pour le second tour avec 21,95 % des suffrages. Parmi les multiples constats que l’on peut faire à l’issue du premier tour, l’implantation de la candidate d’extrême droite dans nos deux régions n’est pas le moindre : Marine Le Pen vire en tête dans les Alpes-Maritimes, le Var, les Alpes de Haute-Provence, le Vaucluse et les Bouches-du-Rhône pour la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (seul le département des Hautes-Alpes a donné sa préférence au président sortant), dans le Gard, l’Hérault, l’Aude, les Pyrénées Orientales, le Tarn et le Tarn-et-Garonne pour la région Occitanie. Le paysage y est plus contrasté que de l’autre côté du Rhône avec un département, l’Ariège, qui a placé Jean-Luc Mélenchon en tête et plusieurs qui ont accordé leur préférence à Emmanuel Macron : l’Aveyron, la Lozère, la Haute-Garonne, le Lot, le Gers et les Hautes-Pyrénées.
Le premier tour de cette présidentielle donne souvent à voir des situations diamétralement opposées, à l’intérieur des mêmes départements, entre les grandes villes et les espaces ruraux. À l’exception de Nice dont le maire Christian Estrosi soutient dorénavant Emmanuel Macron, (25,13 % pour le président) et de Toulon, sans surprise plutôt favorable à Marine Le Pen (25,28 %, juste devant Emmanuel Macron), les grandes villes des deux régions ont porté Jean-Luc Mélenchon largement en tête, à Marseille dont il est député (31,12 %), Avignon (36,87 %), Nîmes (28,68 %), Montpellier (40,73 %) et Toulouse (36,95 %). En l’occurrence, la couleur des maires importe peu, qu’ils soient PS (Marseille, Avignon, Montpellier) ou LR (Toulouse, Nîmes). Preuve, une nouvelle fois, qu’aucune élection ne ressemble à une autre. Sinon, Anne Hidalgo, confortablement réélue maire de Paris en 2020 aurait fait un triomphe dans la capitale… où elle ne recueille que 2,17 % des voix. Le résultat de sa candidate confirme l’effondrement du PS, malgré un ancrage local qui demeure. Ce parti réalise le plus petit score de son histoire avec 1,8 % des suffrages. Même dans les pires heures de ses soubresauts électoraux — en 1969 où le maire de Marseille, Gaston Defferre avait recueilli 5 % des voix — ce courant n’était jamais tombé aussi bas.
Le retour du PCF dans un scrutin présidentiel est un échec, malgré une exposition médiatique inhabituelle pour ce parti. Avec 2,3 % des voix, Fabien Roussel fait légèrement mieux que Marie-George Buffet crédité de 1,9 % des suffrages lors de l’élection présidentielle de 2007, marquée par l’échec des collectifs anti-libéraux. Le candidat du PCF est largement devancé par Jean-Luc Mélenchon dans les villes des Bouches-du-Rhône où ce parti dirige des municipalités de longue date (à Martigues et Port-de-Bouc notamment), comme dans celles perdues en 2020 : Arles et Gardanne. Dans la deuxième ville du département, Aix-en-Provence, plus contrastée que ne le laisse entendre son image de cité “bourgeoise”, le candidat de l’Union populaire (23,41 %) arrive en deuxième position derrière Emmanuel Macron (30,91 %). Le cas aixois, où la droite UMP puis LR arrivait régulièrement en tête lors des échéances précédentes, illustre le phénomène national de la chute vertigineuse de ce parti et la migration de ses électrices et électeurs vers Emmanuel Macron. Valérie Pécresse ne totalise que 5,54 % des voix dans la “cité du Roy René”.
Marseille : abstention massive et succès de Jean-Luc Mélenchon
À Marseille où l’abstention (32 %) reste largement au-dessus de la moyenne nationale, Emmanuel Macron arrive largement en tête devant Marine Le Pen (31,86 % contre 17,09 %) dans l’arrondissement le plus huppé de la ville, le 8e, qui est aussi celui où l’on a le plus voté le 10 avril. Le président sortant ne l’emporte que dans quatre arrondissements sur 16 (les 7e, 8e, 9e et 12e).
