On a rarement vu un tel phénomène ces dernières décennies : l’indignation, la révolte face à un nouvel acte criminel commis par la police aux États-Unis à l’encontre d’une personne noire, ont essaimé partout dans le monde en quelques jours. Ce week-end des 6 juin et 7 juin, Londres, Sydney, Montréal, Séoul, Naples, Paris, Lyon, Lille, Bordeaux, Toulouse, Marseille… ont résonné de cette colère.
« Manifestation interdite » n’ont cessé de répéter CNews et BFM au long de l’après-midi de samedi à propos de la mobilisation parisienne organisée en deux lieux de la capitale (Place de la Concorde et Champ de Mars). Mais manifestation utile cependant pour assurer un certain niveau d’audience. Les deux chaînes « d’information en continu » n’ont pas tardé à ressortir leur dispositif du temps des Gilets jaunes : recours aux syndicalistes policiers, présence continue du spécialiste maison justice-police sur BFM, explications fournies sur les stratégies de « maintien de l’ordre », appel à un gradé de la gendarmerie auquel on donne du « Mon Général » long comme le bras… Heureusement, sur le terrain, la journaliste donnait la parole aux manifestant-e-s.
Dans nos deux régions (Occitanie et Provence-Alpes-Côte d’Azur), on a aussi largement répondu à l’appel en mémoire de George Floyd et d’Adama Traoré. De Toulouse à Marseille où un impressionnant cortège de plusieurs milliers de personnes (bien au-delà des 3000 annoncés par la police en tout cas) a parcouru les grandes artères de la ville, de la Canebière désormais piétonnisée jusqu’au Palais de justice en passant par la rue de Rome ou la gare Saint-Charles. Depuis le point de ralliement des « manifs » marseillaises, l’ombrière du Vieux-Port, le nombre de participants n’a cessé de gonfler au fil des minutes. Parmi eux, les membres des collectifs qui constituent le terreau « contestataire » de cette ville mais aussi des personnes moins habituées aux défilés. Un cortège jeune, avec une forte participation féminine, où le calme des manifestants se mêlait à leur indignation déclinée en dizaines de pancartes comme “Black Lives Matter” [La vie des noirs compte] qui a désormais fait le tour du monde ou « Pas de justice, pas de paix». Des slogans offensifs : « La police tue, la police assassine », le traditionnel « Marseille debout, soulève toi », « Zineb, on n’oublie pas, on ne pardonne pas » en souvenir de Zineb Redouane, une vieille dame victime d’un tir des « forces de l’ordre » alors qu’elle était à sa fenêtre, un soir de manifestation, en décembre 2018.
Marseille était encore baignée de soleil lorsqu’une femme a témoigné de la mort de son mari, Amadou, victime de méthodes policières qui ne sont pas sans rappeler celles qui ont causé le décès du jeune Adama Traoré le 19 juillet 2016. Son combat a permis à ce jour quatre mises en examen. Des tee-shirts noirs aux cris de « Justice pour Adama » repris par des milliers de voix, il n’ y a pas que les agissements particulièrement brutaux de certains policiers états-uniens qui étaient dénoncés en ce samedi soir. Où, il faut le noter, la présence de la police fut discrète, les autorités ayant certainement jugé qu’il n’était pas utile de jeter de l’huile sur le feu. En cette nouvelle phase de déconfinement, les manifestant-e-s ont du apprécier cette forme de « distanciation physique », même si quelques incidents sporadiques ont eu lieu en fin de soirée.
« Le poids des images »
Avec ou sans masques et quelle que soit la couleur de leur peau, les citoyens ont bien montré au fil de ces derniers jours que la contestation était déconfinée. N’en déplaise à ceux qui espéraient voir la pandémie produire un effet de sidération susceptible d’étouffer la protestation sur l’état du monde. Après les premiers mouvements, dès le 2 juin en France (Paris, Marseille, Avignon comme altermidi s’en est fait l’écho), la « mobilisation » sur ces thèmes (racisme, violences policières) devrait s’amplifier. « Le poids des images de l’agonie de George Floyd a pesé car il ne s’agit pas là d’une mort par balle, rapide et distanciée. On voit réellement un policier tuer à mains nues quelqu’un qui lui dit qu’il est en train de mourir. C’est encore plus choquant », explique le sociologue Laurent Mucchielli 1 pour lequel « le mur du déni est en train de se fissurer ». Ce mur, les autorités continuent pourtant de le dresser, à l’image de la porte-parole du ministère de l’Intérieur qui affirme que « les policiers et les gendarmes contrôlent de manière totalement neutre les personnes, qu’elles soient jeunes ou âgées, quelle que soit leur couleur de peau. De manière générale, il n’ y a pas de contrôles au faciès, c’est ce que l’on apprend dans les écoles de police »2. Il doit alors y avoir un léger décalage entre la théorie et la pratique sur le terrain, comme l’a relevé l’écrivaine Virginie Despentes qui, sur cette question du racisme, ne parle d’ailleurs pas uniquement des pratiques de la police.
La demande de vérité sur les causes de la mort d’Adama a été relancée par le drame de Minneapolis mais la route est encore longue pour faire changer les mentalités. Comme en témoignent les propos à vomir tenus sur un groupe Facebook de la police ou la proposition de loi déposée le 26 mai par une trentaine de députés (dont Éric Ciotti) « visant à rendre non identifiables les forces de l’ordre lors de la diffusion d’images dans l’espace médiatique ». Une proposition de loi contre laquelle s’élèvent notamment plusieurs syndicats de journalistes 3
Morgan G.