Rencontre avec le réalisateur Gilles Perret à l’occasion du festival qui lui était  dédié ce week-end au Vigan. Les films programmés suivis de débats ont captivé le public local venu nombreux. Parmi les documentaires, Debout les femmes ! un road-movie social dans lequel on suit un duo improbable composé des députés François Ruffin (LFI) et Bruno Bonnell (LREM) allant à la rencontre d’auxiliaires de vie sociale au cours d’une mission parlementaire —, est actuellement sur les écrans.


 

L’homme de la vallée

Votre premier contact avec une caméra…

Au moment de la conscription, mon diplôme d’ingénieur électronique en poche, j’ai choisi d’accomplir mon service en tant qu’objecteur de conscience. Ce qui m’a conduit à travailler deux ans pour une télé locale en Savoie, ma région d’origine.

 

Votre premier film…

C’est un film sur la montagne que j’ai fait avec mes voisins. Le film parle de trois agriculteurs lors de leur dernière année d’activité1. Il a été vu par 99 personnes (rire), essentiellement des gens de la vallée où je suis né, mais il a reçu plusieurs prix ce qui m’a permis d’être reconnu.

 

Cette vallée, vous ne l’avez jamais quittée…

Oui, j’ai toujours pensé que c’était là, de chez moi, que j’exprimerai le mieux ce que j’avais à dire, en partageant ce que je vois et je connais. Lorsqu’on est sur un tournage à l’autre bout de la planète, on ne se trouve pas en prise directe avec les gens. Moi c’est surtout ça qui m’intéresse. Je pense qu’en filmant mes voisins je raconte l’histoire du monde.

 

Possible de faire des choses, même des films, sans habiter Paris…

Oui, c’est un choix qui me permet de faire ce que je veux. C’est important pour moi de trouver du sens dans ce que je fais. Quand je monte à Paris on me voit arriver avec mes gros sabots. C’est comme avec la télé avec qui j’ai travaillé un certain temps en région. Je leur proposais des sujets sur les gens normaux qui travaillent. Ils me regardaient avec de drôles d’yeux. À un moment, ils n’ont plus voulu de moi et moi je n’ai plus voulu d’eux. On ne parlait pas la même langue.

 

La production indépendante, ça peut marcher…

On fait un film, un autre, on se produit nous-même. Un film permet de réaliser le suivant. On invente en continuant d’avancer dans l’autonomie et en restant ouvert aux autres. Des réseaux parallèles aux grands circuits se constituent avec des modes de fonctionnements totalement différents qui fonctionnent sur les relations humaines.

 

La rencontre avec François Ruffin

On s’est rencontré par hasard en 2005 devant le Tunnel du Mont Blanc. Je faisais un documentaire pour France 3, il venait faire un reportage pour l’émission de Mermet2 Là-bas si j’y suis. Un camion avait brûlé à l’intérieur, il y avait un bouchon colossal. J’avais lu Les petits soldats du journalisme3. Je l’ai hébergé, on a commencé à parler de ferroutage.

 

Le travail en duo…

Notre tandem marche bien parce qu’on est différents et complémentaires. On fonctionne selon une formule très minimaliste de manière assez spontanée. On fait tout à deux, parfois à trois pour la prise de son en groupe. François est très réactif, il va au contact, moi je travaille sur la forme. C’est éprouvant, il faut aller vite. De manière générale, on est plutôt d’accord sur la façon de faire ! De toute façon, on ne s’interdit rien. Cette forme-là nous oblige à travailler dans la proximité, ce qui me convient. On est bien avec les gens que l’on est en train de filmer.

 

Regard sur le cinéma social français…

J’ai une image assez triste du cinéma français qui manque de diversité. C’est globalement très parisien avec des scénarios qui concernent une minorité de gens et qui racontent toujours la même histoire. La sociologie de la France a changé à l’instar du débat politique, on retrouve dans le cinéma une invisibilité du monde ouvrier. Pourtant si l’on ajoute au monde ouvrier celui des employés précaires, on avoisine 50 % de la population active qui occupe 2 % de l’espace médiatique.

J’ai souvent du mal avec les films sociaux français posés dans un décor, qui ont du mal à prendre dans ce décor. Cela ne me parle pas, peut-être parce que ceux qui les font ne vivent pas dans le milieu qu’ils décrivent. Il n’y a pas que du mauvais, bien sûr, dans le cinéma français, mais globalement la représentativité de la société telle que moi j’ai l’impression de la vivre, je ne la retrouve pas au cinéma. Comment se fait-il qu’à 83 ans ce soit Ken Loach qui traite de la condition des auxiliaires de vie ou de l’ubérisation de la société avec le plus de justesse ?

 

Passage à la fiction…

C’est en cours, une comédie sociale. Le film s’appelle Reprise en main. Ça me met une grosse pression. Je reviens sur les lieux du tournage de mon documentaire Ma mondialisation dans la vallée de l’Arve, en Haute-Savoie. Une entreprise de haute précision en prise avec les mécanismes financiers. C’est notre histoire, mes parents ont travaillé dans cette boîte. J’emprunte à la fiction pour raconter l’histoire d’un fils de patron et d’un fils d’ouvrier qui ont fréquenté la même école. Pour ne pas subir les lois du marché les ouvriers décident de monter un coup financier en mettant en place un LBO4, qui est un montage financier permettant le rachat de leur entreprise [ayant recours à beaucoup d’endettement, Ndlr]. Le film sort en novembre.

 

Un festival au Vigan avec les femmes de chambre victorieuses contre Ibis

Ce grand week-end au Vigan est le fruit de simples et belles rencontres : Claire que j’ai rencontré par le réseau Fakir5 qui vient de s’installer ici. Elle a fait la proposition au cinéma Palace du Vigan qui a accepté et une équipe de choc avec Fabienne, l’équipe de DOC-Cévennes (Festival international du documentaire de Lasalle), de Fakir, les chœurs de l’hymne des femmes, s’est mise en action pour proposer ce beau moment. On a invité Sylvie et Rachel, deux des femmes de chambre employées à l’hôtel Ibis Batignolles qui ont obtenu de meilleures conditions de travail et une augmentation de leur salaire après une grève de 22 mois. Elles sont venues raconter ce conflit et leur lutte. On les avait aussi invité aux César6. Elles avaient des tenues élégantes, c’était drôle, le public les prenaient pour des stars de cinéma américaines. Les policiers qui les regardent avec suspicion dans la vie courante, leur ouvraient le passage. Il n’y a pas de raison que ces lieux de gloire soient réservés aux autres.

 

Recueillis par Jean-Marie Dinh

 

Sylvie et Rachel, deux des femmes de chambre victorieuses dans la lutte pour défendre leurs droits.

Notes:

  1. Trois frères pour une vie, 1999.
  2. Journaliste, écrivain et producteur de radio, Daniel Mermet est cofondateur d’Attac et a été producteur et animateur de l’émission Là-bas si j’y suis sur France Inter de 1989 à 2014.
  3. Document sur le Centre de formation des journalistes, dénonçant sans complaisance tout ce qui a choqué François Ruffin pendant ses deux années d’études.
  4. Le leveraged buy-out (LBO) ou rachat avec effet de levier.
  5. Fakir « Journal fâché avec tout le monde. Ou presque » est un journal indépendant et alternatif engagé de gauche. Créé en 1999 à Amiens par François Ruffin il connaît une diffusion nationale depuis le 26 avril 2009.
  6. Debout les femmes ! a été nominé au César 2022.
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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.