Le film Little Palestine, journal d’un siège d’Abdallah Al-Khatib a reçu le prix du meilleur documentaire lors du festival Cinemed de Montpellier, le 23 octobre 2021. Une récompense amplement méritée pour ce film qui narre avec dignité la vie des Palestiniens de Yarmouk (Damas) assiégés par le régime syrien entre 2013 et 2015.


 

 

Par Carole Rap

Applaudir ou ne pas applaudir ? La question me traverse à la fin de la projection de Little Palestine, journal d’un siège au festival Cinemed de Montpellier. Le documentaire est poignant, les images sont saisissantes, le réalisateur est dans la salle. La logique serait d’applaudir. Mais je reste sidérée sur mon siège. Si je tape dans mes mains, est-ce pour commémorer la mémoire de ces êtres humains morts de faim pendant le siège de Yarmouk, quartier de Damas bloqué par le régime syrien entre 2013 et 2015 ? Ou pour féliciter Abdallah Al-Khatib d’avoir su capter des images aussi puissantes : la solidarité face au néant, des notes de piano au milieu des gravats, la voix douce d’une enfant sous les bombes ?

Le jeune homme s’avance devant l’écran. D’une voix douce, il répond aux questions des spectateurs. Une interprète traduit du français vers l’arabe, puis de l’arabe vers le français. « J’ai filmé le camp parce que je me sentais une responsabilité de filmer les événements de Yarmouk ; parce que nous, en tant que Palestiniens, nous avons une longue histoire dans les massacres. Et il n’y avait pas toujours une caméra pour filmer ces massacres. »

Entre 1957 et 2018, Yarmouk a abrité le plus grand camp de réfugiés palestiniens au monde. Quand la révolution syrienne éclate, le régime de Bachar Al-Assad considère Yarmouk comme un refuge de rebelles. À partir de 2013, il encercle le quartier et choisit d’affamer celles et ceux qui y vivent encore, plusieurs dizaines de milliers de personnes. Plus de nourriture, plus de médicaments, plus d’électricité. Les habitant.e.s se mettent à manger de l’herbe. Abdallah Al-Khatib filme. Sur le trottoir, un vieil homme raconte comment il cuit les brins d’herbe dans son réchaud, avec de l’eau et quelques épices qu’il exhibe d’un maigre sachet. Des jeunes coupent de l’herbe dans un terrain vague. Ils sont grondés par le propriétaire. « Si Abdallah n’était pas là pour filmer, je vous chasserais ! » « Abdallah, Abdallah, filme-nous », l’implorent les gamins mi-apeurés mi-amusés. Car des sourires d’enfants émergent aussi du chaos. « Je suis l’enfant de ce camp, je connais ces gens, je connais leur histoire, je connais leur nom. Ils étaient à l’aise devant moi, ils se comportaient de façon naturelle. Je voulais donner la meilleure image de ces gens-là et rester respectueux envers eux », explique le réalisateur devant le public du Cinemed. Une voix off accompagne le film, empreinte d’une belle et grave poésie. Abdallah Al-Khatib a aussi mis son expérience du blocus de Yarmouk par écrit. Il l’a intitulé Les Quarante règles du siège. « Je suis venu voir le film d’un cinéaste et j’ai découvert en même temps un poète », le remercie un spectateur avec émotion.

 

Abdallah Al Khatib. Photo DR Isabelle Negre

Abdallah Al-Khatib a tourné avec une caméra confiée par un ami. Il n’avait pas l’idée d’en faire un film. Il n’était encore jamais allé au cinéma. Et pourtant, ses cadrages sont remarquables. Il se dégage des personnages dignité et sensibilité. Pas d’images choquantes, le jeune réalisateur s’y est refusé. Il a quitté Yarmouk en 2015, expulsé par Daech. « J’avais envie de documenter l’expérience humaine de manière poétique, dans toutes ses contradictions, plutôt que de documenter des crimes de guerre et de monter des dossiers pour violation des droits de l’homme. Après mon arrivée en Allemagne, j’ai étudié et beaucoup lu sur le cinéma, pour assimiler les connaissances, les « outils », nécessaires au travail sur le matériau du film. Un an après mon arrivée, j’étais en mesure de l’envisager comme un cinéaste, de composer des scènes et donner au film sa structure narrative », a-t-il raconté dans un entretien avec l’écrivaine et programmatrice de cinéma Rasha Salti. Samedi 23 octobre 2021, Little Palestine a été distingué parmi les neuf documentaires en compétition au festival du Cinemed. Le jury lui a décerné le prix Ulysse Decipro – Montpellier Méditerranée Métropole, doté de 2 000 €. La salle a applaudi longuement.

 

 

Little Palestine, journal d’un siège, un film d’Abdallah Al-Khatib. Genre : documentaire. En salle : le 12 janvier 2022 https://www.dulacdistribution.com/film/little-palestine/173

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Ancienne correspondante du quotidien Libération en Languedoc-Roussillon, Carole Rap a aussi collaboré à la Tribune, le Nouvel Obs, Marianne. Elle est l'auteur du récit de vie "Un amour hors la loi". Spécialisée dans la transition énergétique, elle s'intéresse aux problématiques sociales et écologiques.