Alors que le variant Omnicron échappe au contrôle du vaccin, le gouvernement accentue sa pression sur les non-vaccinés. Le passe vaccinal a été définitivement voté dimanche 4 janvier par l’Assemblée nationale. Les personnes sans schéma vaccinal complet seront privées de vie sociale et de liberté de circuler. Plusieurs recours ont été déposés devant le Conseil constitutionnel.
Après deux semaines de débat parlementaire et deux allers-retours entre la Chambre des députés et le Sénat, l’Assemblée nationale a eu le dernier mot. Le projet de « loi renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire » a été adopté dimanche 16 janvier, par à 215 voix pour, 58 contre et 7 abstentions.
Le texte garde sa forme initiale (voir l’article) avec quelques ajustements, certaines mesures enlevées par le Sénat ont été réintroduites.
Seules les personnes à jour d’un schéma vaccinal complet bénéficieront du passe vaccinal pour accéder à la plupart des activités de la vie quotidienne (2 doses — selon le vaccin — et une dose de rappel depuis le 15 janvier, 7 mois maximum après la deuxième dose).
À partir du 15 février, il faudra effectuer une dose de rappel quatre mois maximum — et non plus sept — après la deuxième dose pour que le passe reste valable.
« Une infection équivaudra toujours à une injection. Cela veut dire qu’une personne qui a ses deux doses, qui n’a pas fait son rappel et qui a été récemment contaminée par le virus (certificat de rétablissement — test PCR ou antigénique positif — de plus de 11 jours et de moins de 6 mois) répond au schéma vaccinal complet », explique Olivier Véran.
Y aura-t-il une limite fixée au nombre de doses de rappel pour bénéficier du QR code valide ? Les parlementaires n’ont pas pu obtenir de réponse à ce sujet.
Les moins de 16 ans sont exemptés du passe vaccinal et resteront soumis au passe sanitaire.
La Rem rétablit ainsi « l’obligation vaccinale » pour les 16-18 ans (une sorte de majorité vaccinale) alors que « le Sénat l’avait supprimé pour les mineurs en toute circonstance », a relevé Ugo Bernalicis, député de la France insoumise.
Il suffira de l’accord d’un des deux parents pour faire vacciner un enfant de 5 à 11 ans.
L’obligation du passe vaccinal sur décision des préfets pour les grands magasins et centres commerciaux est rétablie ainsi que dans les transports interrégionaux (sauf pour la Corse ou encore, l’Outre-mer et en cas de motif impérieux pour raisons familiales ou de santé, il faudra fournir un test négatif « sauf en cas d’urgence »).
Le dispositif renforçant les sanctions pour défaut de contrôle de passe est maintenu, les grands rassemblements restent limités à une jauge uniforme de 2000 personnes en intérieur et de 5000 en extérieur. L’augmentation en fonction de la capacité, proposée par le Sénat, a été rejetée.
En cas de non respect de la procédure liée au télétravail, les entreprises seront verbalisées d’une amende de 500 euros (contre 1000 euros en première lecture et avec un plafond de 50 000 euros).
Les meetings politiques pourront avoir lieu avec ou sans passe sanitaire, « selon la responsabilité des candidats ».
L’accès aux bureaux de vote ne sera pas soumis au passe vaccinal, a souligné le rapporteur de la loi, Jean-Pierre Pont, le droit de vote étant garanti par la Constitution.
Suite aux déclarations inquiétantes du Chef de l’Etat à l’égard des non-vaccinés « irresponsables » et « non-citoyens », la députée LR Anne-Laure Blin avait déposé, lors du passage de la loi à l’Assemblée en première lecture, un amendement pour « garantir l’accès aux lieux d’exercice de la démocratie ». Il visait à faire spécifier dans le texte de loi que le passe vaccinal ne serait pas exigé pour accéder aux bureaux de vote.
La précision a été jugée inutile par la majorité, car elle est déjà inscrite dans la loi. En effet, la décision du Conseil constitutionnel du 9 novembre 2021 (art. 17) précise : « en période électorale, la présentation du “pass sanitaire” ne peut être exigée pour l’accès aux bureaux de vote ou à des réunions et activités politiques ».
