Au prix d’un torticolis idéologique, le nouveau discours montpelliérain sur la sécurité est néanmoins présenté comme du « contre-Ménard ». En vingt-quatre heures à peine, deux fronts militants se sont réveillés pour critiquer des agissements de Michaël Delafosse. Fin de l’été de grâce ?


 

Le 28 juin 2020, Michaël Delafosse était confortablement élu — quoique dans un contexte d’abstention record, et dans un schéma de triangulaire — dans le fauteuil de maire de Montpellier. Candidat du Parti socialiste, rejoint entre les deux tours par la fraction officielle des Verts montpelliérains (très divisés lors du premier tour), Michaël Delafosse est généralement perçu comme un héritier de la longue séquence « frêchienne » à la tête de la capitale languedocienne — mais encore jeune de sa personne, donc dans un lien historique désormais relâché.

Son programme est marqué par sa proposition très populaire de gratuité intégrale des transports. Également par des assurances de modération dans le recours au béton, fortement encouragées par ses alliés verts. De même, une promesse d’apaisement de la vie montpelliéraine, passant par une plus grande proximité au quotidien. Son prédécesseur Philippe Saurel, lui aussi « néo-frêchien » mais à l’écart du PS, était accusé de s’oublier en querelles de gouvernance et manœuvres conflictuelles. Autre volet promis de cet apaisement : une reprise en main « républicaine », sur le terrain de l’ordre et de la sécurité.

Or, il ne manque pas de Montpelliérains situés à gauche pour s’interroger sur la nomination au cabinet de Michaël Delafosse d’un Monsieur Sécurité, en la personne de François Villette. Cet ancien étudiant montpelliérain connu pour son fort engagement militant à droite, avait précédemment les mêmes attributions au côté du maire UDI de Saint-Ouen (93). La reconquête à droite, hyper symbolique, de cette ville de banlieue parisienne contre le PCF, s’est faite sur une ligne de gentrification immobilière et de passions devenues délétères sur les questions de trafic de stupéfiants.

Puisque les questions de sécurité ne seraient ni de droite ni de gauche, nous assure-t-on (rien à voir avec l’économique ? le social ? les relégations urbaines ? les fractures culturelles ?), les premières semaines du mandat de Michaël Delafosse se seront traduites par une invasion des réseaux sociaux, laissée à la totale licence du militant de droite sécuritaire au sein du cabinet, produisant de façon quasi quotidienne des posts vantant les moindres succès de la police municipale, généralement dans des quartiers pauvres et de migrants. C’est une atmosphère qu’on connaît dans d’autres villes du Midi, dont les propagateurs s’en trouvent ainsi légitimés. Au prix d’un torticolis idéologique, le nouveau discours montpelliérain est néanmoins présenté comme du « contre-Ménard ».

 

Montpellier aux avant-postes du projet de loi contre le séparatisme

 

Dans ce contexte, une conférence de presse survenue mardi 22 septembre a marqué un moment d’opposition nettement politique. La Libre pensée et la Ligue des Droits de l’Homme, deux organisations tutélaires du combat en faveur de la laïcité, y ont directement dénoncé une nouvelle initiative de Michaël Delafosse. Celui-ci venait d’annoncer que dorénavant les associations montpelliéraines demandant des subventions à la municipalité devraient souscrire à une « charte de la laïcité ». Ainsi la Ville de Montpellier se placerait aux avant-postes de cette disposition, qui figure aussi dans le projet de loi contre le séparatisme sur des bases religieuses, dont Emmanuel Macron s’apprête à exposer le contenu, en toute fébrilité « néo-sarkozyste ».

Les deux associations militantes — clairement ancrées sur le versant gauche du paysage hexagonal — ont présenté un appel alors signé par quatre-vingt-dix militants associatifs, syndicaux et politiques montpelliérains. Parmi lesquels une bonne douzaine se revendiquent de leur appartenance au PCF ; un parti officiellement allié à Michaël Delafosse pour gouverner la ville… Cet appel souligne que la laïcité constitue, fondamentalement et avant toute chose, un cadre de fonctionnement pour la vie civique. Ses dispositions s’imposent à la puissance publique. C’est extrêmement simple, en substance  :  la puissance publique, l’État, les institutions républicaines, doivent observer une parfaite neutralité sur le plan des convictions religieuses et des cultes. Lesquels sont renvoyés au domaine des croyances individuelles et de fonctionnements privés, sans intervention aucune de l’État.

C’est donc à l’État, aux instances républicaines (municipalités par exemple) que s’imposent les obligations de neutralité laïque. Côté citoyen — y compris sous forme collective, associative, etc. — le fait d’adhérer, ou pas, à cette conception générale relève de la liberté d’opinion et d’expression. Simplement, il est clair que si une association se mêle effectivement d’exercice du culte, alors elle ne doit en aucun cas bénéficier de subventions publiques. C’est ce que stipule la loi, qu’il suffit d’appliquer, sans aucun besoin d’en rajouter.

