La contestation grandit envers une loi de plus en plus décriée. Ce vendredi, Roselyne Bachelot reçoit des syndicats de journalistes. Après le succès des mobilisations dans toute la France, quelles suites donner au mouvement ? Emmanuel Vire, secrétaire général du SNJ-CGT et membre de la coordination nationale StopLoiSécuritéGlobale apporte des éléments de réponse.
Les journalistes ont été en première ligne pour dénoncer une loi qu’ils jugent contre tous les principes d’information et le droit d’être informé. Une coordination nationale a été rapidement constituée autour d’un noyau dur composé des Fédérations internationale et européenne des Journalistes (FIJ et FEJ), de syndicats de journalistes, SNJ, SNJ-CGT, CFDT-Journalistes et SGJ-FO, ainsi que des associations de défense des droits humains, la LDH et Amnesty International. Car la lutte contre cette loi n’est pas un simple problème corporatiste. Cette loi est également attentatoire aux libertés de l’ensemble des citoyens. La coordination regroupe actuellement 70 membres, parmi lesquelles 30 sociétés de journalistes (dont celle du Figaro, mais aussi de pigistes, de presse et médias radios et télévisions), des associations telles qu’Attac, la Quadrature du net, des syndicats (Solidaires, CGT), le syndicat des avocats de France (SAF), des Gilets jaunes — notamment le collectif des Mutilés pour l’exemple — et des associations de familles victimes de violences policières comme Vies volées.
Le SNJ-CGT a été un des premiers syndicats à lancer la contestation. Emmanuel Vire décrit les principes de la coordination : « On n’avait jamais vu un tel mouvement, qui se définit d’ailleurs par un mot d’ordre : « pas de verticalité ». Il fonctionne plutôt avec une grande souplesse. Son agilité est la condition de sa réussite. Il faut comprendre qu’on est très divers, et que les coordinations dans les régions se développent par elles-mêmes. Elles décident de leurs actions en toute liberté, à partir de leur terrain. L’important c’est le mandat qui a été donné à cette coordination : retrait des articles 21 [caméras individuelles portées par les forces de l’ordre], 22 [caméras aéroportées ou drones] et 24 [diffusion des images] de la loi de Sécurité globale, et réécriture complète du Schéma national du maintien de l’ordre, le SNMO. »
« On a réussi cette première étape. On demande maintenant à être reçus par les sénateurs »
Le succès de la manifestation du 28 novembre (500 000 personnes au moins dans tout le pays ont été recensées) est une satisfaction pour les organisateurs, mais il faut poursuivre la mobilisation selon Emmanuel Vire : « On a réussi cette première étape et à faire paniquer le gouvernement. Mais ses nouvelles gesticulations sont de l’enfumage. Christophe Castaner annonce que les députés vont réécrire l’article 24. Or, ça n’est pas possible parce que la loi a été votée en première lecture, et par conséquent l’Assemblée nationale n’a plus la main dessus. C’est une fausse info. D’ailleurs, la proposition de loi doit être examinée par le Sénat en janvier. La coordination nationale demande maintenant à être reçue par les sénateurs. »
Selon le secrétaire national du SNJ-CGT, cette étape politique est dangereuse pour les porteurs de la loi : « La procédure est la suivante : soit le Sénat, qui est dominé par le groupe LR [LaRem est très minoritaire, Ndlr], adopte la loi ; on peut se retrouver alors dans une situation où le gouvernement promulgue la loi, mais ne l’applique pas, comme cela a été le cas avec le CPE. Soit, et c’est très probable, le texte est modifié, et on déclenche une commission mixte paritaire. Mais si elle n’arrive pas à se mettre d’accord, c’est le texte adopté par l’Assemblée nationale qui est validé. Quoi qu’il arrive, le gouvernement aura perdu de sa crédibilité et de son emprise. »
La contestation se cristallise également autour du Schéma national du maintien de l’ordre entré en vigueur en septembre. Présenté comme un dispositif censé mieux protéger les manifestations contre les casseurs et empêcher la violence et la dégradation des biens, il est perçu au contraire comme plus contraignant, notamment pour les journalistes. Ils doivent s’accréditer auprès des préfectures pour couvrir les évènements sur la voie publique, avoir une carte de presse — ce qui n’est pas obligatoire dans la profession — et surtout, obéir à un ordre de dispersion. « Ces dispositions sont hallucinantes », poursuit Emmanuel Vire, « on est là pour couvrir un évènement et informer ».
Roselyne Bachelot reçoit les syndicats de journalistes vendredi 4 décembre
C’est bien tout l’enjeu de la coordination, qui poursuit la pression sur le gouvernement, considérant que le mandat n’est pas atteint. Car les articles 21 et 22 visent à « l’instauration d’outils de surveillance de masse » et rendent « illusoire la protection des sources des journalistes et des lanceurs d’alerte », tandis que l’article 24 pourrait « sortir de la proposition de loi Sécurité globale… pour mieux inclure ses dispositions dans l’article 25 de la loi sur le séparatisme », souligne le communiqué de la coordination du 2 décembre. « La coordination nationale en appelle à présent directement au président de la République afin qu’il les retire », poursuit Emmanuel Vire, « l‘ONU condamne, l’UE s’alarme. S’il est aussi attaché à l’image de la France et aux libertés, il faut qu’il retire cette loi. »
En attendant, les syndicats de journalistes seront reçus vendredi par Roselyne Bachelot, qui veut reprendre la main sur ses prérogatives. La ministre de la Culture, qui est aussi celle de la communication dont dépendent les journalistes, serait en effet contrariée de ne pas avoir été concertée sur ce projet de loi. « Qu’on ne consulte pas les syndicats de journalistes, passe encore. Mais qu’on oublie d’en parler avec une ministre concernée, c’est maladroit. Et Roselyne Bachelot l’a apparemment fait savoir auprès du président. Nous irons donc à 10h pour rencontrer la ministre, et nous tiendrons une conférence de presse à 11h30. »
Si la coordination nationale est tombée d’accord sur le principe du retrait des trois articles qui font polémique, le SNJ-CGT demande l’abandon complet de la loi de « Sécurité globale », qu’il attaque devant le Conseil d’État avec la CGT dans son ensemble.
Nathalie Pioch