Les arrondissements populaires du nord de la ville sont à la fois ceux où l’abstention atteint des records (plus de 40 % dans les 14e et 15e) et ceux où le vote pour Jean-Luc Mélenchon est massivement dominant (49,41 % dans le 14e, 51,48 % dans le 15e et 41,46 % dans le 16e). Son score est également élevé dans trois arrondissements du centre-ville dont la population est majoritairement défavorisée : 56,61 % dans le 1er, 46,53 % dans le 2e et 58,46 % dans le troisième.
Même si elle s’est avérée insuffisante pour accéder au second tour, la capacité de mobilisation de ce courant a été un des faits majeurs de cette élection. On peut la vérifier dans une autre cité fracturée de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, Avignon (Vaucluse) où Jean-Luc Mélenchon recueille plus de 36 % des suffrages. « Alors que le taux de pauvreté se mesure à 14,5 % en France métropolitaine, à 17 % pour la région et 19,5 % pour le Vaucluse, il tutoie les 31 % à Avignon. Pire, dans certains quartiers, il atteint 62,6 % et 56,68 % », écrit le quotidien La Provence1. Fait notable, Marine Le Pen n’arrive qu’en troisième position avec 18,94 % des voix dans la “cité des Papes”.
Une fracture rural/urbain ?
Le cas d’Avignon illustre une tendance forte de ce scrutin présidentiel où le vote laisse apparaître d’importantes différences entre grandes villes et villes moyennes d’une part, communes rurales d’autre part. Le chef lieu du Vaucluse se distingue de l’ensemble du département qui a largement voté à l’extrême droite (29,43 % pour Marine Le Pen et 10 % pour Éric Zemmour). Les petites communes rurales du nord des Bouches-du-Rhône (Rognonas, Barbentane, Boulbon, Châteaurenard, Cabannes, Tarascon, Maillane, Saint-Étienne-du-Grès…) ont également donné des scores importants à ce courant.
Le clivage urbain/rural peut même se retrouver dans la commune la plus étendue de France, Arles, où le contraste est saisissant entre le bureau de l’Hôtel de ville où Jean-Luc Mélenchon arrive en tête avec plus de 32 % des voix, devant Emmanuel Macron alors que les hameaux camarguais, à l’exception de Mas-Thibert, ont massivement voté pour Marine Le Pen.
Évidemment, le vote “rural” n’est pas réductible à un vote des agriculteurs, même dans les communes du nord des Bouches-du-Rhône ou du Vaucluse historiquement marquées par cette activité. Et il faudrait procéder à une analyse quasi microscopique de leurs populations pour voir comment les candidat.e.s arrivent à agréger des profils différents dans leurs électorats.
Hérault, terre de contrastes
En Occitanie (13 départements), l’Hérault offre des configurations très diverses, entre nette domination de Jean-Luc Mélenchon à Montpellier, duel très serré à Sète où tout se joue à quatre voix près au profit de Marine Le Pen, succès attendu de cette dernière à Béziers (31,08 % contre 22,74 % à Mélenchon) et première place de la candidate d’extrême droite dans de nombreuses communes du littoral et de l’étang de Thau (Agde, Palavas, Valras-Plage, Villeneuve-les-Maguelonne, Balaruc-les-Bains, Frontignan, Mèze, Bouzigues, Marseillan…).
Dans l’aire montpelliéraine et ce que l’on pourrait désigner comme l’arrière-pays, la couleur est moins uniforme et tous les cas de figure se présentent. Emmanuel Macron vire ainsi en tête dans des communes à la population aisée comme Montferrier, Saint-Clément-de-Rivière, Lattes ou Saint-Gély-du-Fesc. Juvignac privilégie Jean-Luc Mélenchon, tout comme Pézenas, Ganges et la sous-préfecture, Lodève. Les communes du Cœur d’Hérault ou de la Vallée de l’Hérault voient souvent des duels serrés entre Jean-Luc Mélenchon (vainqueur à Gignac, Aniane, Saint-Jean-de-Fos, Montpeyroux, Le Pouget, par exemple) et Marine Le Pen qui l’emporte à Clermont-L’Hérault, Nébian ou Saint-André-de-Sangonis.
Curiosité de cette élection dans cette grande région d’Occitanie, des départements comme la Lozère, le Tarn et les Hautes-Pyrénées ont offert un beau score à Jean Lasalle, qui dépasse les 10 %, bien au-delà de ses 3,5 % au plan national. Le député béarnais a probablement été perçu comme le candidat de la ruralité.
J-F. Arnichand
