Renaud Muselier (LR, Provence-Alpes-Côte d’Azur) et Carole Delga (PS, Occitanie) sont reconduits à la présidence de leur région respective dans des configurations différentes. Le premier a bénéficié du retrait de la liste du Rassemblement écologique et social. Mais des Régionales aux Départementales, l’abstention massive restera comme l’autre élément marquant de ces élections 2021, dans nos deux régions comme partout dans le pays1.
« Un soulagement » : c’est ainsi que Laurent Félizia (EELV), tête de liste du Rassemblement écologique et social qui s’est retiré à l’issue du premier tour a commenté les résultats des élections régionales en Provence-Alpes-Côte d’Azur dimanche soir sur le plateau de France 3. Son sentiment est partagé par les électrices-électeurs dont la voix s’était portée sur la liste de la coalition EELV-PS-PCF-Génération-s-Gauche républicaine et sociale, mais aussi par d’autres qui n’avait nulle envie de voir l’extrême droite triompher dans leur (belle) région, la seule à avoir porté le RN en tête au premier tour.
Malgré une complaisance médiatique qui ne se dément pas de scrutin en scrutin, le RN échoue donc une nouvelle fois et Thierry Mariani, transfuge des LR (comme son homologue d’Occitanie, Jean-Paul Garraud) qui a recueilli 42,7 % des suffrages contre 57,3 à Renaud Muselier, est en recul par rapport au score de Marion Maréchal-Le Pen (45 %) en 2015. Contrairement aux pronostics établis par des commentateurs « avisés » et aux spéculations reposant sur des sondages envahissants, l’extrême droite n’a « pris » aucune région, ni au Sud, ni au Nord, ni dans le Grand Est. C’est là un des enseignements majeurs de ces élections régionales 2021, au même titre que la très prévisible déroute de LREM.
Aux élections départementales le RN n’atteint pas non plus ses objectifs. Dans les Bouches-du-Rhône il ne remporte qu’un seul canton, à Marseille (dans le quartier de Stéphane Ravier, ancien maire RN de secteur), et perd celui de Berre l’étang. Dans le Vaucluse il conserve les trois cantons acquis en 2015 (Le Pontet, Carpentras et Monteux), mais n’en gagne pas de nouveau. Son ancrage territorial et sa banalisation se confirment néanmoins, comme en témoignent les nombreux duels auxquels il a pris part au second tour dans les Bouches-du-Rhône, le Vaucluse, le Var, le Gard, l’Hérault, les Pyrénées Orientales…
Abstention massive : on tourne la page ou on réfléchit ?
Ceci n’occulte pas pour autant le phénomène que certains nomment « le véritable vainqueur de ces élections » : l’abstention. En fait, une lourde défaite pour la démocratie. Aujourd’hui on ne mesure plus le taux de participation mais le pourcentage d’abstentionnistes. Comme prévu, il n’y a pas eu de véritable sursaut de la participation au niveau national lors du deuxième tour, juste une petite progression en PACA, certainement due à la perception de l’importance de l’enjeu.
Parmi les témoignages recueillis dimanche 28 juin par France 3, de jeunes électeurs avouaient attendre l’élection présidentielle de 2022. Faut-il s’étonner du fait que ce scrutin écrase tous les autres, dès lors qu’il est médiatiquement construit comme cela ? Les pyromanes regretteraient-ils la propagation du feu ? Bon nombre d’électrices-électeurs ont aujourd’hui le sentiment que tout se joue là, que la présidentielle est le seul canal pour dire quelque chose de la société que l’on souhaite. Les législatives elles-mêmes apparaissent comme une chambre d’enregistrement de la présidentielle depuis l’inversion du calendrier électoral par Lionel Jospin.
Aussitôt réélu dans les Hauts-de-France, Xavier Bertrand délivrait devant les caméras un discours aux allures de programme présidentiel. Les réélections de Valérie Pécresse en île de France — qui n’a pas hésité devant les outrances et les amalgames les plus grossiers entre les deux tours — et de Laurent Wauquiez en Auvergne-Rhône-Alpes serviront aussi à affirmer leurs ambitions dans le cadre de la compétition interne à la droite pour décider qui portera ses couleurs en 2022. Cela va occuper les commentateurs bien en cour pendant quelque temps, mais on a le droit de penser que la vérité est ailleurs. On pourrait, par exemple, choisir de parler de l’avenir des TER et plus largement du ferroviaire et de la politique des transports, d’aménagement du territoire, de l’Économie sociale et solidaire, du rôle des régions en matière de construction des lycées (comment les projets sont décidés, avec qui ?), d’environnement, de tourisme (croisières de luxe ou tourisme populaire)…
Une fois passés les remerciements aux électeurs, voire les exercices d’autosatisfaction chez certains, il faudrait aussi tenter d’explorer en profondeur les raisons d’une désaffection des urnes qui n’est pas seulement conjoncturelle. En l’occurrence, la culpabilisation et les leçons de morale adressées aux électeurs absents ne sont d’aucun secours. L’abstentionnisme est d’autant plus difficile à saisir qu’il a de multiples visages, qu’il touche désormais tous les électorats (y compris celui du RN). Ce problème n’aura de chance d’être résolu qu’en passant par la pratique démocratique, la vraie co-construction (et non pas sa simple invocation) susceptible de convaincre les citoyens qu’ils comptent réellement, et pas seulement les soirs d’élection. Que la « politique », ce mot si souvent sali, n’est pas uniquement l’affaire de ceux qui en font leur métier, mais de tous et toutes. En somme, s’approprier l’art par la pratique et non pas par la seule admiration des « grands maîtres ».
Ce n’est pas faire injure aux président.e.s de régions que de dire qu’ils ont été mal élu.e.s. Par un peu plus d’un tiers du corps électoral seulement. On enregistre 63 % d’abstentions en Provence-Alpes-Côte d’Azur au second tour et 62 % en Occitanie. Il ne suffit pas d’en prendre acte ou de feindre de le déplorer en passant aussitôt à autre chose, comme le casting à droite et à gauche en vue de 2022.
De nombreux commentateurs ont souligné l’effet « prime au sortant » qui avait déjà joué lors des Municipales 2020. Même en ayant refusé les offres de service d’ EELV et de la France insoumise, Carole Delga (PS) en Occitanie a pu en profiter (57,7 % des voix dans une triangulaire l’opposant au RN et aux LR), ainsi que Renaud Muselier (LR) dans une moindre mesure et dans une autre configuration (un duel face a l’extrême droite) où il a bénéficié du « sacrifice » d’une partie des électeurs de gauche2. L’ampleur du succès de Carole Delga a été tel que France 2 l’a aussitôt « bombardée » éventuel recours du PS à la présidentielle ! Le mélange des élections est décidément une manie. Il n’est pas certain que cela aide à la perception des enjeux des différents scrutins et à la compréhension des rôles des différentes collectivités.
J-F Arnichand