L’Union européenne participeraient-elle à l’élaboration des grandes lignes d’une politique de sécurité intérieure qui assureraient la fonction de contrôle des citoyens en piétinant le droit de la presse garant de la démocratie ? La question mérite d’être posée au regard du règlement d’encadrement des manifestations que tente d’imposer Michális Chryssohoïdis, ministre grec de la Police. Empêcher la presse et les citoyens de documenter les actes de la police pendant les manifestations c’est exactement ce que défend son homologue Gérard Darmanin.
Un nouveau règlement pour encadrer les manifestations fait couler beaucoup d’encre en Grèce. Un projet critiqué par les associations de journalistes qui estiment que les médias seront maintenus à l’écart des manifestations assignées par la police à des zones spéciales et contraintes de passer par un agent de liaison. Le gouvernement a tenu à préciser le 21 janvier qu’il ne s’agissait que d’un dispositif optionnel.
Ce projet de loi n’est pas sans rappeler la situation en France et les déclarations du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin « Les journalistes doivent se rapprocher des autorités » en amont des manifestations qu’ils veulent couvrir afin de pouvoir en « rendre compte » et « faire [leur] travail », avait-il affirmé en novembre dernier en s’appuyant sur le nouveau schéma du maintien de l’ordre (SNMO) publié en septembre. S’agissant des manifestations, ce SNMO prévoit en effet « un canal d’échange dédié » entre les forces de l’ordre et « les journalistes titulaires d’une carte de presse, accrédités auprès des autorités », sans le présenter comme obligatoire.
Avant de s’élargir au large mouvement d’opposition citoyen contre le projet de Loi sécurité globale qui a rassemblé 500 000 personnes le 28 novembre dernier, cette disposition avait soulevé une fronde dans le monde de la presse.
Face à une mobilisation qui ne faiblit pas, le gouvernement français tente de passer en force mais il est contraint de jouer la montre. La loi arrive au Sénat le 13 mars 2021. En France l’ensemble des syndicats de journalistes reste mobilisé sur cette question estimant qu’elle revient à donner un « feu vert » aux forces de l’ordre pour empêcher les journalistes de faire leur métier.
En Grèce la presse crie au scandale d’une seule voix. Le ministre grec de la Police, Michális Chryssohoïdis, veut masquer les agissements de la police, estime le journal de gauche Avgi : « Lorsque l’intégrité physique des journalistes est menacée lors de mouvements de protestation, c’est systématiquement le fait de la police. Et jamais aucun policier n’a été sanctionné. Cessons donc ce jeu de dupes. Ce que recherche Michális Chryssohoïdis, le ministre de la Police, c’est de soustraire les actes irresponsables des forces de l’ordre à toute documentation potentielle… En d’autres termes, cette décision bafoue la liberté de la presse et le droit constitutionnel des citoyens à l’information. Elle a pour objectif de protéger et de masquer l’arbitraire policier. Ce projet de loi ne passera pas. »
Le quotidien conservateur Naftemporiki fulmine : « À l’origine de cette offensive inédite, il y a l’idée selon laquelle le rôle de la presse doit se limiter à informer des actions et de l’attitude des citoyens, et non de celles des autorités. De surcroît, elle devrait le faire non pas avec son propre regard, mais en concertation et en intelligence mutuelle avec la police, comme le précise le texte du projet. Peut-il y avoir de réforme plus antilibérale que celle qui impose à l’ensemble des journalistes d’adopter le même angle de vision et ne leur autorise qu’une seule et unique source, celle de la police ? Peut-on concevoir d’initiative plus funeste pour la démocratie que celle qui consiste à dire aux représentants des autorités que les ordres qu’ils délivrent et les actions qu’ils ordonnent resteront à l’abri des regards et de l’opinion publique ? »
Face à une telle entreprise et à la question de légitimité qu’elle pose en permettant de maintenir dans l’opacité les violences policières et de réduire la liberté de la presse, on n’ose imaginer que ce type de décision puisse correspondre à une directive de l’UE. Le Conseil de l’Europe à d’ailleurs exhorté, le 17 décembre 2020 , le Sénat français à amender le texte sur la « Sécurité globale », estimant que son article 24 portait en l’état « atteinte à la liberté d’expression ».
Quelle peut être alors la motivation qui niche à la source d’une telle volonté de contrôle gouvernemental sur les citoyens, très perceptible également dans la gestion pathétique de la crise sanitaire ? Le refus de se mettre à l’écoute de la population, de changer sa feuille de route, d’infléchir son jugement se traduit par une forte volonté de contraindre qui s’exprime sur fond d’impuissance politique. Couper les caméras, couper les liens affectifs, sociaux, politiques, apparaît comme le meilleur moyen d’assurer la sécurité des populations, sans leur demander leur avis, évidemment.
Jean-Marie Dinh
avec euro/topic