Ceux qui ne votent pas ou ne votent plus ont-ils abandonné l’idée de démocratie ? Ou est-ce que la démocratie participative les a abandonnés ? Nous avons voulu comprendre pourquoi des citoyens de plus en plus nombreux ne votaient plus, y compris pour faire barrage républicain à l’extrême droite.
Abstention : Action de s’abstenir de faire quelque chose. Synonyme : inaction ; Contraires : action – intervention, participation. / Fait de ne pas participer à un vote dans le cadre d’une assemblée délibérante, d’un processus électoral ou d’un référendum.
La définition que donne le Larousse du terme « abstention » pourrait laisser entendre que ceux qui défendent le processus électoral, en déniant le droit à ceux qui ne votent pas ou plus de participer à la vie publique, appliquent à ce processus les mêmes grilles d’analyse que pour toutes formes d’activités humaines.
15 % d’abstention chronique
Mais depuis l’instauration de la Ve République, plus précisément depuis le référendum approuvant la constitution de 1958, l’abstention a toujours intéressé 15 % minimum du corps électoral. Si on ne peut se pencher finement sur les raisons pour lesquelles un tel volant de citoyens ne se sent pas concerné par l’élection, on ne peut non plus affirmer qu’il s’agit d’un refus de participer à la vie démocratique du pays.
Au demeurant, si le référendum de 1958 n’a été ignoré que par 15 % des électeurs, les choses s’enveniment pour l’autodétermination puis l’indépendance de l’Algérie en 1961 (24 %), pour monter jusqu’à 63 % concernant le statut de la Nouvelle-Calédonie en 1988 et culminer à 69,8 % pour le passage au quinquennat du mandat présidentiel en 1995. Qu’il s’agisse du traité de Maastricht (1992) ou du traité constitutionnel européen (2005), les deux derniers référendums ont, quant à eux, mobilisé 70 % du corps électoral. Il semblerait ici que la question détermine la mobilisation.
La proximité ne mobilise pas
Les élections locales où la proximité pourrait faire penser à un plus grand intérêt pour la désignation de ses représentants. En réalité, depuis le début de la Ve République, les élections municipales voient au plus faible 25 % des électeurs refuser de se déplacer. Le maire et les membres du conseil municipal sont pourtant les élus les plus proches des habitants. Depuis le dernier scrutin municipal et les 58 % d’abstention au deuxième tour, on pourrait prêter ce désaveu au fait que les deux tours ont précédé et suivi le premier confinement. Mais depuis 1989, le taux d’abstention aux municipales atteint régulièrement les 30 à 38 %, une hausse constante.
Moins surprenant, l’élection des conseillers généraux, devenus départementaux à partir de 2015, a toujours été ignorée par au moins 32 % des électeurs, et ce dès la première en 1958 ; pour aboutir aux 66 % de non-votants au dernier scrutin. Cette élection, en juin, étant jumelée avec le scrutin régional, ce dernier a aussi pâti de la désaffection des électeurs, sans doute aggravée par la peur de la Covid-19. L’élection régionale est pourtant la plus récente, puisqu’elle date de 1986. Le premier scrutin régional était d’ailleurs couplé avec les législatives, les deux élections étant alors à la proportionnelle et à un seul tour. Lors de ce premier scrutin régional, 21 % des électeurs s’étaient refusé à choisir.
Le scrutin régional a aussi été, avec le scrutin européen, celui qui a le moins mobilisé. Depuis 1979, les élections européennes ne rassemblent au mieux que 60 % des électeurs. L’abstention s’élève à près de 40 % dès la première élection pour finir, lors de la dernière, en 2019, aux environs de 50 %, après un pic aux alentours de 60 % aux élections de 2009.
Enfin, la participation à l’élection présidentielle est de loin celle qui compte le moins d’abstention, le maximum ayant été enregistré en 2017 avec 25 % au premier tour, alors que ce scrutin pointe chaque fois entre 15 et 20 % des électeurs refusant de se rendre aux urnes. Le phénomène du barrage au parti d’extrême droite y est pour beaucoup depuis 2002, mais n’empêche pas une érosion constante de l’électorat.
Un choix de plus en plus partagé
On le voit, l’abstention est loin d’être un phénomène marginal et il semble que beaucoup se prononcent ou non selon l’élection. Toutefois, on constate toujours au moins un cinquième des inscrits préférant s’abstenir. Sont-ils pour autant exclus de la vie démocratique ? Entre ceux qui se reconnaissent en tant qu’anarchistes et proposent des alternatives au vote — comme des positions permanentes sur les questions politiques —, ceux déçus par des choix qui semblent ne plus en être mais maintiennent quotidiennement un engagement dans la société, et les autres, il s’agit désormais pour la société d’essayer de comprendre le phénomène plutôt que de désavouer ceux, de plus en plus nombreux, qui ne veulent pas choisir de représentants. Au risque, sinon, de laisser se constituer des majorités extrêmement minoritaires.
Christophe Coffinier