La semaine de la presse à l’école vécue en direct d’un lycée de Martigues, avec une émission de web-radio conçue par un groupe d’élèves et une professeure-documentaliste. Un beau moment d’ouverture et de réflexions diverses.


 

« Tout ça est de nouveau possible » : comme un cri du cœur, lancé par une des lycéennes  investies dans l’émission de web-radio concoctée par un groupe d’élèves du Lycée Jean Lurçat et leur professeure-documentaliste, Marie-Laure Grand. Le “tout ça” désigne à la fois le plaisir de retrouver les activités de Radio Utopia (c’est son nom), de parler enfin sans masque et de « se réunir au Rallumeur [le café associatif de Martigues, Ndlr] pour un débat avec Madame Laulan ». Hélène Laulan, professeure de philosophie, fait d’ailleurs une chronique “philo” (logique) dans l’émission, en duo avec une élève. Car, qu’on ne s’y trompe pas, Radio Utopia, c’est du travail de professionnels, avec jingles, rubriques, chroniques, illustrations musicales (Cranberries, Stromae et même Imagine de John Lennon), interviews, points de vue… Du sérieux sans se prendre au sérieux.

 

Web Radio Lycée Lurçat Martigues

 

Pour cette première émission « libérée, délivrée » du Covid, Marie-Laure Grand avait invité largement, mais dans un contexte chargé pour les médias locaux et régionaux, seuls Altermidi et Radio Poutargue, une radio documentaire martégale, ont pu répondre à l’appel. D’année en année, les élèves changent mais l’opiniâtreté de la documentaliste et l’engagement des lycéens et lycéennes demeurent. Avec cette initiative organisée le 24 mars dans le cadre de la semaine de la presse et des médias à l’école proposée par le Clemi (Centre pour l’éducation aux médias et à l’information)1, Radio Utopia a abordé des sujets aussi divers que la guerre en Ukraine — un mois jour pour jour après l’agression russe —, la carrière d’un chanteur ukrainien, Oleg Skrikpa,  les atteintes à la liberté d’expression et à la liberté de la presse, les fake-news (en français, les infox), les influenceurs, les actions du club humanitaire du lycée, le rôle des réseaux sociaux, la visite de lycéen.ne.s de ST2S (Sciences et technologies de la santé et du social) à l’AprèsM, un ancien McDonald’s des quartiers nord de Marseille en cours de reconversion en restaurant solidaire… Le tout avec une approche parfois plus rigoureuse que sur certains plateaux TV, à l’image du « point histoire » d’Antoine sur l’Ukraine.

 

Un témoignage sur l’accueil de réfugiés ukrainiens

Lili dont la famille accueille des réfugiés ukrainiens a témoigné de cette expérience. Avec la contribution d’Antoine se construisait ainsi un double regard, à la fois historique et subjectif, sur ce qui constitue le dossier majeur de l’actualité (avec l’élection présidentielle) : cette guerre, non pas « aux portes de l’Europe », comme on le lit ou on l’entend trop souvent, mais en Europe, tout simplement. « Ils dorment dans une de nos chambres, ils mangent avec nous, ils partagent une partie de leur vie avec nous », explique-t-elle. L’un des deux enfants est scolarisé dans ce même lycée de Martigues : « Le premier jour où Sacha est venu au lycée, c’était ses 16 ans, ils sont assez traumatisés par tous les événements, c’est complètement normal, mais je pense pouvoir affirmer qu’ils sont bien intégrés chez nous et au lycée. » Le père est resté en Ukraine, « à la campagne, à l’est de Kiev ». Si généreux soit-il, cet accueil ne peut être que provisoire : « Évidemment, ça dépendra de la durée de la guerre, précise Lili, au-delà d’un an, si les choses ne se sont pas améliorées, il trouveront un appartement. » La lycéenne en est consciente : « Tout le monde ne peut pas accueillir une famille ukrainienne chez soi, mais il y a d’autres façons d’aider ces personnes : on peut commencer par la collecte d’objets hygiéniques, faire des dons d’argent. Il y a pas mal d’établissements scolaires et de mairies qui organisent des choses, chacun à son échelle a les moyens de les aider ».

 

« Totalitarisme numérique »

Les lycéen.ne.s de Radio Utopia avaient aussi mis au sommaire de leur émission la question de la liberté d’expression et de la liberté de la presse : pas vraiment étonnant au vu des images de manifestants russes pour la paix aussitôt arrêtés par la police. Ou des constats établis par Amnesty international selon lesquels « depuis plusieurs années, les autorités accentuent leur répression contre les médias et contre celles et ceux qui défendent les libertés », comme le soulignait Clara, en évoquant notamment le cas de la journaliste russe Anna Politkovskaïa, assassinée en 2006 à Moscou après « des enquêtes sur les exactions en Tchetchénie, les violences dans l’armée, la corruption »… Le parcours de cette journaliste d’investigation a d’ailleurs fait l’objet d’un documentaire2.

Fiora s’est, elle, penchée sur des thèmes aussi complexes que le rapport entre surveillance et libertés ou la reconnaissance faciale qui « a même parfois démontré que l’intelligence artificielle pouvait faire preuve de xénophobie, ça a l’air curieux et pourtant c’est vrai : par exemple, elle peut confondre des personnes qui ne correspondent pas au schéma de la personne blanche ». Pour la lycéenne, « ce sont vraiment des menaces de notre époque qui posent de nombreuses questions, que ce soit d’un point de vue philosophique, politique ou historique : on peut appeler ça le totalitarisme numérique qui, par peur, nous pousse à abandonner des libertés fondamentales au nom de la sécurité ».

Moins grave et porteur d’espoir, l’avenir de l’AprèsM à Marseille a été évoqué par Hélène Laulan et deux de ses élèves de Terminale. La visite des lieux et le contact avec les bénévoles ont été saluées comme des « expériences enrichissantes ». Pour les lycéennes, « le fait d’en entendre parler à la télévision ou dans les journaux n’a pas le même impact que d’aller à la rencontre de ces personnes ».

La web-radio du Lycée Jean Lurçat, c’est aussi la possibilité offerte à des médias comme Radio Poutargue qui recueille des témoignages sur la mémoire locale, ou Altermidi de présenter leur travail. Dans l’écoute, la bonne humeur et la bienveillance, ce mot si souvent galvaudé. Pour un jeune média comme le nôtre, c’est un espace précieux et on ne saluera jamais assez la contribution de Marie-Laure Grand à l’éducation aux médias. L’Éducation aux médias et à l’information, « un enseignement indispensable pour favoriser un regard critique sur un océan d’informations », selon les mots du proviseur, M. Durival.

Comme dirait une ancienne compagne d’un ancien Président de la République, « merci pour ce moment ».

J-F. Arnichand

 



 

Le lien vers l’émission de radio du Lycée Jean Lurçat à Martigues :
https://soundcloud.com/radio-utopia-1/emission-du-24-mars-2022

 

 

Notes:

  1. La semaine de la presse avait pour thème S’informer pour comprendre le monde
  2. Lettre à Anna, Éric Bergkraut, 2009.
JF-Arnichand Aka Morgan
"Journaliste durant 25 ans dans la Presse Quotidienne Régionale et sociologue de formation. Se pose tous les matins la question "Où va-t-on ?". S'intéresse particulièrement aux questions sociales, culturelles, au travail et à l'éducation. A part ça, amateur de musiques, de cinéma, de football (personne n'est parfait)...et toujours émerveillé par la lumière méditerranéenne"