Le Conseil d’État valide l’élargissement des fichiers de renseignement. Les forces de l’ordre vont pouvoir ficher nos habitudes de vie, nos convictions politiques, religieuses & syndicales. Identifiants, photos & commentaires postés sur les réseaux sociaux y seront aussi listés. L’ampleur du contrôle ne fixe aucune limite à l’usage des moyens hors normes que déploie le pouvoir.


 

Suite à la décision du Conseil d’État, aujourd’hui, au sujet des décrets permettant d’élargir le champ des données personnelles pouvant figurer dans les fichiers de police et de gendarmerie. Tous les citoyens sont en droit de s’inquiéter du périmètre très large accordé au recueil des données. Après les fichiers censés concerner les terroristes potentiels, il est maintenant question de surveiller nos habitudes de vie ainsi que les personnes morales et les associations.

Les données collectées concernent les activités politiques, religieuses, syndicales, mais également les opinions politiques, les convictions philosophiques, religieuses, ainsi que les comportements et habitudes de vie, les pratiques sportives… Autant de notions intrusives, qui nous éloigne du cadre démocratique dont notre gouvernement se réclame.

Le renseignement territorial pourra également enregistrer des données relatives aux troubles psychologiques ou psychiatriques qui peuvent être considérées comme des atteintes au secret médical.

La multiplication des mesures d’exceptions a débuté bien avant l’arrivée du covid-19. Sans en faire l’inventaire, on peut citer : le maillage policier sur tout le territoire, le passage d’un balisage strict à l’interdiction des manifestations de rue, le contrôle croissant des réseaux sociaux — que ces décrets amplifient — , les violences policières commises et les mises en garde à vue des journalistes, le décuplement des moyens de persuasion, dissuasion et propagande pour agir sur l’opinion selon les règles de la guerre psychologique.

En ces temps perturbés, il importe plus que jamais de garder à l’esprit le recul incessant de nos libertés individuelles. L’ampleur du contrôle ne fixe aucune limite à l’usage des moyens hors normes que déploie le pouvoir. Le fait est que le gouvernement tente d’exercer actuellement une mainmise totale sur l’ordre social et politique.

Jean-Marie Dinh

 

Adam Broomberg & Oliver Chanarin, Spirit is a Bone, 2013.
Photo recadrage : Jens Møller/Kunsthal Aarhus.

 


Nous publions ci-dessous le communiqué unitaire des organisations CGT, FO, FSU, Solidaires, Syndicat des avocats de France, Syndicat de la Magistrature, Groupe d’information et de soutien des immigrés et Unef.


 

Communiqué

 

Les fichiers de police — trop peu — recadrés par le Conseil d’État

Saisi d’un recours en référé par les organisations syndicales CGT, FO, FSU, SAF, SM, Solidaires, l’Unef, ainsi que par l’association GISTI contre les décrets qui élargissent considérablement le champ de trois fichiers de police et de gendarmerie, le Conseil d’État vient malheureusement de rendre une décision de rejet.

Bien maigre consolation, la décision du Conseil d’État vient simplement préciser que la mention des opinions politiques, des convictions philosophiques, religieuses ou une appartenance syndicale ainsi que des « données de santé révélant une dangerosité particulière » ne sauraient constituer en tant que telles des catégories de données pouvant faire l’objet d’un fichage mais que, dans l’hypothèse où des activités seraient susceptibles de porter atteinte à la sécurité publique ou à la sûreté de l’État, il sera possible de ficher ces activités, même si elles font apparaître les opinions politiques, les convictions philosophiques, religieuses, l’appartenance syndicale ou des données de santé de la personne.

La nuance est importante et interdit donc « un enregistrement de personnes dans le traitement fondé sur la simple appartenance syndicale ». Il est heureux que le Conseil d’État l’ait précisé et nous veillerons à ce que la CNIL soit particulièrement attentive à faire respecter ce point.

Toutefois, l’atteinte portée aux droits et libertés reste conséquente car ces informations pourront toujours assez facilement apparaître dans les fichiers concernés et ce d’autant plus que parmi ces fameuses « activités susceptibles de porter atteinte à la sécurité publique ou à la sûreté de l’État», peuvent désormais figurer les « habitudes de vie », notion particulièrement floue, ou encore l’activité d’une personne sur les réseaux sociaux.

En outre, ces fichiers peuvent avoir des conséquences directes sur la situation professionnelle d’un bon nombre de salarié.es. Ils sont directement consultés pour toutes les enquêtes administratives préalables aux recrutements, affectations, mutations, décisions d’agrément ou d’habilitation pour certains emplois (emplois publics ou privés relevant du domaine de la sécurité ou de la défense, l’accès à des zones protégées comme les sites nucléaires, les sites militaires, aéroports, emplois au sein d’une entreprise de
transport public de personnes…). Ils sont aussi consultés par les préfectures à l’occasion des demandes de titres de séjour ou de naturalisation par les étrangers.

Il est donc évident que le combat ne peut s’arrêter là : nos organisations reviendront donc devant le Conseil d’État pour obtenir l’annulation des dispositions les plus inquiétantes des décrets contestés.

Montreuil le 5 janvier 2021.

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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.