Pourquoi le faire, sinon au péril d’un jeu dangereux de stigmatisation de certaines populations, désignées aux soupçons, en instrumentalisant la laïcité comme un outil spécifiquement anti-musulmans, à peine voilé. L’extrême-droite s’est faite experte de cette manipulation. À Montpellier, qu’on disait « la surdouée », une mairie d’Union de la gauche serait prête à lui emboîter le pas. Ce retournement à contre-sens de la loi serait la meilleure manière d’affaiblir le cadre laïc, selon ses opposants, puisque la laïcité se retournerait ainsi en argument supplémentaire pour renforcer les sentiments — et la réalité — des stigmatisations, des exclusions. Cela alors que le but fondamental devrait être d’unir la population dans toutes ses composantes, en pacifiant les relations. Socle d’un pacte républicain, la laïcité se retrouverait rabaissée en visée militante à résonance conflictuelle.

En tout engagement de gauche, les appelants laïcs expliquent que c’est contre la ghettoïsation sociale, la ségrégation urbaine et culturelle qu’il faudrait lutter avec détermination. Au passage, les intervenants en conférence de presse se font un régal de rappeler que l’Association culturelle Saint-Roch, qui entretient le culte et notamment le pèlerinage autour du saint historique montpelliérain, reçoit ses subventions municipales rubis sur l’ongle, tandis que les élus aiment emboîter le pas des processionnaires… en toute offense à l’endroit des principes de la laïcité. Cela sans que nul ne trouve à redire (de même qu’on noie l’enseignement catholique sous l’argent public).

 

Le quartier Figuerolles manque de tout

 

Dès le lendemain de cette conférence de presse, le maire de Montpellier se trouvait à nouveau sur la sellette d’une contestation. Cette fois directement dans la rue. Dans le quartier très populaire de Figuerolles, à fortes composantes maghrébines et gitanes, des habitants (plutôt représentatifs des petites couches moyennes implantées) formaient une chaîne humaine tout le long de la rue Adam de Craponne. Ce fut une surprise, car on pensait leur lutte presque enterrée, après l’échec de leur recours devant le Tribunal administratif.

L’objet de leur colère est l’édification d’un immeuble à vocation de spéculation locative, dépassant les cent cinquante logements, sur cinq niveaux. Cela en lieu et place d’une friche industrielle, plutôt arborée, que sa propriétaire âgée avait loué à prix d’amis, deux décennies durant, à des entités culturelles, dont un théâtre. Sur-densifié, reversé aux politiques de la ville, le quartier Figuerolles manque de tout, en termes d’équipements et d’espaces verts. L’emprise du projet immobilier est idéalement située en bordure d’une voie rapide dont Michaël Delafosse assure qu’il faudrait supprimer la balafre, en l’enfouissant. Et à quelques dizaines de mètres, un terrain dix fois plus vaste, abandonné par des bureaux, ne va pas manquer d’exciter les convoitises.

À rebours d’une cohérence urbaine, le projet en cours s’était vu octroyer son permis de construire par la précédente municipalité, celle de Philippe Saurel. Mais par deux fois, Michaël Delafosse avait voté des délibérations stipulant qu’il fallait préserver la vocation culturelle du site. Quand la lutte de terrain débutait, voici bientôt deux ans, il n’était qu’un candidat balbutiant en vue des municipales. Il se montra sur place, serra des mains. Il enregistra et diffusa une vidéo qui le poursuit aujourd’hui : on l’y voit expliquer que le permis de construire doit être suspendu, le site repris par la Ville, le projet immobilier arrêté et remplacé par les alternatives réclamées par les protestataires.

Aujourd’hui, son adjointe à l’urbanisme explique que les recours juridiques ayant échoué, la Ville ne peut rien de mieux que favoriser quelques améliorations cosmétiques alors que les promoteurs s’apprêtent à faire donner les premiers coups de pioche. Il n’empêche, Michaël Delafosse ne peut jouer totalement les naïfs et s’étonner que sa vigoureuse dénonciation du projet, prononcée en position de candidat aux municipales ait alors été enregistrée comme une promesse électorale. Si on n’a pas reconnu de militant d’EELV — dont les élus sont fondus dans la majorité municipale — faisant la chaîne pour dire « non au béton », on a remarqué en revanche, au côté des opposants historiques à ce projet, l’arrivée d’activistes du climat, tout à fait déterminés.

Puisque l’ombre de la mémoire « frêchienne » plane au-dessus de Michaël Delafosse, il n’est pas inutile de rappeler comment ce maire tout-puissant dut opérer l’une de ses rares retraites devant une mobilisation populaire : c’était, à huit cents mètres de là, quand des habitants imposèrent que le parc Clémenceau se substitue à un projet immobilier pourtant très avancé et vigoureusement soutenu par Georges Frêche. L’histoire du mouvement écologique montpelliérain est passée, très singulièrement, par ce combat alors homérique.

Gérard Mayen

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Gérard Mayen (né en1956) est journaliste, critique de danse, auteur. Il est titulaire d'un master 2 du département d'études en danse de l'université Paris 8 Saint-Denis-Vincennes. Il est praticien diplômé de la méthode Feldenkrais. Outre des chroniques de presse très régulières, la participation à divers ouvrages collectifs, la conduite de mission d'études, la préparation et la tenue de conférences et séminaires, Gérard Mayen a publié : De marche en danse dans la pièce Déroutes de Mathilde Monnier (L'Harmattan, 2004), Danseurs contemporains du Burkina Faso (L'Harmattan, 2005), Un pas de deux France-Amérique – 30 années d'invention du danseur contemporain au CNDC d'Angers(L'Entretemps, 2014) G. Mayen a longtemps contribué à Midi Libre et publie maintenant de nombreux articles pour"Le Poing", Lokko.fr ... et Altermidi.