Les questions de l’art ont-elles été évincées des théâtres asservis à leur impératifs de fonctionnement ? Né du confinement, le Collectif de juin libère la parole d’une foule d’artistes en région qui veulent retrouver leur place au cœur des projets et des établissements culturels.
La funeste année 2020 s’est conclue sur une performance insolite à Montpellier, place de la Comédie. Pendant toute une semaine, des artistes se sont installés face à l’Opéra, s’y sont déshabillés et retrouvés en sous-vêtements devant des passants interloqués. Manière de pointer « les dessous du spectacle en région ». Il ne s’agissait pas d’alerter sur la seule détresse du secteur artistique empêché de fonctionner puisque « non essentiel ». Pour ces membres du Collectif de juin, il fallait s’alarmer « d’un état des lieux déjà catastrophique » que « la crise sanitaire n’a fait qu’exacerber ».
Il y a bien entendu l’état de très grande fragilité structurelle des compagnies artistiques indépendantes. Mais plus fondamentalement, le désarroi et la colère touchent au sens même de ces métiers : « aujourd’hui, dans nos pratiques, tout a été confisqué, jusqu’à la liberté de construire un projet uniquement du point de vue artistique. Le temps, et de la recherche et de la visibilité de nos spectacles, nous a été retiré » lit-on dans le manifeste de ce Collectif de juin, signé par cinq cents professionnels du spectacle vivant en région.
Un autre texte collectif était paru précédemment agitant les grands principes d’une politique culturelle à préserver et relancer. L’avaient signé nombre de directeurs de scènes nationales d’Occitanie, d’établissements labellisés, de festivals. De quoi provoquer par ricochet la formation du Collectif de juin : « il était impossible de se sentir représenté par ces lieux institutionnels qui ne montrent que 3 % de la production des compagnies en France. Nous sommes les créateurs des 97 % qui restent à la porte », expliquent des membres fondateurs de ce collectif.
Un glissement s’est opéré au fil des logiques de production et de diffusion, qui fait que « les artistes ne sont plus chez eux dans ces maisons qui vivent du travail qu’ils produisent. On ne se rencontre plus, obtenir un rendez-vous est devenu rare, pour seulement se justifier selon un cadre d’objectifs, en parlant de dates, de budgets, d’actions éducatives et de médiations. Mais pas d’art », nous expliquent des membres de ce collectif.
Il est devenu courant que les « résidences » soient à peine rémunérées, les sommes accordées à la production ridiculement chiches, pour déboucher sur quelques rares dates de représentations. « Le temps de la recherche artistique est réduit, l’hypothèse du tâtonnement exclue, et les compagnies s’épuisent à dresser des dossiers en réponse à des appels à projets pour des réalisations thématiques qui ne proviennent plus de nos idées artistiques. Nous passons notre temps à nous adapter, en position de prestataires de service », déplorent ces interlocuteurs. Les mots de « mépris » ou d’« humiliation » apparaissent même.
Or ces artistes parviennent à créer leurs pièces, savent se débrouiller de peu. Ils rêvent de temps long et de circuits courts, pour produire leur geste en lien profond avec leur environnement. Outre les protestations, le Collectif de juin envisage la tenue, au printemps, d’une université libre de leur art, où enfin « les artistes eux-mêmes prendront l’initiative coopérative d’inventer et partager un événement artistique pour montrer ce qu’on ne laisse pas voir, faire des essais, se rencontrer, en lieu ouvert ». Certains parlent d’« un contre-pouvoir des artistes », en lieu et place des « réseaux qui reconduisent la dépendance ».
Gérard Mayen
