La ministre de l’Enseignement supérieur Frédérique Vidal considère que les présidents d’universités sont tenus au « devoir d’obéissance »
Présidents d’université, professeurs, maître de conférences, personnels administratifs, techniques et des bibliothèques… reçoivent l’ordre de se mettre à la position formelle, debout, les bras le long du corps et immobile. Rien pour les étudiants pour l’instant hormis qu’ils doivent rester chez eux, et ne quitter leur domicile qu’en cas de première nécessité dans la limite d’une heure quotidienne et dans un rayon maximal d’un kilomètre autour du domicile. Cela jusqu’à nouvel ordre…
Bon… ! Les juristes ça suffit maintenant ! #obeissanceetloyauté pic.twitter.com/GgwqEPLDvR
— IEJUC (@iejuc) November 12, 2020
Concernant la question des libertés académiques attaquées par le gouvernement qui s’en prend actuellement à toutes les libertés fondamentales, on rappellera que les présidents d’universités, en tant qu’enseignants-chercheurs, bénéficient d’un principe d’indépendance et ne sont pas placés sous l’autorité hiérarchique du ministre de l’Enseignement supérieur. Mais en tant que présidents, ils sont tenus d’appliquer les arrêtés ministériels.
Reste que le gouvernement s’efforce de soustraire la réalisation de la paix sociale à des exigences morales trop contraignantes, ce qui se traduit par une insistance marquée sur l’impératif d’obéissance et une marginalisation manifeste des principes républicains.
Dans sa décision du 20 janvier 1984 (décision n°83-165 DC), le Conseil constitutionnel a constitutionnalisé les libertés universitaires, considérant que la libre expression des personnels de la recherche et de l’enseignement devait être garantie. En janvier 2019, le sénateur communiste des Hauts-de-Seine, Pierre Ouzoulias, a interrogé la ministre de l’Enseignement supérieur sur les obligations d’« obéissance et de loyauté ». La réponse du ministère publiée dans le JO du Sénat1 confirme que la garantie de l’indépendance des enseignants et des chercheurs résulte d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Il faudra bien s’en souvenir…
Jean-Marie Dinh
Illustration Academic Freedom source U.S Département d’Etat / D Thompson
Voir aussi : La ministre Frédérique Vidal délégitimée par le Conseil national des universités – Un projet sans moyen et déconnecté – Dans un climat de défiance, l’Assemblée vote le projet de loi recherche sans moufter.
Notes:
- Question écrite n° 08689 de M. Pierre Ouzoulias (Hauts-de-Seine – CRCE) publiée dans le JO Sénat du 31/01/2019 – page 507
M. Pierre Ouzoulias interroge Mme la ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation sur ses propos, lors du débat organisé par le Sénat sur la politique d’attractivité de la France à l’égard des étudiants internationaux le 16 janvier 2019, par lesquels elle a affirmé que « l’ensemble des présidents d’université, des professeurs, des maîtres de conférences » devaient « déclin[er] les politiques publiques décidées par l’État » avec « obéissance et loyauté ».
Dans sa décision du 20 janvier 1984 (décision n°83-165 DC), le Conseil constitutionnel a constitutionnalisé les libertés universitaires, considérant que la libre expression des personnels de la recherche et de l’enseignement devait être garantie. Aussi souhaite-t-il savoir comment les obligations d’« obéissance et de loyauté », qu’elle a rappelées le 16 janvier 2019, s’imposent à eux et aux universités dans le respect de leurs libertés académiques qui ont valeur constitutionnelle, au titre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
Plus fondamentalement, alors que le Gouvernement vient d’engager une réforme de la Constitution, il souhaite savoir si le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche a lancé une réflexion pour apprécier l’opportunité d’introduire dans la Constitution de notre République un article qui transcrirait formellement les principes fondamentaux dégagés par le Conseil constitutionnel en faveur des libertés académiques.
Réponse du Ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation publiée dans le JO Sénat du 22/08/2019 – page 4317
Le principe d’indépendance des enseignants-chercheurs dans l’exercice de leurs fonctions d’enseignement et de leurs activités de recherche a été consacré comme principe fondamental reconnu par les lois de la République.
Dans sa décision n° 83-165 DC du 20 janvier 1984, le Conseil constitutionnel a ainsi déclaré que « les fonctions d’enseignement et de recherche non seulement permettent mais demandent, dans l’intérêt même du service, que la libre expression et l’indépendance des personnels soient garanties par les dispositions qui leur sont applicables » (cons. 19) et « qu’en ce qui concerne les professeurs, (…) la garantie de l’indépendance résulte en outre d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République » (cons. 20).
Ces principes ont été rappelés dans la décision 93-3225 DC du 28 juillet 1993 (cons. 7). L’indépendance et la liberté d’expression des enseignants-chercheurs sont reconnues au niveau législatif dans l’art. 58 de la loi n° 84-52 du 26 janvier 1984 sur l’enseignement supérieur, dite loi Savary, codifié en 2000 (art. L. 952-2 du code de l’éducation) : « Les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d’une pleine indépendance et d’une entière liberté d’expression dans l’exercice de leurs fonctions d’enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent code, les principes de tolérance et d’objectivité. »
Ces principes concernent l’exercice des missions propres d’enseignement et de recherche que remplissent les enseignants-chercheurs. Ils s’ajoutent aux droits et obligations qui s’attachent aux enseignants-chercheurs en tant que fonctionnaires de l’État et que décrit le statut général. Ils jouissent par exemple de la liberté d’opinion (art. 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires) et du droit syndical (art. 8).
Ils sont également responsables de l’exécution des tâches qui leur sont confiées et doivent se conformer aux instructions de leur supérieur hiérarchique (art. 28), sans préjudice de leur entière liberté académique, qui s’attache à leurs activités d’enseignement et de recherche.
Dans le cadre de leurs fonctions administratives, les enseignants-chercheurs peuvent être également amenés à exercer des compétences de gestionnaires publics responsables, en tant qu’ordonnateurs, de l’engagement des dépenses et de l’exécution des recettes dans le périmètre de leurs responsabilités.
Dans ce cadre, ils sont soumis au contrôle juridictionnel de la Cour de discipline budgétaire et financière (voir notamment art. L. 312-1 et L. 313-6 du code des juridictions financières).
Lors du débat organisé au Sénat le 16 janvier 2019, la ministre a fait référence à ces droits et devoirs des fonctionnaires, que connaissent parfaitement les enseignants-chercheurs, pour rappeler le cadre dans lequel les universités mettront en place les dispositifs qu’elles souhaiteront adopter en application du plan « Bienvenue en France ».