Le Conseil cite le passe sanitaire, mais « il en est de même pour le passe vaccinal », explique Bruno Millienne, député de la majorité, à Libération. Juridiquement, le projet de loi « ne modifie pas le champ d’application du passe sanitaire, mais transforme ce dernier en passe vaccinal ». De ce fait, l’amendement d’Anne-Laure Blin, soutenu par LFI, n’a pas reçu d’avis favorable de la majorité et a été rejeté par l’Assemblée.
Néanmoins, la démarche a permis de faire souligner par La Rem que tous les citoyens, vaccinés ou non, peuvent aller voter.
« Contrôle d’identité » ou « vérification de la concordance d’identité »
Les vérifications d’identité par les responsables des lieux nécessitant un passe sont autorisées « en cas de raisons sérieuses ».
Le contrôle du passe vaccinal a été un des points les plus controversés lors des débats parlementaires. Jean-Pierre Pont, rapporteur de la loi, a expliqué : « Il n’est pas question que les restaurateurs verbalisent ou dénoncent, mais simplement qu’ils s’assurent de qui entre chez eux. »
Pourtant, dans un avis du 4 janvier, la Défenseure des droits a alerté sur le risque de discrimination contenu dans cette mesure. Le doute étant laissé au libre-arbitre du “contrôleur”, l’appréciation est subjective et le risque de contrôle arbitraire (“au faciès”) existe.
Claire Hédon précise que cette démarche délègue « une forme de pouvoir de police à des entreprises publiques ou privées », à des personnes « non formées pour gérer des situations de tensions et de conflits avec les clients et usagers ».
Pour échapper au cadre juridique et ne pas risquer d’être censuré par le Conseil constitutionnel, le texte mentionnera non pas un contrôle d’identité, prérogative de police, mais « une vérification de la concordance d’identité entre les documents » qui pourra se faire sur la base d’un « document officiel comportant sa photographie » (carte d’identité permis de conduire, carte vitale…). En cas de « raisons sérieuses de penser que le document présenté n’est pas authentique ou ne se rattache pas à la personne qui le présente », l’entrée pourra être refusée.
Claire Hédon avait souligné, lors de la mise en place du passe sanitaire, le risque d’accoutumance au contrôle « d’une population sur une autre ».
Des spécialistes du droit avait également insisté sur l’effet cliquet de ces mesures exceptionnelles : il est difficile de revenir en arrière une fois qu’elles sont installées et elles pourraient in fine s’inscrire dans le droit commun.
Par ailleurs, la sortie de l’état d’urgence sanitaire court jusqu’au 31 juillet 2022 en France métropolitaine. Aucune limite d’application au passe vaccinal n’a été fixée avant cette date, malgré les demandes réitérées de nombreux parlementaires sur ce point.
Le projet de loi prévoit l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 31 mars en Martinique, Guadeloupe, La Réunion, Guyane, Mayotte, Saint-Barthélémy et Saint-Martin.
Une grave atteinte aux libertés publiques
Lors de ces débats, Olivier Véran et La République en marche ont axé leur argumentation sur l’importance de la vaccination face « au raz-de-marée Omnicron » et sur la lutte contre la fraude au passe.
Les opposants au texte, LFI en tête, ont tenté de démontrer, avec force et jusqu’à la fin des débats, l’inutilité de cette loi dans la bataille contre l’épidémie (contaminations galopantes malgré la vaccination et le passe sanitaire, la population française est vaccinée à près de 80%, les non-vaccinés sont érigés en boucs émissaires pour masquer les vrais problèmes du pays). Les parlementaires ont insisté sur la nécessité d’associer à la vaccination d’autres outils, tout en soulignant le caractère liberticide du texte.
Avec le passe vaccinal, pour la première fois, des millions de Français ne pourront plus se déplacer librement ni accéder à la majorité des lieux de la vie quotidienne tant qu’ils ne seront pas vaccinés.
La France insoumise, les communistes, Libertés et Territoires, UDI centre droit et des socialistes ont déposé des recours auprès du Conseil constitutionnel.
La promulgation de la loi « renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire » interviendra une fois le jugement rendu. Le texte devrait, selon le gouvernement, « être applicable dès la fin de la semaine ».